Arménie

Du 22 août au 24 août : L’arménie – Erevan (Yérévan), Agarak

La belle Arménie

                Nous avons quitté Tbilissi, capitale de la Géorgie, à bord du train de nuit rejoignant Erevan, capitale de l’Arménie. Après la frontière franchie au milieu de la nuit, nous nous réveillons avec les premiers rayons du soleil sur les beaux paysages de l’Arménie.

              Par la fenêtre du train, nous voyons les couleurs changer au fur et à mesure que le soleil se lève. Du bleu nocturne, le rose pâle passe par l’orange pour découvrir une campagne très rurale, faite principalement d’étendues de terres séchées et craquelées par un soleil trop dur avec elle. Les villages que nous croisons semblent aussi asséchés que la terre qui les porte. Avec la lumière solaire entrante, les couchettes voisines reprennent lentement vie. Les passagers se réveillent, réveillent les plus jeunes d’un sommeil trop court. Ils refont leurs sacs, les premiers passages aux toilettes pour se rafraîchir la mine ébouriffée. Nous apercevons une grande montagne solitaire avec le sommet enneigé, dressée fièrement dans au milieu des embruns orangés du lever du jour. Margot (rencontrée la veille) nous dit en arménien quel est son nom, son importance. Sa fille nous traduit en anglais. C’est le mont Ararat, la montagne où Noé aurait posé l’arche après le déluge. Il est là, pendant un certain temps à la fenêtre avec nos yeux ne le quittant plus. Les trains de nuit ont cette beauté en paradoxe, les visions de rêves commencent quand le sommeil s’achève. Nous échangeons avec Ani et sa mère Margot, notre voyage les fait beaucoup rire tant il leur semble une folie (elles trouvent déjà le trajet Batumi-Erevan trop long, alors de l’autre côté de la terre elles n’imaginent pas). Peu de temps après, nous arrivons à Erevan. Une photo et un au revoir chaleureux à nos voisines de lits et nous voilà dans la gare de la capitale arménienne.

           Il y a des aventures comme celles-ci, où nous n’aurions jamais pensé visiter l’Arménie. Nous n’avions pas prévu de traverser ce pays, mais notre détour pour le visa russe nous a amené ici. Il est 7h du matin et nous marchons dans les rues désertes de Erevan (ou Yérévan comme disent les arméniens) à la recherche d’une auberge où poser nos sacs. La ville est encore endormie. Nous retirons aussi nos premières drachmes (monnaie locale). Après une petite marche matinale d’une trentaine de minutes nous trouvons une adresse. Sympathique auberge de jeunesse avec un excellent petit-déjeuner, des lits confortables et des douches propres. C’est royal. Nous demandons à prendre le petit-déjeuner aujourd’hui à la place de celui du jour où nous partirons car nous nous lèverons trop tôt. C’est d’accord.

          Propres et le ventre plein, nous partons à la découverte de la ville. Lily, la jeune femme qui tient l’auberge nous prévient : il n’y a pas grand chose à visiter dans le centre. L’Arménie est plus connue pour ses monastères et sa nature. Commençons par vous parler un peu de l’histoire de l’Arménie. C’est une très ancienne culture et le berceau du christianisme. Historiquement et culturellement le pays est considéré faisant partie de l’Europe. Mais l’Arménie actuelle ne représente qu’un dixième du territoire historique. La République d’Arménie devint indépendante en 1991 à la chute de l’Union soviétique. Souvent nous ne connaissons hélas qu’une partie de son histoire, celle du génocide arménien qui a eu lieu de 1915 à 1923. Les turcs ont déporté et exterminé les arméniens vivant en Turquie. Une purification ethnique et religieuse. On estime qu’il y a eu aux environs d’ 1 247 200 disparus durant le génocide, c’est-à-dire 77 % de la population arménienne de l’époque. Le génocide n’a jamais été reconnu par la Turquie mais une trentaine de pays dont la France l’ont reconnu. La France a de bonnes relations avec l’Arménie, les arméniens nous portent dans leurs cœurs et l’évocation de Charles Aznavour nous vaut des sourires à chaque fois.

          Nous marchons dans la capitale au hasard. La ville pourrait être une capitale européenne, mais elle garde son caractère. Grandes avenues, parcs fleuris, des bâtiments très massifs plus ou moins récents. Ce sont ces derniers qui font l’identité singulière de la ville. Les églises arméniennes paraissent être des pliages papiers. Il y a des bâtiments avec un visuel si singulier qu’ils seraient étonnants dans n’importe quelle ville. D’autres datent de l’époque soviétique, comme ces grands blocs d’habitations, ou l’Opéra, en déclinaisons de gris et très épuré dans sa forme. Aucune moulure ou sculpture murale, les façades sont lisses et grises. Nous nous arrêtons dans le parc qui y fait face afin de le dessiner. Après quelques minutes, nous constatons que son architecture est plus complexe qu’elle n’y paraît, cela nous prend un certain temps à dessiner. Après le déjeuner, nous rentrons et nous nous endormons pour une très longue sieste dans les lits moelleux. Le soir, nous mangeons une bonne soupe arménienne sur un air de La Bohème en arménien et en voix féminine.

         Le 23 août, nous profitons de notre matinée pour écrire les articles sur le festival de théâtre de Sibiu en Roumanie où nous étions allés en juin. Ensuite, nous sortons. La chaleur nous enveloppe immédiatement. Dans les rues, nous remarquons comment les arméniens sont de belles gens. Les rides des personnes âgées semblent des histoires instantanées qui se racontent à l’œil. Les plus jeunes, souvent élancés sont élégants. Notamment les filles avec leurs yeux amandes et leurs cheveux très noirs. Autre chose notable dans les rues, le nombre de voitures en panne. Très souvent le capot ouvert, deux-trois hommes le dos courbé dans le moteur d’une lada bidouillent ce qu’ils peuvent. C’est régulier, au point qu’on les surprend parfois en pleine rue à pousser une voiture ayant soudainement cessé de fonctionner. De notre part, nous nous décidons pour aller faire l’ascension d’un monument particulier qui s’appelle La Cascade. Au pied de celui ci, un parc rempli de plusieurs sculptures issues d’Alice au pays des merveilles. Puis c’est la Cascade, une suite d’escaliers monumentaux avec différentes sculptures sur les paliers et qui abrite en dessous le centre d’art contemporain (un escalator facilite la montée). De là haut, nous voyons une partie de la ville. C’est incroyable comment Erevan semble être seule au milieu de nulle part. Par delà les bâtiments, c’est une étendue sans autre ville visible. Mais ce qui nous intrigue le plus est qu’en descendant, il y a une quantité incroyable de militaires en tenue de parade. Est-ce le 14 juillet arménien ? Ils sont tous excités et attendent quelque chose, eux avec leurs grandes casquettes bien rondes. Les différents uniformes nous renseignent qu’il y a plusieurs corps de l’armée. Ils font quelques répétitions sur les marches, prennent des photos signe qu’ils sont fiers d’être là. Nous essayons de nous renseigner mais c’est sans succès, nous ne saurons pas de quoi il s’agit. Ce qui nous amuse le plus est une scène prête, micros, sono, projecteurs aux couleurs de l’armée. Là où d’habitude nous mettons du coton gratté noir pour cacher ce qui doit l’être, des couvertures de camouflages endossent ce rôle. Sûrement que le soir il y aura un très grand événement en lien avec l’armée. Nous préférons jouer avec les sculptures du parc, déguster une soupe et des légumes grillés avant d’aller nous coucher.

          Nous nous levons très tôt, notre objectif est de rejoindre Tabriz en Iran aujourd’hui. C’est à dire plus de 500km avec un temps de trajet estimé à plus de 10h (la route ne doit pas être toute lisse et toute droite…). Malheureusement, cette étape arménienne n’était pas prévue. C’est à regret que nous devons nous dépêcher tant l’Arménie nous donne envie de plus la découvrir. Pour traverser le pays, deux solutions. Première : le VIP bus direct mais qui est très cher. La seconde solution est un marshrutka (fourgon aménagé avec sièges passagers) jusqu’à la frontière puis un taxi. Nous avons choisi la seconde pour son prix très économique qui à coup sûr nous permettra de faire la traversée en compagnie d’arméniens. Comme à notre arrivée, nous traversons Erevan endormie. Derrière la gare, nous trouvons le marshrutka avec sa petite communauté de passagers qui attendent. Le chauffeur nous fait signe de faire de même. Avec le nombre de personnes nous ne savons pas s’il restera de la place pour nous. Il entasse tout ce qui peut l’être dans le coffre, fait rentrer les personnes. Pour nous, au moment du départ, il prend nos sacs et les met l’un sur l’autre dans l’espace central, l’un d’entre nous doit faire le trajet assis dessus. 10h de trajet. Nous nous relayons sur ce siège improvisé. Notre minibus est plein à craquer. Nous transportons en plus des passagers les colis, les bagages, les légumes, les fruits et même une baignoire pour bébé. Cela rappel à Aurélien les voyages de son enfance au Portugal avec sa grand-mère, qui n’était en réalité qu’un échauffement ! Chaque place est prise. Pour résumé nous sommes 22 pour 15 places. Le plus impressionnant sont les femmes qui sont 3 avec 4 enfants sur une banquette de 4 places. Elles sont patientes, joyeuses et prennent même soin de nous en nous proposant des petits sandwichs et des bonbons. Aurélien a même le droit a un triangle de fromage semblable à la vache qui rit, il est heureux (dans sa famille, un long voyage sans vache qui rit serait comme une pizza sans pâte). Les hommes sont plus pépères à l’arrière, ils dorment serrés les uns contre les autres. Le trajet commence, le téléphone du conducteur aux yeux bleus n’arrête pas de sonner. Il répond agacé. Nous prenons l’autoroute. La voie d’arrêt d’urgence est reconvertie en étalages de légumes pour la vente, pots de miel, garages mécaniques à ciel ouvert et arrêts de bus. Nous nous arrêtons 3-4 fois, ceux qui attendent ont de gros bagages. Ils se prennent la tête avec le conducteur car il n’y a plus d’espace disponible, eux veulent rentrer mais d’un point de vue volumétrique la question est réglée. Reste le toit du véhicule qui est inoccupé. Ces joutes verbales agacent le conducteur pourtant très gentil (il fera passer une petite fille devant malade de la route et en prendra soin tout du long). C’est une personne très prudente, précautionneuse dans sa conduite. Nous tournons sur la gauche, nous quittons la longue route pour en prendre une très ascendante. Nous progressons vers des paysages qui deviennent de plus en plus secs, plus escarpés, de déclinaisons de couleur terre. Parfois verts. L’asphalte perd en qualité, tout troué et boursouflé, les sièges inconfortables de trop d’usure ou l’assise de nos sacs sont tout tremblants. Mais au fur et à mesure de notre progression les paysages s’embellissent.

         La curiosité de notre présence amusent les arméniens. C’est à petit pas de velours que nous nous approchons les uns et autres. Avec les mères et les enfants cela a été plus facile. A un premier arrêt, au milieu de montagnes rocheuses, un café entre quatre murs blancs et une boîte de streap-tease (toujours en activité ici au milieu de nulle part?), ils nous interrogent : Chili ? Argentine ? Non France. Aznavour est le mot magique déclencheur de sourires une nouvelle fois. Nous continuons, la route s’enroule de virages. Nous croisons des villages, bordons des cols que nous grimpons et descendons. A travers la fenêtre, l’association du bleu azur et du brun clair de la terre est superbe. Des apiculteurs vendent le fruit du travail de leurs ruches. Plus tard, nous nous arrêtons à la boulangerie d’un village, une mère nous offre un pain. Mais voilà que le conducteur aussi. Impossible de refuser tant cela leur fait plaisir et nous aussi. Tout le marshrutka est hilare de nous voir avec ces deux grandes galettes sans savoir quoi en faire. Nous les mangeons pour déjeuner, c’est délicieux. Les heures passent et les paysages défilent. Petit bémol, les gens jettent leurs déchets à travers les fenêtres. Nous croisons un grand nombre de camions dont les compteurs ne doivent pas contenir suffisamment de cases pour encaisser tous les kilomètres parcourus. Des voitures de toutes sortes, de touts âges. Des paysages vallonnés se succèdent aux vallées. Puis nous découvrons des montagnes magnifiques escarpées. Les sommets ressemblent à de la dentelle. La couleur ocre domine l’ensemble, nous comprenons alors la couleur de la bande orange sur drapeau national. Notre marshrutka monte péniblement les longues côtes mais descend avec plaisir. Des rapaces apparaissent parfois dans le ciel, grandes ailes déployées. Le plus spectaculaire restera les quelques chevaux sauvages, libres au milieu de ces étendues. A l’inverse, nous sommes définitivement adoptés par tous, et notamment le papi à côté de nous. Ce trajet en marshrutka donne ses lettres de noblesse au voyage en commun.

          Il est 16h30, nous arrivons à Agarak, ville arménienne frontalière avec l’Iran. Nous les remercions tous chaleureusement. Sur nos corps endoloris du trajet, nous chargeons nos sacs. Nous cherchons un endroit pour manger avant d’entamer les 4km de marche qui nous séparent de l’Iran. Les montagnes du coté iranien sont incroyables. En dents de scies. Nous les regardons comme une promesse du pays à venir, que nous souhaitons fait de merveilles telles les mille et une nuits. Dans cette ville aux bâtiments de briques brûlées par le soleil, peu sûrs de la direction, nous demandons à un homme d’une soixantaine d’années : « Iran border ? ». Il nous fait signe que oui, c’est par là. Il nous propose « Machine ? », d’y aller avec sa voiture. Nous déclinons, mais il nous propose de nous y accompagner. Quand nous lui disons que nous sommes français, c’est le soleil et les étoiles dans ses yeux bleus. Alors que nous croisons une vache au milieu de la route, nous lui demandons où nous pouvons trouver un restaurant. Il nous répond qu’il n’y a pas de restaurant, il nous dit « Dom ». Il insiste et il nous fait comprendre de venir manger chez lui. Alors nous voilà en route pour chez lui. Au passage, il nous montre sa voiture au pied de son immeuble, belle lada orange et toute propre. Nous montons les étages sans lumière, nous nous déchaussons. L’intérieur de chez lui est très coquet et propre, avec ce charme vieillot en plus.

         Il nous installe à la table de la cuisine. Son fils, la trentaine, vient à notre rencontre. Ni bonjour ni salutations, il engueule son père qu’il traite de fou et d’irresponsable. Il revient plusieurs fois à la charge, mais le père qui a des mimiques de De Funès nous dit de ne pas prêter attention. En réalité le fils, qui travaille dans l’armée, est persuadé que Aurélien est turc. C’est à dire l’ennemi historique ! Il ne veut pas croire qu’il est français et part en colère. La gentillesse du papi contraste totalement. Nous nous excusons mais il nous répond de ne pas nous en faire. Il nous sert un repas, il est simplement heureux d’avoir des français à table. Notre voyage l’amuse. Après le café, nous faisons une photo et hop en selle dans la « machine ». Starter en route, nous roulons en 2nd maximum sur une route plus adéquate pour un 4×4. Nous nous arrêtons, il veut nous montrer son potager. Nous avons droit à la dégustation de figues, grenades sucrées et amères. Il prend des sacs plastiques pour les remplir de fruits pour nous. Nous essayons de l’arrêter tant il en remplit les besaces, mais sa bonne humeur est inarrêtable. Nous en rigolons. Une photo ? Étonnamment, alors qu’il est tout le temps souriant, lorsqu’il prend la pose, il ne sourit pas et pose très sérieusement. Presque gravement. Nous retiendrons son rire et ses yeux bleus brillants de joie. Cette fois nous y allons. Retour dans la belle lada orange.

          Devant le poste de frontière, nous voulons lui donner nos dernières drachmes car elles ne nous serviront à rien. Impossible. Nous essayons de lui expliquer qu’il nous a donné trop de fruits. Impossible aussi d’en enlever. Avec facilement 2 petits kilos de figues et 4 kilos de grenades, nous remercions grandement ce grand cœur d’homme. Il est ému, et nous aussi de tant de simplicité et de générosité. L’Arménie a été courte mais intense humainement. Nous reviendrons. Les sacs de fruits dans chaque main, nous marchons vers l’Iran.