Turquie

Du 2 août au 12 août – Turquie: Istanbul – Urgup (Cappadoces) – Trapzon

Là où la douceur cache la dureté

             A 22h30, nous avons quitté Plovdiv (Bulgarie) en bus pour rejoindre la Turquie. Environ deux heures plus tard, nous voilà à la frontière turque, située sur le continent européen.

             La première chose qui nous étonne, c’est qu’on nous sert du thé chaud et des gâteaux dans le bus. Ce sera comme cela dans tous les autres bus turcs. Cela nous plaît bien et nous nous y habituons vite ! La seconde chose, c’est le petit business d’alcool avant et après la frontière qui nous a aussi beaucoup intrigué. Nous avons fait une pause avant la frontière où des cartons de bouteilles d’alcools ont été achetés, chargés dans le bus et aussi répartis entre les passagers. La frontière passée (alors que le bus a été inspecté), les cartons sont réapparus et les bouteilles ont été récupérées. On ne sait pas si les passagers qui participent ont une petite réduction sur le billet, mais nous apprenons que l’alcool est bien moins cher en Bulgarie. C’était la petit distraction de la frontière.

             Par ailleurs, nous ignorons réellement à quoi nous attendre en traversant la Turquie. De l’extérieur, les nouvelles que nous avons régulièrement du pays depuis ces dernières années sont une croissante fermeté du régime du président Erdogan. Progressivement la démocratie turque, les libertés individuelles et collectives se réduisent au profit d’un pouvoir toujours plus grand et autoritaire du président. Les emprisonnements de journalistes, d’intellectuels ou autres personnes aux idées différentes sont nombreux. Avant de rentrer en Turquie, nous avons lu dans les journaux que les femmes turques avaient manifesté à Istanbul. Elles revendiquent le droit de s’habiller comme elles souhaitent. Erdogan aurait pour projet de rendre le voile obligatoire. D’autre part, le journaliste français Loup Bureau est toujours emprisonné et il s’avère être l’ami d’amis à Barbara. En résumé, c’est l’incertitude, nous gardons tout cela en tête tout en découvrant ce qu’il en sera sur place.

            Nous nous réveillons alors que nous approchons d’Istanbul. La nuit commence à s’éclaircir, les premières visions de la ville stambouliote nous laisse bouche bée. C’est un défilé de bâtiments en formes de voile de bateau (semblables à Dubaï), d’autres plus massifs sont couverts de lumières resplendissantes. La ville respire la richesse et semble vouloir imposer sa grandeur à celui qui arrive. Le bus rentre dans l’immense gare routière. Nous cherchons le métro, les rabatteurs des cafés nous proposent de venir nous restaurer. Il est six heures du matin, nous souhaitons plutôt rejoindre au plus vite notre auberge de jeunesse dans le centre ville. Heureusement, à cette heure là, l’autogare se réveille, tous les commerces commencent à peine à se mettre en place. Nous retirons nos premières lires turques et nous nous engouffrons dans le métro. Nous nous croyons revenus à Paris, dans un RER matinal qui agresse les yeux des corps fatigués. Certains dorment. Beaucoup d’hommes et peu de femmes. A la sortie, nous nous orientons en demandant de l’aide, les trucs prennent gentiment le temps de bien nous diriger. Nous traversons la place de Sainte-Sophie et de la Mosquée Bleue, tout est calme. Le lieu respire la sérénité et la beauté. Les deux immenses édifices religieux se font faces harmonieusement, s’élèvent avec grâce vers le ciel et sont séparés par des jardins et allées fleuries.

           A l’auberge, après nous être rafraîchis, nous nous endormons lourdement. Nous en sortons tout nébuleux. Notre premier objectif est de faire nos visas iraniens et nous irons demain matin. Nous profitons de l’après-midi pour trouver l’ambassade d’Iran. En y allant, nous découvrons des rues très hétéroclites. Les stambouliotes sont très occidentalisés, il y a aussi des tenues traditionnelles musulmanes, tous se mélangent sans soucis. C’est agréable de se promener au milieu de passants d’autant d’horizons différents tant c’est serein. Par contre, nous sommes choqués de constater que ce sont très majoritairement les hommes qui travaillent, et de voir trop peu de femmes occuper des postes (du moins dans les quartiers que nous traversons). Nous trouvons enfin l’ambassade, une grande maison noire entourée de grilles et pics de la même couleur. Sur le retour, Barbara se laisse tenter par un jus d’orange, excellent et très goûté. Nous repassons par la place Sultan Ahmet qui décidément nous séduit chaque fois un peu plus. Le fait qu’elle soit piétonne, bordée d’arbres et très grande la rend encore plus agréable. A l’auberge, nous avons l’immense chance d’avoir une terrasse roof-top, qui donne à la fois sur Sainte-Sophie, la Mosquée Bleue et le détroit du Bosphore. Il est là, majestueux, à porter de regard. Le vent souffle agréablement dans nos vêtements, pousse les immenses nuées dans le ciel, le jour décline doucement. Je ne sais pas combien de fois j’ai imaginé un jour le rencontrer, lui porte de l’Asie, lui porte d’un autre monde. La fascination de l’instant outrepasse les imaginaires passés.

             Le soir, nous décidons de corriger le repas de la veille avec un restaurant repéré par Barbara. Bâti sur des ruines qu’un plancher de verre permet de voir, nous nous installons sur des fauteuils/poufs bas de style turc. Peu de personnes, certains fument des narguilés. Les lustres de cuirs et d’éclats de verres colorés rajoutent au charme du lieu très calme. Nous goûtons une délicieuse soupe aux lentilles et un kébab aussi bon (servi dans un plat sorti du feu). C’est en réalité de la viande et légumes qui sont grillés à l’huile d’olive (kébab signifiant grillade en perse). Nous partons nous coucher une deuxième fois heureux de cette première journée.

            Petit-déjeuner, voile et chemise longue pour Barbara, chemise manches longues et pantalon pour moi. Nous allons à l’ambassade d’Iran et nos tenues vestimentaires doivent être conformes avec les exigences du pays. Bien que nous arrivons en avance, il y a déjà du monde. Nous sommes le 3 août et ainsi vêtus nous avons chaud. Qu’est-ce que cela sera en Iran ? Nous rentrons et sommes finalement les seuls étrangers à faire une demande de visas. Nous passons rapidement, remettons notre dossier. Le monsieur ne trouve pas nos « référence numbers » (que nous avons demandés en amont). Mince. Il nous demande d’attendre, il va dans un bureau arrière. Il revient avec le sourire, il a trouvé notre démarche. Ouf. Il nous le propose en express pour récupérer le visa dès le lendemain, nous acceptons même si c’est plus cher. Il nous demande d’aller payer à la banque juste à côté du bâtiment, à notre retour il prend nos empreintes digitales. Demain 10h ce sera prêt.

           De retour à l’auberge, nous prenons le petit-déjeuner compris dans le prix de la nuit. Bonne nouvelle Marshall (américain rencontré en Grèce, cf article sur la Grèce partie 1) nous a répondu pour nous dire qu’il est d’accord pour nous héberger. Et encore mieux, sa femme Sufi a répondu d’un ton encore plus jovial pour nous accueillir. Nous sommes les bienvenus. Nous leur proposons dès le lendemain et d’y rester pour le week-end. Nous allons visiter la Mosquée Bleue. Le bâtiment est en réalité entre le gris et le bleu, ses coupoles bleues, c’est le ciel qui s’y reflète sur les murs. Sa couleur est vraiment étonnante, à la fois pastel et profonde. La cour, intérieur carré, avec une fontaine en son centre et des coursives rythmées d’arches dégage une certaine sérénité. Malgré le nombre important de personnes. Barbara doit se couvrir et nous devons nous déchausser. L’intérieur est très épuré, les grands volumes blancs sont parés de frises florales bleues et d’inscriptions en arabe. C’est la foire au selfie pour les pratiquants, puis le moment de la prière, nous devons sortir. C’est vraiment très beau, le monument est empli de grâce.

           Dans la foulée, nous continuons avec la visite de la Basilique Citerne (yerabatan sarnici). Construite sous les ordres de Justinien au VIème siècles pendant l’Empire Byzantin, c’était la réserve d’eau qui alimentait la ville de Constantinople (ancien nom d’Istanbul). Dans la presque obscurité, nous descendons et nous découvrons des successions de colonnes entre lesquelles raisonnent les gouttes d’eau qui échoient sur le sol. En plus l’éclairage, par petites lumières oranges, confère à l’endroit un petit côté mystique séduisant. Certaines colonnes sont bien conservées, en fin de visite par exemple, au pied de deux d’entre elles un visage inversé de la Méduse est en parfait état. En ressortant au jour, nous sommes surpris de voir un policier en civil, d’une main un fusil d’assaut de l’autre son portable. D’une manière générale il y a une très importante présence policière. Résultat des différentes attaques terroristes que la ville a subi ces dernières années. Celles-ci ont eu un réel impact sur le tourisme, les restaurants sont souvent à moitié vides, les visiteurs sont très peu occidentaux. Beaucoup de turques tout au long de notre séjour nous dirons la tristesse de ne plus voir beaucoup de français ou d’européens venir visiter leur pays. La plupart des touristes que nous croisons viennent du moyen orient. Les femmes portent souvent la burqua voire plus. Cela contraste fort avec les femmes turques qui sont en robes, bras nus et pour les plus jeunes en shorts.

         Nous mangeons ensuite deux soupes accompagnés e mezze (plat à partager qui comprend de l’houmous, du riz enroulé dans les feuilles de vignes, des crudités…) C’est très bon.

             Après une sieste nous nous lançons à la découverte de la célèbre Sainte Sophie. Qui ne rêve pas à des histoires d’orient et de temps anciens à l’évocation de la grande Sainte-Sophie de Constantinople. Sa construction a commencé au IVème siècle après J-C mais a connu sa forme plus grande et finale au VIième siècle sous le règne de l’empereur byzantin Justinien. Elle est devenue mosquée au XVème sous Mehmet II. Je vous cite la description de wikipédia sur la coupole car elle résume parfaitement : La coupole semble ne reposer sur aucun appui solide, mais flotte en apesanteur au-dessus de sa galerie d’arcades ininterrompues de 40 fenêtres qui contribuent largement à inonder de lumière l’intérieur polychrome de la basilique. Les réparations successives au cours de l’histoire ont fait perdre au dôme sa base circulaire parfaite : elle apparaît aujourd’hui comme quelque peu elliptique et irrégulière, d’un diamètre variant de 31,24 m à 30,86 m. Son diamètre maximal est un quart plus petit environ que la coupole du Panthéon de Rome. À l’intérieur, elle culmine à 55,60 m au-dessus du sol. Elle reste de loin la plus grande coupole maçonnée d’Istanbul, et ses dimensions ne furent jamais dépassées pendant près d’un millénaire d’architecture byzantine dans le bassin méditerranéen, ni plus tard par l’architecture ottomane. Manque de chance la salle principale est à moitié couverte d’échafaudages. Mais nous pouvons quand même admirer les célèbres mosaïques de l’époque justinienne. Le volume intérieur est immense, mêlant plusieurs influences religieuses. Nous terminons tranquillement notre journée, avec deux soupes et un ramequin à notre restaurant préféré.

           Vendredi 4 août, retour à l’ambassade d’Iran. Comme dit la veille, nous récupérons nos passeports avec le visa iranien à l’intérieur. Soulagement, notre premier visa obtenu. Cap maintenant sur celui de l’Ouzbékistan. En métro, nous rejoignons l’ambassade (prenons même le 2ème funiculaire le plus vieux du monde, sur l’idée d’un concepteur français). Nous sommes au début du mois d’août et il fait naturellement très chaud. Une maison dans un quartier plutôt résidentiel avec facilement une trentaine de personnes devant, pas de doute c’est bien là. Il est 10h45, l’ambassade ferme à 15 heures. Au portail nous indiquons au monsieur la raison de notre présence, en maugréant il prend notre nom en bas de la deuxième feuille. Les premiers passages sont rapides mais se révèle un leurre sur le défilement des personnes. Inexplicablement, parfois cela va vite, parfois très lentement. Nous attendons comme tout le monde, dehors, debout, dans les rayons du soleil qui filtrent à travers le feuillage trop maigre d’un arbre. Une femme ne cesse de râler et d’insupporter tout le monde. Nous passons l’heure du déjeuner. Nous n’avons pas pris d’eau ni à manger, la soif et la faim s’ajoutent à l’attente. 14h…14h15…14h30…est-ce que nous passerons aujourd’hui ? 14h58 le portail s’ouvre pour nous ! A l’arrière de la maison, dans l’embrasure d’une fenêtre, nous remettons notre dossier à un monsieur. Il le prend, pose deux-trois questions, il nous demande si nous travaillons ? Comme un acteur se prenant les pieds dans le tapis avant de rentrer sur scène le soir de la première, je réponds non. En un instant, tout tourne dans nos têtes. Avec tous les dossiers de visas remplis, l’attente qui nous a fait perdre la lucidité, nous ne savons plus ce que nous avions marqué (nous avions marqué oui). L’officier écrit au stylo quelque chose sur nos dossiers, il grimace, il nous semble que c’est foutu. Malgré tout il nous dit que nos visas seront prêts dans 10 jours à Téhéran. Mais vu sa réaction au fait que nous n’ayons pas d’emploi nous ne sommes pas sûrs d’avoir nos visas si facilement… Nous sommes déconcertés.

            En plus, Marshall et Sufi ont accepté de nous inviter chez eux. Sauf que c’est à l’opposé de là où nous sommes. Ce n’est pas forcément très bien desservi et Istanbul est une immense ville. Nous n’avons pas le courage, mais nous avons dis oui. Nous récupérons nos affaires à l’auberge et allons attendre un bus qui mettra près de 30 minutes à arriver. Après plus d’une heure de trajet dans les bouchons du périphérique stambouliote serrés dans le bus, une demi-heure à trouver où ils habitent, nous voilà avec deux heures de retard. La journée nous semble longue et nous sommes exténués. Nous sonnons, Sufi et Marchall nous accueillent. Ils ont déjà mangé (nous pas avec toutes ces histoires à rallonge), nous sommes affamés mais nous n’avons pas le cœur de leur dire. Nous sommes déjà reconnaissants qu’ils nous hébergent. Nous nous couchons sur les 2 immenses canapés du salon.

          Nous nous levons et avons cette même sensation étrange de la veille d’un peu déranger nos hôtes, d’interférer dans leur quotidien. Pour prendre l’air, nous choisissons d’aller nous promener dans un quartier que nous n’avions pas encore vu, notamment la place Taksim et la tour Galata. La plus grande place d’Istanbul est très grande mais sans réelle identité. Nous flânons dans les rues du quartier de Besiktas bordé de boutiques. Nous voyons l’immense tour Galata qui symbolise une des arrivées de la route de la soie. Elle domine de sa hauteur toute la ville. Nous prenons le temps de nous imprégner de l’atmosphère de la ville. Ensuite nous reprenons le bus pour rentrer chez Sufi et Marshall, ce qui nous prend 1h30 de route. Ils habitent un quartier résidentiel dans un bel immeuble où ils louent un appartement plutôt luxueux. En arrivant, Sufi nous a cuisiné un bon repas avec du poulet et des légumes. C’est attentionné. Le lendemain, nous retournons dans le quartier où nous logions auparavant. Cela nous permet de visiter et de mieux ressentir la vie stambouliote. Nous retrouvons notre petite chambre à l’auberge. Nous prenons le temps.

          Le 7 août, nous nous décidons à visiter le palais du Tokpaki qui était la résidence principale des Sultans pendant l’Empire Ottoman. C’est un grand ensemble de suites et de salons dans lesquels le Sultan recevait ses invités, avec de belles faïences peintes. Nous traversons des chambres, comme celle de la mère. L’absence de meuble, qui sont importants pour nous dans nos espaces de vies, nous empêche d’imaginer réellement ce que pouvait y être la vie. D’autant que nous ne pouvons pas rentrer dans toutes les pièces (même dans le harem), ce qui nous frustre. Néanmoins, nous sommes impressionnés par les cuisines, avec les immenses casseroles et belles vaisselles. La salle des horloges est des plus intéressantes, chaque objet laissant apparaître leurs mécanismes. Le harem (en supplément), ou prison dorée pour les femmes entourant le sultan (reine, princesse, compagnes…) permet de mieux se figurer la vie passée.

            A la sortie, nous nous asseyons à une terrasse ombragée et réfléchissons à la suite. Initialement, nous souhaitions rester 3 semaines en Turquie avant de poursuivre en Iran. Mais nous n’avons pas réussi à obtenir le visa russe jusqu’ici. Ce qui nous oblige à faire un sacré détour par la Géorgie (et éventuellement passer par l’Arménie pour continuer en Iran). De plus, il nous faudra certainement attendre nos visas une semaine à Tbilissi. Cette démarche administrative écourte notre séjour turc. Cependant, découvrir les célèbres Cappadoces, qui se situent au centre du pays, est une étape importante de notre voyage. Pour cela et avec le peu de temps que nous avons, nous nous décidons de passer par une agence pour tout organiser. Avec le bel Hadji de l’agence Magik Travel, nous planifions les trois prochains jours. C’est un sentiment étrange pour nous de se dire que nous allons faire une visite guidée, mais les Cappadoces sont une région, il nous faudrait au moins deux semaines pour les savourer pleinement et nous n’avons que 3 jours.

           Le jour suivant, nous quittons notre petit cocon stambouliote, nous restons à notre restaurant favori pour avancer le blog et la suite en attendant le bus de nuit. Nous rejoignons Hadji, qui a la gentillesse de nous installer deux chaises dans la rue pour que nous continuions notre travail informatique. Notre bus est là, nous emportons Istanbul dans nos cœurs tant nous avons aimé la ville. Après un saut à l’Otogare, nous traversons le Bosphore une dernière fois pour ce voyage. Cette traversée matérialise notre passage vers l’Asie. Nous fermons les yeux, traversons une étape importante vers de nouveaux rêves d’Orient.

Le poisson, où est-il?

           Le 9 août au matin, sur la droite la lune dans le ciel, une longue étendue rose le long de la route. Un lac de sel ? A droite une partie de cache cache entre le soleil et une chaîne rocheuse. Nous nous arrêtons, aux toilettes femmes et hommes, les turcs se lavent les mains, les pieds dans les lavabos pour la prière. C’est un peu la cohue. Nous continuons et après un autre changement de bus, nous arrivons à Ürgup dans les Cappadoces. Nous posons nos sacs à l’hôtel, une courte douche et un court petit-déjeuner, nous embarquons dans le minibus avec Aykut qui sera notre guide des 2 prochains jours. Nous sommes les seuls étrangers parmi une dizaine de turcs.

          Première étape, Aykut nous montre comment les formations rocheuses peuvent prendre des formes facilement identifiables, exemple un poisson. Il nous explique que la région est le résultat d’éruptions de trois volcans qui ont chacun déversé une couche de minéraux dans le bassin de la région. On distingue aisément les couches, notamment la rose chargée de fer. En poursuivant notre chemin, nous nous arrêtons à Avanos dans un atelier de poterie. Après une démonstration d’un potier sur un tour manuel (actionné avec la jambe), Barbara enfile une blouse pour s’essayer à la technique turque. Les turcs savent bien faire les choses et un thé nous est offert durant la présentation. Dans le temps, si un homme voulait épouser une femme, il devait réaliser une pièce parfaite et l’offrir au père de la désirée. Dans la foulée nous visitons la boutique, ou plusieurs jarres typiques de la région ont été réalisées. Pour servir, il faut passer le bras dans le rond de la jarre, la coincer sur l’épaule et verser le précieux liquide en inclinant le haut du corps.

              C’est après la pause déjeuner que nous découvrons Goreme. C’est la ville qui concentre le plus de sites de la région . Celui que nous faisons est semblable à une petite ville. Les Cappadoces ont été le refuge, les cachettes, où les chrétiens venaient pour échapper aux autorités de l’Empire Byzantin. Ils ont creusé dans les falaises, dans la couche de calcaire facilement friable, leurs habitations. Dans ces troglodytes, tout est creusé dans la roche, la table, les armoires, les bancs. Les salles communiquent entre elles par de petits passages. C’est un petit jeu d’enfant de passer d’une pièce à l’autre. Les cuisines sont les plus reconnaissables car encore noires du feu de cuisson. Comme les habitants étaient chrétiens, ils ont construit plusieurs petites chapelles. La mieux préservée est la Chapelle sombre. C’est certainement un des lieux saints les plus emprunts de spiritualité que nous ayons visités. A l’intérieur, sur un faible volume d’espace, sont peints Jésus Christ, les apôtres, Marie… Le lieu est touchant car les dessins ont quelque chose de primaire, de premiers gestes. La nécessité de la foi et de la représenter imprègnent cette chapelle cachée de tous. Ils ont même creusé en hauteur la paroi pour imiter la forme des coupoles.

           Sur le retour, nous observons un site appelé le château (qui n’en n’est pas un mais une sorte de troglodyte très grand), la Vallée rouge (où Saint George aurait tué le dragon). Sur ces légendes et belles images, nous terminons tranquillement notre journée. Barbara profite même de la fraîcheur de la piscine.

           Nous commençons notre deuxième journée par un succulent petit-déjeuner, ce qui nous met immédiatement en jambe. Cette fois, nous sommes avec un couple turc et deux marocaines. Nous entamons le tour avec la ville souterraine de Kaymakli. Dans le temps, pour accéder à la ville, il fallait rentrer par le sommet de la falaise. Pour construire les galeries, du haut ils creusaient un long tunnel vertical jusqu’à atteindre la source d’eau en bas. En chemin, sur chaque côté latéral ils ouvraient de nouveaux étages qui communiquaient ensuite avec les autres. Chaque étage (ou groupe) avait sa fonctionnalité, les cuisines, les toilettes (dont ils récupéraient les excréments pour en faire du combustible), les chambres et même pour les vendanges (avec cuves sculptées!). Des pièces il y en a partout, nous pourrions facilement prendre un autre chemin et nous perdre. Notre âme d’enfant revient avec ces passages étroits, pièces à explorer. Les tunnels étaient étroits par anticipation d’une attaque. S’ils étaient attaqués, la progression ennemie serait ainsi plus lente, alors que les habitants avaient l’habitude de s’y déplacer courbés. C’est très profond mais la visite ne permet pas de descendre tout en bas. Entre le manque de lumière naturelle, la poussière, la promiscuité, la vie dans de telles conditions devaient requérir une réelle discipline de tous. Malheureusement, jusqu’à aujourd’hui aucun écrit ne nous est parvenu pour nous en apprendre davantage.

          Après un saut dans la Vallée des pigeons, dans un atelier de bijoux où nous découvrons la pierre « Nuit des Sultan » (unique à la Turquie), nous allons enfin faire notre petite randonnée promise par Aykut. Nous sommes les seuls du groupe à le suivre car il fait trop chaud pour les autres (chercher l’erreur :). Nous commençons un village qui nous semble à l’abandon, mais on bifurque à travers champs. Nous longeons une partie de la vallée rose, traversons des ensembles de pierres blanches, un tronçon de la vallée rose, suivons des arrêtes de falaises. Au détour d’une, apparaît un village incrusté dans celle-ci. Le site n’est pas très fréquenté, il est vrai qu’il y a peu à faire. Là aussi il y a une chapelle, que le temps a repris cette fois. Il ne reste que quelques traces de peintures sur les arcades qui luttent pour ne pas chuter en poussières. Comme la Chapelle sombre, le lieu dégage une force spirituelle très palpable. Peut-être est-ce l’association du minéral brut et de la croyance immatériel qui crée ce sentiment.

          A notre retour à l’hôtel, après avoir découvert quelques beautés de cette région, nous nous renseignons pour un tour en montgolfière. Ce n’est pas dans notre budget de voyage mais c’est décidé nous nous offrons notre cadeau de noël au mois d’août ! En attendant, nous partons explorer les alentours à pied, la petite randonnée était bien trop courte à notre goût.

           11 août, le réveil sonne à 3h45 car il nous faut être prêts à 4h15. Nous embarquons avec une famille bruyante de koweïtien et une famille française dans un van en direction du site d’envol. Dans l’obscurité de la nuit matinale, les ballons géants sont étalés à plat sur le sol, les nacelles sur le côté. Les équipes actionnent les premiers jets de flammes qui lancent des éclairs chauds et lumineux dans les montgolfières. Celles-ci paraissent comme des cœurs prenant à petits pas forme. Droite dans le ciel, nous basculons dans la nacelle. Les flammes, comme des pulsations, s’élèvent dans l’immense ballon. Le panier quitte le sol, nos premiers mètres d’envol. J’ai une pensée particulière pour Daniel (mon cousin) dont c’est l’anniversaire. Nous nous élevons progressivement avec sérénité. Hormis un homme atteint d’une incurable et aigüe « selfie addictivity » et dérangeant tous autour, le voyage est grandiose. Dans l’obscurité évanescente, les montgolfières s’élèvent à nos alentours. Incandescentes par intermittences, elles gagnent les hauteurs comme nous le faisons. Nous prenons la mesure de l’étendue de la région, de ses variétés rocheuses et chromatiques. Sur la ligne d’horizon, lentement le soleil pointe le bout de ses premiers rayons. Tout de feu orange qu’il est, il verse dans ses premiers instants une coulée dorée sur l’ensemble des Cappadoces. Quel instant magique de voir les ombres naître et les ensembles s’illuminer. Même la lune reste pour observer une telle beauté momentanée. Là haut tout est calme. Nous devinons les lieux visités les jours précédents. L’espace et le temps ont changé leurs rôles, le premier devient infini quand le second se suspend.

            La montgolfière amorce la descente, c’est la fin d’un rêve en douceur. Comme les turcs ont le sens de l’accueil, ils nous proposent du champagne pour fêter le vol. Sans alcool ajoutent-ils. Attention nous sommes français, on s’attend forcément à ce que ne soit pas du bon champagne… nous sommes surpris de découvrir que c’est de la boisson énergisante. Au moins c’est sûr, nous sommes bien revenus des hauteurs merveilleuses, plus efficace que de se pincer la peau. Nous rentrons avec notre diplôme de vol, travaillons le reste de la journée sur le blog à l’hôtel. Leur gentillesse et douceur est des plus appréciables. Le soir nous les quittons pour prendre un bus de nuit en direction de Trabzon (nord-est de la Turquie). Au petit matin, nous longeons la mer Noire, c’est un sentiment particulier de découvrir une mer pour la première fois. Même à travers la vitre sale d’un bus. Personne ne parle anglais. Face à la surface calme de la mer, se dresse une enfilade d’immeubles qui ne s’interrompt que par intermittence. La route respire l’ambiance industrielle. 7h30, nous voilà à Trabzon. Nous prenons dans la foulée un ticket pour Tbilissi, capitale de la Géorgie. Cela nous semble un peu louche, mais le bus part à 8h00. Nos sacs sont chargés dans une soute différente. Nous restons vigilants. Dans le bus, il n’y aucun souci, au fond et à côté de dames azerbaïdjanaises qui nous parlent sans que nous les comprenions entièrement. Mais nous rigolons ensemble de nos incompréhensions. Quand nous nous arrêtons, il fait une chaleur si lourde et si moite qu’il est désagréable de rester à l’extérieur. Le poste de frontière avec la Géorgie est en vue.