Serbie

Serbie du 16 juin au 19 juin : Belgrade

 

Entre déclinaisons de gris et réflexions multiples

 

A la frontière serbe

          Dans le train qui nous amène de Roumanie à Belgrade, nous entamons la conversation avec Katarina. Elle est souriante, elle essaye de nous aider. Dehors les paysages sont de grandes étendues vertes et plates. Nous qui imaginions la Serbie un peu montagneuse, c’est tout le contraire qui défile sous nos yeux. Paysages ponctués par de nombreux hameaux. A la sortie du train, nous quittons Katarina pour reprendre la conversation avec Pablo (rencontré à la montée du train en Roumanie). C’est un argentin qui visite l’Europe. C’est quelqu’un de très doux, respectueux et avec qui la conversation se fait naturellement. On le suit à l’auberge qu’il a réservé. En chemin, on retire nos premiers dinars serbes, une nouvelle monnaie avec laquelle il va falloir s’amuser à convertir la valeur. Au moins, en Serbie nous retrouvons l’heure française. Arrivés à l’auberge, si ça fait un peu miteux, c’est propre, bien situé et pas cher. Nous y resterons trois nuits.

         Le 17 commence par la recherche de l’Office de tourisme pour avoir une carte de la ville. Les premiers bâtiments que nous croisons confirment ceux de la veille, les couleurs oscillent entre le gris et le brun, clairs et sombres. Surtout que la pollution couvrent plusieurs murs, ou certaines façades abîmées, accentuent la morosité architecturale. Même les bâtiments officiels ont seulement les coupoles vertes pour égayer un peu leur austérité chromatique. En plus il fait très nuageux, le vent qui fait osciller entre soleil, temps couvert et brèves pluies. Bon en chemin, nous passons devant l’Hôtel Moscou, écru et vert foncé qui amène un peu de couleur dans cette ville majoritairement grise. Surtout, ce sont les belgradois qui amènent de la couleur. Non par leur tenue vestimentaire, mais par ce qui sont capables. Dans la rue piétonne principale, consécutivement on croise un homme avec un énorme python jaune autour de lui, une chanteuse à capella, des mamies qui vendent leurs crochets, un joueur de flûte, deux vieux « légèrement » ivres (un qui joue l’autre qui chante), un groupe de jeunes jouant de la musique classique. Avec peu de choses il y a de la vie.

        Nous trouvons enfin l’Office de tourisme. Nous apprenons qu’il y deux Belgrade, l’ancienne (où nous nous situons) et la nouvelle. Nous ne ferons que l’ancienne. Après le midi, nous grimpons voir le Kalemegdan, la forteresse de Belgrade. Sur les bords du chemin du parc, de nombreuses tables avec plateaux d’échec attirent plusieurs générations d’hommes (pas vu de femmes). Selon la table c’est très concentré ou ça rigole franchement. Toujours sur le chemin, sur la rive opposée de la Save, on entend une course de voitures. On arpente les murailles, trouvant la statut Pobenik. Cette statut représente un homme nu. A l’origine les belgradois choqués avaient demandé à ce qu’elle soit la plus loin possible du centre de la ville. Depuis, la ville a grandit et la statut attire les foules (sans qu’elle soit exceptionnelle intrinsèquement). En revanche, ce qui est plus remarquable, est que de ce point de vue, vous voyez les deux fleuves que sont la Save et le Danube. Avec le vent qui fait circuler rapidement les nuages, cela donne l’impression de quitter la capitale.

         Dans l’enceinte du château, nous tombons sur une expositions de canons d’artilleries et véhicules militaires. Des groupes de jeunes sont assis au milieu de ceux-ci comme on le serait à une terrasse de café, des familles s’amusent à grimper sur les engins de la mort . Ces visions sont pour nous très étranges, nous sommes mal à l’aise. Néanmoins n’oublions pas que la guerre de l’ex-Yougoslavie date des années 90s, que les Serbes de Milosevic ont souhaité profiter de cette occasion pour reconstituer la « grande Serbie » (en attaquant leurs voisins). Quels souvenirs les serbes ont-ils garder de cette période ? Quel rapport à la guerre ? Est-ce que ce projet de « Grande Serbie » les hantent-encore ? On ne posera pas les questions, mais il est certain que nous n’avons pas la même approche. Goran, un conducteur en Slovénie nous avait raconté une blague à ce sujet : « Avant on disait la Serbie jusqu’à Tokyo, maintenant c’est la Serbie jusqu’à Nokia ».

        En marchant vers l’église Sainte-Save, une des plus grande église orthodoxe du monde (pouvant contenir apparemment 10700 personnes), on constate qu’il y une importante utilisation de l’image du corps de la femme dans l’espace public. On retrouve des corps féminins un peu partout. Même le bouquin de sudoku a droit à sa petite demoiselle en bikini…Autre chose, sur les regards, je surprends beaucoup d’hommes et femmes qui me regardent avec insistance, sans réels sentiments discernables. La barbe ? Non les jeunes la porte. Sûrement la couleur de peau ou la longueur de cheveux. Qu’importe, un rond-point avec jets d’eau nous sort de notre réflexion. En effet, situé en plein milieu d’une dense circulation, la voix d’Andrea Bocceli se fait entendre et l’eau s’élève en différentes hauteurs et forces de jets. Intrigués nous observons le contraste entre le chant accompagnée de l’eau et l’incessant flot de bus et de voitures. La chanson de Bocceli terminée, c’est Michael Jackson qui est diffusé en suivant. Ça nous fait rire.

Sainte-Save

         Arrivés devant l’église Sainte Save, ce sont de grands volumes cylindriques blancs qui s’élèvent vers le ciel. Les portes, en bois, apparaissent étrangement simple. Comme inachevées. Nous entrons à l’intérieur…tout est encore en chantier !!! Tous les murs sont brutes, donc gris et sans décorations. Hormis de hauts échafaudages et traverses. C’est vrai, j’avais oublié ! Pourtant les portes auraient nous faire tilt ! Si la construction a commencé en 1939, elle d’abord été interrompue par la 2nd Guerre Mondiale, puis le Régime de Tito, la guerre des Balkans. Au final, la reprise des travaux n’a été effective qu’au début des années 2000. Néanmoins une petite chapelle est aménagée pour les pratiquants qui, après la traversée d’un tapis rouge, viennent embrasser le portait de la vierge. De plus, la crypte est presque terminée. On y descend par des escaliers de marbres blancs, on arrive dans une salle polygonale où l’or scintille sous plusieurs formes. Il pare les fonds des peintures murales, recouvre les lustres typiques des orthodoxes, habille les colonnades. Les peintures sont récentes, leurs couleurs sont éclatantes (contrastant avec les portraits plus ton sur ton habituels). Un groupe est présent, les femmes sont habillées de longues robes violettes, les hommes de noir avec un liseret d’argent sur la poche de la poitrine. C’est un groupe de chanteurs qui vient de répéter. Là aussi les travaux ne sont pas finis, avec Barbara on remarque les trous dans les murs pas encore rebouchés. Quand on est français on trouve toujours la petite bête! 🙂

        En sortant, après des courses, Barbara s’arrête à l’auberge et je continue dans la ville. Quand on s’éloigne des axes principaux, on tombe sur pleins de petites maisonnettes datant du début du XXèmes siècles. Elles sont aux pieds des imposants immeubles gris, comme des chaussures de couleurs pastels. En revenant, Barbara a rencontré Astrée. Une française qui dort dans notre chambre et qui travaille en Angleterre. On entame aussi la conversation avec Eliott (français qui travaille à Vienne) et Thibault (belge qui revient d’Australie). On parle de tous les sujets, notamment leurs voyages (car ils ont beaucoup voyagé!). Astrée nous propose d’aller dans la rue Skadarka. (qu’on vous recommande si vous passez à Belgrade), coincée entre des immeubles, c’est une rue aux gros pavés le long de laquelle plusieurs petites terrasses sympathiques sont présentes. La différence avec les autres rues, c’est que des groupes de musiques tziganes viennent jouer à votre table (sans toutefois s’imposer). Et sur les murs des peintures, de la couleur. Le temps est frais, c’est agréable après les chaleurs roumaines. Sur ces notes de musique on part se coucher.

      

        Le 18, je demande à Vaneska où se situent le bâtiment endommagé lors des bombardements de 1999. Ces bombardements avait été déclenché par l’OTAN, dont la France, pour imposer à la Serbie de cesser son action militaire. Nous y arrivons, c’est un bâtiment de brique rouge dont un côté a été arraché certainement à la chute de l’engin de guerre. Bien que ça a été « nettoyé », la vue crispe le ventre. Nous n’osons pas imaginer la peur que doit provoquer un réel bombardement, ni même de voir sa ville en cet état. Deux militaires sont devant, nous leur demandons s’il s’agissait d’une cible stratégique ou un bâtiment de civils. Sans expressions sur son visage, mais avec une très légère amertume dans sa voix un répond : « It was our Ministery of Defense » (C’était notre Ministère de la Défense ). Et il ajoute « Where are you come from ? » (D’où venez-vous?) – « France » Quelques secondes de silences. Je commence à dire un sorry, mais il reprend « France…nice country » (France…pays sympa), et il nous tourne immédiatement le dos et s’en va. Situation un peu étrange, mais l’Histoire s’est inscrite ainsi.

        Nous errons dans la ville, passons par le quartier des ministères. Nous prenons les informations des trains et bus si le stop ne marchait pas demain pour Zagreb. Nous continuons puis nous nous arrêtons pour dessiner. On rentre organiser la suite. Le soir nous discutons tard avec Vaneska. Elle est née dans le vieux Belgrade et habite là depuis toujours. Elle déteste le nouveau Belgrade, fait selon elle, uniquement de bâtiments et super-marchés. Également, elle nous dit que la météo change à Belgrade, chaque année il fait de plus en plus chaud. Les saisons ici aussi disparaissent. Je lui demande ce que signifie Belgrade. Bel (blanche) grade (ville). La ville blanche.

        Le lendemain direction la gare pour prendre les deux bus qui nous déposeront à une station service sur la bonne autoroute. On monte, on demande deux tickets. Avec le sourire le chauffeur nous fait signe de la main pas besoin. Les passagers assis devant reprennent en échos « no tickets, no tickets ». Alors on s’assoit avec le sourire aussi. Arrivés à la station essence, on prépare la carte plastifiée et l’ardoise pour la grande ville suivante. Les initiales sont SM (Stremska Mitrovica), on ne se trouve pas très sérieux avec. En plus deux jeunes roms lavent les pare-brises avec des raclettes, eux et moi (Aurélien) avons presque la même couleur de peau, nous comprenons les regards de travers. Pas grave, on essaye, un premier homme, c’est non. Un vieux, qui nous dit aller à Zagreb c’est non aussi. Alors on tend l’ardoise, et là incroyable. En moins de 5min, Igor s’arrête « Where are you going ? » « Zagreb » « Us too, can we go with you ? » « Ok, let’s go. But my car is not so comfortable ». C’est une skoda break, c’est parfait. Un homme essaie de dissuader Igor de nous prendre, mais il lui répond en blaguant qu’il nous kidnappe pour nous laisser en Croatie.

       Igor et sa fille Mija vont à Zagreb voir un concert d’Artic Fire. Le trajet se passe à merveille. Il travaille pour l’accueil des réfugiés (on croisera un groupe sur le bord de l’autoroute). Grâce à une ONG de la toulousaine Marie-Jo, il aide à leur insertion en Serbie, au travail pour les adultes, à l’école pour les petits. Ces derniers sont nombreux, presque la moitié des arrivants ont autour de 8ans et sont sans parents. De même il nous apprend par exemple qu’en Bulgarie, dans certaines campagnes, des hommes chassent littéralement à l’arme à feux les réfugiés. Leur coupant des fois une oreille ou un doigts pour les dissuader de revenir. Mais il est optimiste. Igor est un vrai papa, plusieurs fois il nous propose de partager ses sandwichs, leur bouteille d’eau, si on veut s’arrêter pour la pause pipi (« il faudra courir vite car je ne vous attendrai pas » plaisante-il). C’est génial de quitter la Serbie et arriver à Zagreb avec Igor, sa bonne humeur nous donne le plein d’énergie pour attaquer la Croatie.

Un grand merci à Igor et sa fille Mija