Iran – 1ère partie

Du 24 août au 30 août 2017 (ou 1396 pour le pays). Iran : Tabriz – Téhéran – Kashan

Terre de lune et de soleil

 

              A Agarak, ville frontalière arménienne avec l’Iran, nous avons rencontré un arménien qui nous a gentiment invités chez lui à manger. De plus, il nous a fait la visite de son verger. Il vient de nous déposer à la frontière en nous chargeant les mains de sacs de fruits et le cœur d’émotions.

 

          Rares sont ces moments où les songes se dessinent réellement devant les yeux, où lentement un lieu imprègne les sensorialités du corps. Cet instant est là, avec un soleil d’un jaune pâle aveuglant, à la lisière des cimes écaillées des montagnes escarpées. L’Iran est un rêve de voyageur, terre connue du bel accueil et d’échanges avec les autochtones. C’est un pays qui point au cœur le passager qui y vient, paraît-il. Nous verrons. La réalité est bien souvent plus surprenante que les rêveries. Très souvent j’ai rêvé un jour traverser la frontière iranienne, jamais je ne l’avais envisagé avec des sacs de fruits à chaque main. Nous marchons dans cette fin de journée encore très claire. Tampon rose de sortie arménien, Barbara doit couvrir sa tête d’un voile, allonger ses manches au delà des coudes et mettre un pantalon. Hormis le voile pour lequel je ne peux pas être solidaire au risque de paraître irrespectueux, je fais de même avec la chemise, le pantalon et la casquette. Nous rencontrons une famille iranienne, la jeune Parimah nous présente ses excuses pour ce voile qu’elle ne supporte pas. La famille entière est désolée, mais nous le sommes davantage car cette contrainte pour Barbara ne sera que provisoire alors que pour les iraniennes c’est la vie entière. C’est à pied que nous avançons et traversons le pont qui surplombe l’Araxe, rivière qui sépare les deux pays.

           Le premier soldat nous indique le premier guichet en terminant par un « Welcome ». Premier contrôle du visa, deuxième contrôle avec des questions auxquelles nous avions répondu dans le formulaire de demande. Dernier contrôle celui des sacs aux rayons X, même les fruits y passent. Nous voilà en Iran, nous rajoutons trente minutes à nos horloges. Nous échangeons nos premiers rials, nous nous retrouvons avec un sacré paquet de billets ! Le taux de change est de 1 dollar pour 32 000 rials, alors échanger 100 dollars… C’est de l’argent en masse comme disent les canadiens. L’auto-stop nous manque, nous essayons d’éviter le taxi mais il y a trop peu de personnes sur place. Surtout aucune voiture. La famille de Parimah ne peut pas nous accueillir et nous dit que le taxi est la meilleure solution pour rejoindre Tabriz à quelques 150km. Il est 19h passés, nous hésitons vraiment mais cédons. Dans le coffre où nous mettons nos sacs, une bouteille de gaz prend la moitié de l’espace (beaucoup de voitures roulent au gaz en Iran comme dans beaucoup d’autres pays que nous traverserons par la suite). Nous retrouvons le plaisir d’un asphalte sans aspérité, après presque dix heures de marshrutka, nous avons l’impression de flotter. Un taxi pour deux, pour nous c’est le grand luxe. Dehors, le soleil descendant filtre à travers les dentelures rocheuses des montagnes. Les pentes raides à travers lesquelles la route serpente deviennent une déclinaison fauve. Plus loin un train à charbon crache sa fumée noire dans les ultimes lumières du jour. La nuit est là, avec la pleine lune. Nous arrivons vers 23h30 à Tabriz, ville très illuminée. A la Guesthouse du soir, nous ne comprenons pas pourquoi le chauffeur nous demande plus que le prix annoncé. C’est qu’en réalité le taux de change est différent, ici 1 dollar est égal à 37000 rials. Nous comprenons mieux pourquoi nous avions eu plus de rials que nous le pensions. C’est avantageux pour nous qui avons acheté le dollar moins cher avec l’euro. Après la douche, nous nous couchons dans une chambre rose de mauvais goût mais très calme.

             D’un profond sommeil nous sortons lentement. Les ennuis commencent. Nous découvrons la réalité de l’obligation porter le voile et ses contraintes. Par exemple à l’hôtel, il faut le mettre dès que l’on quitte la chambre. C’est à dire pour aller au toilette, se brosser les dents où à la douche. Aller savoir comment les iraniennes font pour se brosser les dents avec le voile, pour Barbara ce n’est pas facile. Surtout dehors, où le vent et le soleil n’arrangent pas l’affaire. Le tissu se défait dès que cela souffle et garde la chaleur qui tape sur la tête. Pour ne rien arranger, la grande majorité des iraniens que nous croisons nous dévisage d’une manière presque étrange. Nous ne savons pas s’il y a du mépris ou si c’est une curiosité choquée de notre présence. En tout cas nous ne voyons pas beaucoup de sourires dans cette ville plutôt traditionnelle d’un point de vue religieux. Nous voyons seulement des hommes travailler. Barbara est surtout le sujet d’un leur regard, notamment des femmes. Toutes la regardent constamment de haut en bas. Nos yeux à nous sont plutôt amusés par le nombre incalculable de Peugeot 405 et 206. Il y en a partout. Des rues entières ! J’en cherche une rouge comme possédait mon père mais nous ne verrons aucune voiture de cette couleur. Aussi nous voyons les premières femmes toutes de noir vêtues avec seul le visage et les mains qui apparaissent.

 

           Comme c’est vendredi, c’est dire jour Saint (le week-end a lieu jeudi et vendredi), le bazar historique rendu célèbre notamment par les écrits de Nicolas Bouvier est fermé. Tout de même, les passages extérieurs sont ouverts et nous donne un petit aperçu de ses larges allées aux plafonds de briques. Nous y faisons quelques provisions et un marchand de tableaux de fils cousus, nous entendant parlait français, nous invite dans sa boutique observer des canevas représentants les Champs-Élysées version début du XIXème siècle. Lorsque nous abordons les iraniens, ils répondent toujours avec le sourire et prennent le temps de nous aider. Au restaurant, les seuls couverts sont une fourchette et une cuillère. Nous avons du mal à découper le poulet de son os sans couteau. Nous voyons la mosquée bleue sans y rentrer car c’est le moment de la prière, nous nous baladons aux hasards des rues. Puis c’est le moment de rentrer se reposer. Le soir, avec le réceptionniste j’essaie d’apprendre un peu de farsi (langue d’Iran), lui un peu de français. Nos prononciations alambiquées nous font rire aux éclats.

Bazar de Tabriz

           Nous devons arriver assez vite à Téhéran pour récupérer (nous l’espérons) notre visa ouzbek et enclencher celui du Turkménistan. Pour cela, aujourd’hui nous nous décidons pour l’auto-stop. Nous savons que cela ne sera pas simple pour deux raisons principales : le concept est inconnu pour la grande part des iraniens et les trajets en bus sont très bon marché. Après avoir chercher à sortir de la ville, un taxi nous dépose au terminal de bus (gare routière iranienne). A pied nous revenons à l’embranchement d’entrée de l’autoroute. Au culot, nous marquons Téhéran sur notre pancarte. A peine cinq secondes qu’une voiture s’arrête, incroyable ! Non, en fait le monsieur veut nous amener au terminal. Première tentative d’explication du concept d’auto-stop, avec en renfort des photos d’expériences précédentes. La personne ne comprend pas. Une autre voiture s’arrête, une autre incompréhension. On nous propose même d’aller déjeuner chez un passant quand nous disons «voyage sans argent ». Dans cette série d’échecs et d’explications non comprises, le plus insistant finit même par nous amener à un hôtel chic. A la réception nous expliquons en anglais notre démarche qu’ils traduisent à l’iranien. L’air éberlué il accepte de nous déposer à une station d’essence à la sortie de la ville. Nous nous plaçons avec notre pancarte. Même défilement de voitures, mêmes incompréhensions. Après plus de trois heures ainsi, à refuser d’être amenés au terminal, nous acceptons la proposition d’Ali de nous y conduire. Il connaît l’auto-stop, nous explique que c’est inconnu ici. Il parle dans un excellent anglais, négocie pour nous le prix du bus. Nous faisons notre premier selfie à sa demande et embarquons.

 

          Les VIP bus sont composés d’une rangée de double sièges et une d’un seul siège (comme la première TGV chez nous). Même si c’est écrit WIFI sur le pare-brise, il n’en est rien. A l’inverse la climatisation froide oui. Attendant le départ en retard, pour qu’ils remplissent un peu plus les places inoccupées, le monsieur devant nous se retourne. Barham est professeur d’ingénierie informatique à l’université. Plus tard il nous dira écrire aussi des poèmes, confirmant le goût des iraniens pour la littérature et la musique traditionnelle. Il voyage avec sa fille fille Sâba, 13ans, brillante et vive d’esprit. Nous échangeons tout le long du voyage. Il demande à un de ses étudiants des solutions de logements économiques sur Téhéran. Le trajet est long, 630km séparent les deux villes. Les étendues désertiques monotones se succèdent. Pourtant un détail, plutôt des milliers de détails se dénotent. Des déchets, plastiques ou métal, sont présents en pagaille le long de la route, s’envolent dans les terres. Même à l’intérieur des champs de cultures. C’est désolant. Ecoeurant de les voir ainsi jeter par dessus l’épaule. Nous comprenons la chance d’avoir eu cette prise de conscience nationale en France (sans que nous soyons encore un exemple irréprochable sur la question). Barham me passe son téléphone, à l’autre bout de la ligne Hossein (l’étudiant). La première impression est celle d’un homme débordant d’énergie et de gentillesse. Il voudrait nous accueillir mais il fait actuellement son service militaire, nous verrons. Au moins il nous propose d’aller prendre un verre avec un ami à lui qui accueille des français. Derrière nous, sur la ligne du lointain, se couche tôt le soleil.

           A peine apercevons nous la célèbre tour Asadi (de la liberté), symbole de la ville, que Barham nous dit de descendre avec lui, Hossein propose de venir nous chercher en voiture. Nous attendons quelques minutes sur le bord de la route, je savoure ces premiers instants pied à terre à Téhéran. Hossein arrive, c’est un beau jeune homme plein d’énergie, et comme tous les iraniens, il roule en peugeot 206 ! Entre Barbara, lui et moi se crée immédiatement un lien d’amitié ! Sa vitalité contagieuse allume notre bonheur ! Mon sac dans le coffre, celui de Barbara sur nos genoux, nous embarquons à cinq dans la 206. Le mythe de la conduite iranienne prend forme, les voitures occupent le moindre espace qu’offre la route. Comme des spaghettis que l’on passerait dans un tube fin, les files s’enchevêtrent de lignes de voitures désordonnées. Nous déposons Barham et Sâba que nous remercions grandement. Dans la foulée Hossein nous explique qu’il doit se lever chaque matin à 5-6h à cause de son service militaire et a des journées bien remplies, s’il n’y a pas de soucis pour nous, il veut bien nous accueillir chez lui. Cela nous convient parfaitement ! Nous déposons nos sacs dans son très bel appartement (où nous avons même la chance d’avoir une chambre pour nous) et filons rejoindre ses amis. Nous entrons sur la terrasse pour rejoindre une table de cinq personnes. Et là… Barbara reconnaît une des personnes ! Incroyable ! Maxime et Barbara avaient travaillé ensemble en animation à Quiberon il y a plusieurs années ! Cela fait peut être sept ans qu’ils ne sont pas vus. Magique ! La soirée est à l’image de cette retrouvaille, bienfaisante. Kévan, l’ami d’Hossein, nous apprend que le Théâtre est et a toujours été très important en Iran. Il connaît même un regain d’intérêt ces deux dernières années. Ils accueillent des spectacles étrangers. Par contre les conditions de spectacles sont qu’ils soient conformes aux lois islamiques du pays, donc hijab pour les femmes, pas de sujets tels que la politique, la religion ou la sexualité. Théâtre oui, mais théâtre censuré.

             Aujourd’hui 27 août, c’est dimanche donc nous pouvons aller récupérer nos visas ouzbeks. Dans le métro, c’est pire que la bousculade, comme des taureaux qui seraient lâchés dans une arène. Paris aux heures de pointe est bien plus simple. Pour Barbara c’est un peu plus facile aussi car le wagon des femmes est moins chargé (des wagons sont exclusivement réservées aux femmes, comme dans les bus d’ailleurs). Ensuite il faut supporter les vendeurs qui proposent de tout (petite liste non exhaustive : brosses à dents, chargeurs téléphones, bijoux, poissons lumineux en caoutchouc, sous-vêtements féminins, écharpes, chewing-gum, ceintures en cuir, chaussettes, balles rebondissantes….). Ils sont courageux de passer entre les corps entassés. En plus il y a une panne, je demande quelle direction suivre mais l’homme ne me comprend pas. Par contre il me serre la main et me fait un bisous sur la joue (signe de respect). Surprenant. Nous prenons un taxi au prix fort, mais nous risquons d’arriver en retard. A Téhéran, les chauffeurs ne connaissent pas la ville. Ils s’arrêtent tous les quatre coins de rues pour demander leur chemin. Le GPS local. Cerise sur le gâteau, il nous dépose à l’Ambassade alors que nous avions demandé le Consulat. Nous courrons, Barbara la main sur sa tête pour ne pas que son voile s’enlève, nous arrivons avec cinq minutes de retard. Mais pas de soucis nous pouvons encore récupérer nos visas, il n ‘est pas trop tard. Nous rencontrons Charif, un italien parti pour un tour du monde en vélo. Bonne nouvelle, notre visa ouzbek est là (plus de peur que de mal par rapport à la mésaventure à Istanbul) ! Nous avançons un peu la date d’entrée. Nous partons à l’Ambassade du Turkménistan (croisons une iranienne vivant à Toulouse sur le passage) . Arrivés, le monsieur à la porte : « No transit visa in September, only in October », comment ça pas de visa de transit en septembre ? Et pourquoi ? Sans raison ? Charif nous avait prévenu. Après recherches, il s’avère qu’il y a les Jeux Asiatiques, en tant que digne dictature, le régime ne prend aucun risque d’étranger non désiré… Sans le visa turkmène, comment allons nous rejoindre l’Ouzbékistan ?

             Pour nous consoler, nous mangeons un hamburger avec frites à 16h00. En Iran, on trouve même du cola des célèbres marques rouges ou bleues (puisqu’ils en produisent dans le pays…). Nous rentrons de cette longue journée, faisons des courses aux commerçants des environs de chez Hossein. Nous lui préparons le dîner. Arrivant vers 20h, il est heureux de notre initiative. Même avec 3h de sommeil, il garde cette incroyable énergie. Il est formidable, il parle en plus du farsi, anglais, allemand et assez bien le français. Ce qui est super chez lui, c’est que nous sommes sur la même longueur d’onde. Par exemple, la première chose qu’il ait dit à Barbara lorsqu’il nous avait introduit dans son appartement, c’est de faire comme chez elle (sous-entendu enlever le voile et s’habiller comme elle veut). Nous nous amusons avec les mêmes choses et partageons les mêmes plaisirs. Ce soir c’est un dîner entre amis. Nous mettons une nappe sur le tapis du salon, autour de ce dîner-pique-nique, nous échangeons de tout un tas de sujets. C’est un trait commun de la culture iranienne, ils aiment parler de politique, religion, société… c’est plaisant d’échanger nos points de vue sur autant de thématiques.

         Les deux journées suivantes nous les partageons entre travail sur le voyage, visites et bons moments avec Hossein. Première chose, comment rejoindre l’Ouzbékistan sans passer par le Turkménistan ? 3 solutions : 1 prendre l’avion depuis Téhéran, mais nous voulons éviter celui-ci et en plus il n’y a pas de vol direct et c’est très cher. 2 : passer par l’Azerbaïdjan, problème nous avons traversé l’Arménie et les deux pays sont en conflit et cela fait encore un sacré détour. 3 : L’Afghanistan, mais là c’est malheureusement trop risqué. Alors c’est décidé, nous retenons la 2nd option de l’Azerbaïdjan, d’où nous prendrons un ferry pour le Kazakhstan et passerons ensuite en Ouzbékistan ! L’après midi, nous nous lançons à la découverte de la capitale. Téhéran est assez mal aimée par les iraniens du fait qu’elle est pleine de monde, d’embouteillages et pour certains sans charme. Cependant les iraniens de notre âge ou étudiants l’aiment pour son ouverture d’esprit, elle est plus cosmopolite que les autres villes d’Iran. Dans le métro, comme dans la rue, nous découvrons des iraniennes « fashion », portant leurs voiles à l’arrière de la tête, découvrant presque la totalité de leurs chevelures. Elles passent leur temps à le remettre en place car il glisse. Elles sont élégantes, talons, pantalons moulants sous leurs tuniques longues, bien (trop parfois) maquillées. Elles conduisent avec de grandes lunettes de soleil ce qui leur donnent un coté actrices des années 50 avec leurs foulards sur la tête. Nous avons aussi beaucoup de regard sur nous mais différents de ceux de Tabriz, ici, avec nos vêtements de voyageurs nous faisons un peu pouilleux. Notamment, le pantalon large et pleins de couleurs de Barbara détonne parmi tous les jeans slims foncés. Nous allons visiter le palais du Golestan qui signifie le palais des fleurs (débuté au XVIème siècles). La décoration de l’enceinte est très belle, avec de nombreuses mosaïques, pour la plupart peintes de motifs floraux sur fonds de multiples couleurs. L’architecture est harmonieuse. Nous y croisons un cordonnier à la retraite qui occupe ses jours en apprenant le français et qui souhaite le pratiquer quelques instants avec nous. A l’intérieur du hall de réception, nous sommes subjugués. Les Mille et une nuits prennent ici un sens du plus bel éclat. Une grande salle blanche, avec sculptures d’ivoire, parées d’une multitude de miroirs en petites formes géométriques. Cela scintille de toutes parts. Les grands lustres centraux rajoutent à la splendeur de la pièce, sans compter les cadeaux /chefs d’œuvres de cultures lointaines. Évidemment, le trône est un bijou d’orfèvrerie. Le palais est une belle visite, nous découvrons d’autres pièces ainsi décorées. Toujours impressionnants. Plus tard nous essayons de prendre des tickets dans un théâtre, mais il faut faire l’achat via internet (notre carte ne le permet pas). Le soir, Hossein nous fait découvrir les pistaches avant qu’elles ne soient séchées. Nous mangeons également avec Kévan un délicieux plat préparé par notre Hossein. Il nous apprend à lire les chiffres perses, essaie même pour l’alphabet. Lorsque nous lui disons que nous partons, nous lui brisons le cœur, mais nous le rassurons très vite. Nous repasserons par Téhéran.

           Cap au sud pour la courte étape de Kashan, aux portes du désert. Ville réputée traditionnelle d’un point de vue religieux. L’auto-stop nous manque, mais dans un pays où le concept est presque inconnu, nous choisissons le « confort » relatif du bus. De plus, la chaleur est étouffante sans un brin de vent. Pour beaucoup, en t-shirt cela serait déjà éprouvant alors en pantalon, chemise longue et voile sur la tête, c’est à la limite du soutenable. Nous comprenons mieux pourquoi les iraniens prennent toujours le taxi plutôt que de marcher. D’ailleurs l’air conditionné tourne partout à plein régime. La route est très belle, à droite des bas reliefs aux variantes marron foncé, de l’autre une étendue désertique à perte de vue où le train crée une parallèle provisoire à l’horizon. Arrivés à destination, les mères nous disent de descendre, mais les chauffeurs nous disent que c’est plus loin. Astuce pour nous contraindre à prendre le taxi. Nous refusons, même si celui-ci veut gratuitement nous offrir une tranche de pastèque en cadeau de bienvenue. Avec Lee le chinois qui était dans notre bus, nous traversons à pied une ville sans âme qui vive, hormis quelques mobylettes comme signes de vie au milieu de maisons inachevées. La seule habitante de ces rues est la chaleur brûlante. La marche est longue, nous arrivons enfin vers le centre. L’air y est plus frais et les passants nombreux. L’hôtel est un peu cher, mais Lee qui passe après nous nous démontre qu’il est possible de négocier. Il baisse le prix de son lit de moitié ! Leçon retenue. Depuis que nous sommes arrivés en Iran, dès que nous achetons, ou payons quelque chose, Barbara soutient que nous payons le prix fort et qu’il faut négocier. N’ayant pas l’habitude de ce genre de pratique, nous payons ce qu’on nous demande mais Barbara propose que nous nous mettions à négocier les prix quand nous les jugeons plus élevés. Première pour moi ! Nous découvrons qu’en Iran tout se négocie : le taxi, le bus, le prix des chambres d’hôtels, sauf les restaurants. Barbara a déjà appris en Chine d’un marocain d’une soixantaine d’années, elle me fait un petit cours sur le sujet qui nous servira beaucoup pour la suite dans la plupart des pays que nous traverserons. Revenons à Kashan, nous découvrons que notre chambre est en sous-sol, pour atténuer la chaleur, mais ce n’est pas très agréable car sans ouverture. Nous prenons le temps de nous rafraîchir.

      La chaleur redescendue, nous nous hasardons à travers les rues. A peine plus grandes que l’espace d’une voiture, faîtes de murets en biseaux et de sable comme revêtement au sol, on voyagerait presque dans le temps (ou dans une galaxie très lointaine sur Tataooine dans Star Wars) s’il n’y avait pas autant de mobylettes. Leurs moteurs pétardant rompent le silence du vent. Une s’arrête, quand le monsieur apprend que nous sommes français « Marseille, Platini, Zidane… ». Il nous fait bien rire. En nous offrant des prunes il ajoute « Muslims and Catholics are friends ». Il repart. Nous nous laissons aspirés par les tournants des rues labyrinthiques. Au dessus d’une ouverture, sur un panneau éclairci par le soleil est écrit « silk weaving » (tissage de soie). Nous passons la tête, on nous fait signe de rentrer. Nous descendons dans une salle usée, respirant les heures passées. Trois hommes, chacun avec sa machine à tisser. Leurs visages sont magnifiquement burinés par le temps, leurs cheveux gris un charme supplémentaire. Devant eux de superbes métiers à tisser d’antan, des poulies, des planches de bois, des cordages, des fils et une pièce en cours de réalisation. La mécanique de ces métiers à tisser est une fascination pour l’œil et l’oreille. Avec les pieds, les tisserands appuient alternativement un côté puis l’autre, d’une main tire un cordage de l’autre une planche de bois. Et cela fait des clac-cloc-clac…clac-cloc-clac en rythme. Le tapis mystérieusement tissé est un secret des âges.

          Plus loin, c’est Ali, la vingtaine, qui nous offre une petite visite de la ville en échange que nous l’aidions à pratiquer son anglais. Il nous fait visiter la mosquée vieille de 200 ans. Il nous explique que les deux colonnes qui bordent la coupole symbolisent le.a croyant.e musulman.e en train de prier (avec les deux mains devant). Il nous éclaire sur le fonctionnement de la madrassa (école coranique). Il nous guide au bazar, nous explique l’importance des bijoux pour les iraniens qui en sont friands. D’ailleurs pour un mariage en Iran, les familles doivent tout fournir aux jeunes mariés. Nous avions déjà constaté que les iraniens aiment les belles choses, les beaux appartements, les beaux vêtements. Au centre du bazar, en lieu et place des anciens bains, nous mangeons un délicieux repas à base d’aubergine. Vraiment délicieux et incroyable saut dans le temps grâce au décor qui évoque un lointain passé fait de caravansérails et de merveilles.

          Après l’avoir quitté, nous flânons à travers les boutiques. Dans un atelier de poteries, Barbara explique que sa maman en fait aussi. Ils essaient de nous expliquer quelque chose. Nous ne comprenons pas, alors le monsieur nous fait signe de le suivre. Il ouvre une porte qui donne sur un escalier ascendant obscur. Nous le suivons comme nous rentrerions dans un rêve, à petits pas sourds dans le noir. Nous débouchons sur les toits du bazar ! Incroyable ! Avec le monsieur, nous faisons une quinzaine de mètres sous cette nuit étoilée. Les lumières de la ville brillent devant nos yeux, la coupole de la mosquée est toute illuminée de vert. Toute l’étendue du bazar est visible avec les ondulations de ses dômes. De même que Kashan, ville de sable, ville d’étoiles. Quelles beautés ! Quel émerveillement s’inscrivant dans nos mémoires. Nous partons nous coucher avec ces illuminations persistantes sous nos paupières, demain nous rejoindrons la célèbre Isfahan.