Rencontre et Spectacle d’Ima Tenko

HISOKU – Ima Tenko

Jeudi 14 décembre 2017 – Théâtre Butoh-Kan, Kyoto, Japon

Danse – Japon

Rencontre avec Ima Tenko autour du spectacle Hisoku

Introduction

Crédit photo: Nakamura Kyo

              Le Butō est une danse qui cherche à atteindre une pleine conscience au monde. Le travail d’Ima Tenko se déploie à travers différents axes : spatiales, temporels et corporels. Son style de danse est plus « brut », plus « frontal ». C’est à partir des recherches d’histoires passées qu’elle chorégraphie et danse. Voici sa note d’intention :

Le Butoh-kan, cet entrepôt de terre qui a survécu aux assauts de la ville pendant plus de 150 années, échappant aux intempéries, aux incendies et des émeutes. C’est comme si le lieu était sacré, protégé par la divinité de l’Eau. Suivant les aspirations des générations, je voudrais présenter une danse de Butoh qui offre l’énergie pure et limpide de l’eau, qui est la grande source nécessaire de toute vie et guérisseuse des êtres.

Hisoku est une couleur japonaise. C’est celle d’un mystérieux et merveilleux émail de la porcelaine de Céladon, qui après être cuit au four et miraculeusement transformé par les flammes devient un bleu turquoise particulier. Pour moi, l’Hisoku est lié à des images aqueuses: sources d’eaux, cascades, larmes … Au Japon, les couleurs ne sont pas seulement des noms de teintes, mais elles sont profondément liées à des sentiments délicats, des prémonitions, des intonations et des affections.

Je voudrais emmener le public au plus proche des profondeurs de tout ce que nous entendons et nous voyons.

Le Butoh est une danse avant-gardiste, pourtant elle est imprégnée d’anciennes postures physiques japonaises qui sont uniques (un héritage de « l’être dansant » nippon). Avec les nombreuses rencontres faîtes dans ce théâtre et en souhaitant que chacun y vive sa propre expérience, je danse avec tout mon cœur et avec toute mon âme.

Ima Tenko

Été 2016

Entretien avec Ima Tenko

            In medias res Ima Tenko est une femme forte, une présence affirmée acquise au fil des années. Son expérience est longue. Pour l’entretien elle a amené plein de documents comme des photographies, des brochures passées, des affiches de ses spectacles. Elle a été la première artiste à rejoindre l’aventure du Butoh-kan.

           Au collège et au lycée elle faisait du collage et de la peinture. De même, elle participait à un club de théâtre qui se voulait expérimental, disons « underground ». Elle a ensuite été diplômée en sciences humaines et anthropologie. La compagnie de Butō Byakko-Sha a organisé un stage sous forme de camp à Kyoto. Elle y a participé et restera membre de la compagnie de 1980 à 1994, jusqu’à la fin du groupe. Elle s’y forme auprès d’Isamu Osuga (qui avait été élève de Tastumi Hijikata, l’un des fondateurs du Butō). C’est ainsi qu’Ima Tenko est devenue danseuse de Butō, qu’elle a développé initialement sa pratique.

         Les membres de la compagnie Byakko-Sha vivaient tous ensemble. En plus de participer en tant que danseuse, elle aidait à la mise en scène et à coordonner la création des costumes. La compagnie a beaucoup voyagé dans le monde, sur tous les continents (pour plus d’informations, il existe le livre Butoh : Shades of Darkness). Ils ont joué dans plusieurs pays. De même, ils faisaient de nombreux happenings dans les lieux publics, sur les places des centres-villes où quelquefois les forces de l’ordre venaient les chercher. C’était une époque où le Butō était de l’Avant-Garde, une danse à contre-culture.

Crédit photo: Kohara Yuji

        A la suite de la séparation du groupe, Ima Tenko fonde sa propre compagnie Butō Company Kiraza (renommée ainsi en 2014). Une des membres majeures de Byakko-Sha étant partie sur Tokyo, elle lui laisse le studio de Kyoto pour qu’elle puisse y travailler, continuer ses recherches sur le Butō. A partir de 1999, elle commence à ouvrir des ateliers pour la pratique de cette danse. Pour Ima Tenko, le Butō est un travail qui comportent plusieurs facettes. La méthode et la technique sont très importantes, mais également l’esprit et la philosophe de cette danse. Une de ses pistes premières pour l’inspiration d’un projet est de s’imprégner du lieu spécifique où elle donnera la représentation. En lisant l’atmosphère de l’espace, en se confondant dans la mémoire de l’endroit à travers une recherche sur le passif. Ima Tenko s’intéresse sur ce qui s’est passé à d’autres temps dans l’espace, dans la ville, sur les habitudes de vies des époques. Ensuite elle se retourne vers elle pour faire son travail d’artiste.

         En parallèle des informations recueillies sur le lieu, c’est à travers une recherche intérieure, en s’interrogeant intensément qu’elle crée progressivement le spectacle. Pour Hisoku, elle a élargi ses questionnements jusqu’au champ historique de la ville de Kyoto. Notamment aux parts

Crédit photo: Kyo Nakamura

d’ombres de son Histoire, plus précisément celles concernant les prostituées, les geishas et les meikos (personnages féminins contemporains virtuels des vocaloids). La question du féminin est centrale dans son travail. De même, elle se sent très proche du travail des chamans (qui étaient très nombreux auparavant au Japon). Entre ces différents êtres, leurs spécificités, elle tisse des liens qui nourrissent sa danse.

        Il est prégnant de voir comment la Femme a une importance transversale dans son travail. La Femme Universelle et dans l’Histoire du Japon. Elle nous confie qu’elle veut que ses spectacles soient comme un cadeau à celles qui ont souffert et souffrent aujourd’hui. C’est ainsi qu’elle envisage la première étape de ses créations, ensuite tout découle naturellement dans le cadre du Butō. Quand elle a créé le spectacle Hisoku, elle a échangé énormément avec le producteur du Butoh-kan Keito Kohara car elle voulait pousser sa réflexion très en profondeur. Ici, dans le Kura du Butoh kan, elle a cherché les résonances contemporaines de la mémoire du lieu. D’autant que de nombreux étrangers viennent voir les représentation, il lui tient à cœur de représenter son approche personnelle du Butō.

     Les costumes sont crées par Imamura Genta, la musique est jouée par un ensemble Okaeri Shimai (spécialisée pour le Nagauta, genre musical qui accompagne traditionnellement le Théâtre masqué Kabuki) composé de Hayashi Mayumi et Miyazato Arisa qui jouent du shamisen (instruments à trois cordes), rejoignent son idée. D’un côté les costumes, le premier est comme un reflet intérieur d’âmes abîmées, c’est un kimono effiloché et détérioré. Alors que le second arbore un magnifique

Crédit photo: Kyo Nakamura

tissu de couleur bleu Hisoku. De l’autre côté, la musique à corde, par le jeu pincé sonore et la tension des cordes très tendues, crée une atmosphère à la fois mystérieuse et presque crispante.

 

            Ima Tenko a une approche très philosophique du corps, c’est une exploration très poussée qui la rapproche d’une certaine manière des racines de sa vie. Elle n’a de cesse de s’interroger toujours plus. Avec l’âge, elle découvre d’autres aires et espaces de connaissances qu’elle entend partager avec le public. Le Butō est cela pour elle, la transmission d’un savoir à travers la danse. Dans le cas précis d’Hisoku, elle cherche à dévoiler ce qu’elle a appris du lieu (le Kura) et que personne n’a jamais vu.

        Lorsque nous l’interrogeons au sujet de l’évolution du Butō, elle commence en soulignant que lorsque le Butō a été crée, elle n’était pas encore née. Elle file une métaphore en expliquant que la danse du Butō a comme été un champ qu’elle a participé à cultiver et que maintenant des fleurs ont poussé du travail de chacun. Elles peuvent être librement cueillies pour ouvrir de nouveaux espaces. Dorénavant c’est le Japon, le monde entier, qui a besoin (doit) planter de nouvelles fleurs dans différents champs pour continuer à faire grandir ce champ d’origine. Dans tous les cas, elle poursuivra son travail de chorégraphe et danseuse de Butō. En somme, elle continuera à semer des fleurs.

       Les artistes les plus reconnus du Butō étant des hommes, nous la questionnons sur les difficultés que pourrait représenter le fait d’être une Femme. Ne le cachons pas, c’est une question un peu sensible au Japon la l’inégalité entre les sexes est forte (dû à une conception encore aujourd’hui très conservatrice du rôle de chacun…). Ce qui induit que ça a toujours été les femmes qui en faisaient le plus. Au commencement, le Butō était une danse pour montrer les corps, notamment celui des hommes (dans l’exemple de la compagnie Byakko-Sha, les femmes s’occupaient aussi des repas, la vaisselle…). En tant qu’artiste, elle ne cache pas qu’elle a eu de nombreuses difficultés (ce pourquoi de nombreuses artistes femmes ont arrêté), certainement plus que si elle avait été des hommes. Elle en a beaucoup souffert, mais elle pris cette difficulté pour pousser plus loin sa voie d’expression artistique. Lorsque la sœur de Tatsumi Hijikata est morte, il en a été très affecté. Finalement, le danseur a dit que l’âme de sa sœur était venue vivre à l’intérieur de son corps. Le Butō est une danse imprégnée de la Féminité.

A propos du spectacle Hiroku

            Le noir se fait, quand la lumière renaît Ima Tenko est là. La peau très blanche, les paupières légèrement fardées de rouge. Son costume est un kimono abîmé, effiloché. Tel un tissu qui a

Crédit photo: Kyo Nakamura

traversé les époques, comme un reflet physique d’âmes inconnues détruites. Néanmoins, le(s) personnage(s) s’emploie(nt) à conserver l’élégance du geste. Amples et gracieux, le mystère du regard bref cherchant à rencontrer celui du spectateur. Cette énergie est entrecoupée de moments bruts et durs. Alors le personnage devient autre, attentif à des signes invisibles, à des voix inaudibles qui marquent son visage d’un sourire douloureux, crispent son regard d’un tourment palpable. Les mouvements deviennent moins fluides, plus des attitudes tranchées, les pas plus saccadés. Puis, à nouveau l’énergie du geste gracieux l’habite à nouveau. Les sourires cherchant à plaire chargés d’une tristesse se souhaitant heureuse.

        Deux musiciennes (Hayashi Mayumi et Miyazato Arisa) accompagnent le spectacle. La tension devient de plus en plus palpable au son des shamisens, comme si les temps passés imprégnaient le

Crédit photo: Oliver Halsman Rosenberg

lieu et le corps de la danseuse. Le kimono devient trop pesant. Un long silence qui aboutit sur un puissant cri. Cri des mémoires. Indéniablement, le spectacle s’articule autour de mémoires libérées de femmes à travers le corps d’Ima Tenko. La Femme réduite à son rôle de « beau sexe » aspire à d’autres volontés. Hisoku est un spectacle fort, bouleversant. D’une intensité traversante.

         Nous remercions chaleureusement Ima Tenko pour le temps accorder à cet entretien. Également un grand merci à Abel Coelho pour son précieux accompagnement dans la traduction des questions/réponses.

Hisoku : Les jeudi à 18h et 20h au théâtre Butoh-kan.

Plus d’informations sur : http://www.butohkan.jp/p_01.html