Laos

Du 11/03/2018 au 19/03/2018 LAOS: (Paksé) – Vientiane – Vang Vieng – Luang Prabang

La quiétude avant le géant

            C’est la mémoire pleine de magie d’Angkor et de sourires des cambodgiens que nous sommes partis en mini-bus de Siem Reap. Nos passeports viennent de recevoir le tampon de sortie cambodgien, maintenant il nous faut obtenir celui d’entrée sur notre visa laotien. Ici, la frontière est réputée corrompue et nous souhaiterions éviter de nous y soumettre…

          Le reste du groupe n’est pas encore passé alors que nous nous présentons tous les deux au guichet laotien. Nous nous introduisons avec un « Sabaïdi » (bonjour) franc, auquel nous répond en anglais le douanier « You have to do your visa first » (souvenir immédiat de l’arnaqueur espagnol qui nous expliquait que les laotiens ne parlaient pas anglais, pire qu’aucunes informations n’étaient traduites ce qui est évidemment faux…). En réponse nous lui montrons nos visas en ajoutant « kaluna » (s’il vous plaît), il prend nos passeports et nous dit tout aussi sèchement que la première fois « 2 dollars each one ». Deux dollars chacun, c’est exactement ce que nous ne voulions pas entendre. Nous lui demandons quelles sont les raisons de ce surcoût, car à l’Ambassade ils nous avaient assuré qu’il n’y aurait rien à payer en plus (d’autant que nous avons payé 5 dollars de plus chacun que si nous avions fait nos visas ici à la frontière …). Il sort de son guichet, nous montre une affiche traduite qui semble honnête à deux détails près : le mot « Overtime » devient samedi et dimanche, le « 1 dollar » écrit de surcoût d’  « Overtime » est devenu 2 dollars dans sa bouche. Clairement, même si elle n’est pas grande pour nos bourses françaises, nous faisons face à de la corruption. A la question d’Aurélien pourquoi il nous demande 2 dollars et pas 1 dollar, il retourne à son siège et nous rend nos passeports…non tamponnés.

        Nous nous asseyons. 2 dollars peuvent sembler ridicules pour nous français, ce n’est rien. S’il nous avait demandé le 1 dollar affiché, il n’y aurait eu aucun problème car comment savoir si l’affiche est officielle ou non. Dans le doute, nous aurions accepté. Là c’est évident qu’un dollar disparaît dans une poche. Si nous refusons de payer ce faible montant, c’est que nous ne souhaitons pas engraisser les rouages de la corruption. Nous ne sommes pas aveugles et savons que d’une manière ou d’une autre nous la payons partout, même en France. Mais l’accepter aussi frontalement, non. C’est une question d’éthique, de respect de l’autre. Le salaire moyen laotien (pas le minimum) est de moins de 180 dollars par mois. Donner aussi facilement 1 dollar de plus que mentionné, c’est montrer de manière outrancière l’inégalité financière qui nous sépare. Aurélien réessaie, tendant son passeport sous les yeux de la et le douanier-ère en répétant « Kaluna » et « Kaphachao » (excusez-moi). Les deux restent impassibles, même si l’homme montre un signe fébrilité. Aurélien demande à ce que ça soit 1 dollar par personne, comme indiqué. Le douanier finit par dire « Sorry… it is not me, but my administration… ». Ils ferment la vitre, nous savons qu’ils sont davantage victimes que nous de la situation. Nous attendons. Que faire ? Deux japonaises du bus arrivent. Leurs caractères les opposent radicalement. La gentille Yuko paie immédiatement (nous ne voyons pas combien), la rebelle s’embrase de colère au montant demandé car elle aurait déjà payé un supplément. Au son de la voix de la japonaise, la douanière lui jette à la figure son passeport et claque la fenêtre. Alors la fille du soleil levant force l’ouverture de la vitre, situation ubuesque sous nos yeux. Son passeport vol à nouveau, ce qui accroît la colère nippone. Finalement, enragée celle-ci est contrainte de payer 5 dollars, qui atterrissent immédiatement dans un tiroir sans reçu. Retour au calme, à la chaleur, à la case départ pour nous.

           Un homme s’approche, il s’occupe de faire le lien entre les touristes et la douane. En gros, il fait sa commission sur une démarche que l’on peut faire soit même. Bon, si certains sont prêts à payer pour ce genre de service… Gentiment, il nous dit que le van est sur le point de partir, là de l’autre côté du poste de frontière. Il nous conseille d’accepter de payer les 2 dollars, Aurélien monte au créneau et maintient notre position fermement, toutefois sans s’emporter: d’accord pour le 1 dollar écrit sur l’affiche, non pour les 2 dollars demandés. Le risque est gros, la circulation est inexistante, la première ville est à plusieurs dizaines de kilomètres. C’est à dire que depuis notre arrivée, le van qui nous transporte est le seul véhicule en vue. Nous sommes au milieu de rien dans un no man’s land, coincés entre deux frontières et le doute de notre démarche. Le douanier ressort, Aurélien lui remontre l’affiche. Le mystérieux homme engage la conversation avec la douanière de marbre. La tension grimpe, comme un volcan dissimulant calmement une lave prête à jaillir. Les sons des deux dialogues se mêlent. C’est accepté, l’homme mystère a convaincu la douanière inexpressive. Alors que nous disons « khop chaï laï laï » (merci beaucoup) en déposant nos 1 dollar chacun en échange de nos passeports tamponnés, Barbara crie soudain « Notre bus est en train de partir !!!! » . Et c’est le seul ! Nos passeports en main, nous démarrons un sprint fougueux en hurlant après le moteur vrombissant! C’est précisément dans ces moments que l’unité d’une seconde se transforme en un espace-temps imaginairement long de plusieurs minutes, tout se ralentit sauf l’objet poursuivi, d’autant que la vélocité du moteur est bien superieure à nos jambes chargées de sacs à dos. La distance de séparation augmente, nous poussons plus fort nos cris et notre effort. Nos sens s’alertent. Cela a duré à peine plus de 10 secondes, enfin les feux rouges d’arrêts s’allument. Le mini-van se stoppe, nous arrivons à sa hauteur. Le souffle court nous rejoignons les autres passagers. Yuko, la gentille japonaise, nous apprend que ce sont les passagers qui ont insisté auprès du chauffeur pour qu’il s’arrête, nous les remercions chaleureusement et comprenons le regard de celui-ci à notre montée. Nous soufflons, mais très vite, en une fraction de seconde bien plus rapide cette fois, l’adrénaline se retire subitement de nos veines. Tous ont une carte d’immigration d’arrivée, nous non. Nous regardons le document, mince… et puis il n’y ni tampon, ni signature dessus. Rien ne signale le passage de la frontière, nous verrons plus tard. C’est le moment de prendre une grande respiration.

          L’odeur ambiante est celle de la fumée. Si le soleil en boule rouge se démène pour exister, c’est que de part et d’autre de la route de nombreux feux sont allumés. Parfois entre les maigres habitations que nous croisons, quelquefois à leurs pieds. Sont-ils volontaires tant ils sont nombreux et de différentes tailles ? Certains sont entourés de villageois, dont des enfants, certains sont libres et enroulent les arbres dans leur langue de flammes. C’est très étrange de traverser un tel décor, entre maison de bois et feux. Le jour s’éteint mettant d’autant plus en exergue l’orange étincelant des braises, ci et là comme des yeux de chimères. Cela rappelle irrémédiablement à Aurélien l’année 2003, un voyage au Portugal et la route au milieu du brasier estival… A peine une vingtaine de minutes se sont écoulées depuis la frontière que le chauffeur s’arrête au bord d’un village de très petite taille. Lui et les passagers continuent jusqu’au 4000 îles, alors que Yuko et nous devons descendre pour attendre un autre chauffeur. La raison est que nous allons à Paksé, bien plus au nord. Le chauffeur nous dit qu’un autre arrivera dans une trentaine de minutes nous récupérer. Là, comme ça, sans savoir où nous sommes. Conscients que nous n’avons pas les mêmes estimations de durée selon les cultures, sans être assurés que quelqu’un viendra, mais las, nous déchargeons nos sacs sans réels espoirs. Avons-nous le choix ? Nous ne pouvons que croire la parole de cet homme qui moins d’une demi-heure plus tôt était sur le point de nous laisser au poste de frontière… Heureusement, notre petite étoile pointe le bout de son nez au meilleur moment, une voiture espace familial arrive alors que nous refermons le coffre. Les deux chauffeurs discutent. Paradoxalement, nous chérissons ces moments du voyage où nous ne comprenons rien à l’échange, à ce qui se dit. C’est l’inconnu qui s’articule aux sons de belles sonorités. Ces instants sont rares, partagés entre le doute et la fascination. Le lâcher prise. C’est d’accord, le nouveau chauffeur nous embarque à son plus grand bonheur et celui de son voisin. Ils sont frères, sur la deuxième rangée de sièges il y a la femme du chauffeur et ses magnifiques enfants. Sur les derniers sièges au fond, ce sont nos places. Les sacs chargés, c’est parti avec le cœur plus léger.

         La mère donne à manger aux enfants. Leurs bouilles se retournent souvent, mastiquant les brochettes, intrigués de ces drôles d’inconnus à l’arrière. « Hey, sir ! A beer ? It’s free ! » demande gaiement le chauffeur à Aurélien. Nous déclinons poliment la bière mais lui demandons de bien regarder la route en retour. Il nous répond que cela le maintient éveillé. Au moins il ne conduit pas dangereusement. Nous discutons, c’est comme cela que nous apprenons qui est qui. Il change brièvement de direction pour montrer à son frère le Mékong. Il ne l’aurait jamais vu, pour nous c’est un nom de rêve qui prend de réelles couleurs. Immenses corps d’eau sur lesquels les pêcheurs s’apparentent à de frêles libellules. Un court instant de beauté qui nous met du baume au moral. Il nous demande plusieurs photos, alors nous ne sommes pas timides et prenons une photo avec ces belles personnes. Ils sont profondément gentils, nous savons que nous pouvons leur faire confiance. Cette fois, Aurélien ne peut pas refuser la bière (qui ressemble plus à une eau gazeuse aromatisée à un alcool). Au moins c’est une de moins pour le chauffeur, qui se révèle toujours aussi attentionné sur la route. Malgré tout, nous ne digérons pas le passage de la frontière. La corruption nous laisse son goût sale. Les feux restent nombreux, l’odeur de brûlé persistante. Dans les dernières lueurs du jour, quelques statues de Bouddha d’or apparaissent de temps à autres. Devant, les cheveux de la gamine volent au vent à travers la fenêtre. Elle a un sourire d’ange, l’insouciance du bel âge. Alors nous nous inspirons d’elle, nous savourons l’instant simplement et sans rien d’autre. Le vent sur nos visages. Tout est loin, demain sera un autre jour.

          La route jusqu’à Paksé se déroule superbement bien. C’est le moment de dire au revoir à tous. La journée n’est pas terminée, nous savons qu’il y a une grande chance qu’un bus de nuit parte pour Vientiane, la capitale, notre réelle destination. En chemin nous croisons un agent de police sur une chaise qui nous paraît drôlement détendu (drogue..?). Paksé est touristique, il doit y avoir une information quelque part. Eurêka ! Dans cette rue, une agence de voyage, fermée évidemment. Mais sur la vitre les heures de départ des bus, le dernier part à 21h30…il est 21h37. Peut-être a-t-il du retard ? L’espoir est mince mais emballe nos cœurs. Nous revenons à tout allure sur la grande avenue, au même moment sort d’une rue en face à droite un bus plein de lumières avec « Vientiane » affiché. Alors qu’il tourne, nous entamons notre deuxième grande course de la journée. Nous nous époumonons les bras levés pendant plusieurs dizaines de mètres, cependant cette fois, c’est en vain. Le bus nous file à quelques minutes, à quelques secondes… nous décidons de retourner dans la rue d’où il est sorti, la gare routière doit y être indiquée. Surprise, 3-4 bus arrivent et tous pour Vientiane. Le premier que nous hélons ralentit. Tout se passe sans s’arrêter, les portes s’ouvrent « Vientiane ? » « Yes ! ». L’homme nous fait signe de la main de sauter à bord. Notre petite étoile brille encore quand il nous annonce le prix, pour la première fois du voyage (il nous aura fallu du temps pour le faire), nous avions obtenu des kips (la monnaie laotienne) avant d’entrer dans le pays. Le bus se révèle un des plus originaux que nous ayons pris, c’est un « Bus Hotel ». Pour faire simple, en lieu et place des sièges, ce sont de véritables matelas de lits posés au sol. Nous avons les dernières places, au fond au deuxième étage avec deux laotiennes. L’assistant du conducteur insiste pour que je sois côté fenêtre avec Barbara entre. La séparation Femme/Homme apparaît importante à respecter (bien que les dames se moquent complètement qu’un jeune homme soit à côté d’elles). Dans toutes ces péripéties, nos estomacs n’ont même pas bronché du dîner sauté. De toute façon l’appétit est absent. Au son de la conversation chuchoté de nos voisines, nous roulons enfin vers Vientiane. Ainsi allongés, la route n’a rien de reposant. Le bus file a toute allure faisant fi des enflements de la route, plusieurs fois nous bondissons de notre couche et de notre sommeil !

       Le lumière du jour s’éveille sans soleil le 12 mars, lendemain d’une des journée les plus longues de notre voyage. Toujours allongés sur notre matelas, nous roulons à travers une ville endormie. Tous les portails métalliques sont fermés, les maisons inertes. Il y en a de différentes tailles, de différents niveaux de vie avec parfois des architectures détonantes. Puis la ville commence à s’éveiller avec ses premiers passagers, ses premières lumières, ses premiers mouvements. Enfin nous arrivons à la gare, certains bus ont leur toit couvert de chargements. Le corps ramolli, nous découvrons les tuk-tuks laotiens. Bleu marines avec des bandes de couleurs, de larges bancs à l’arrière pour accueillir plusieurs passagers. Évidemment les chauffeurs nous accostent, mais comme à notre habitude notre choix se porte vers un potentiel bus public, inexistant si nous écoutons les chauffeurs. Nous repérons où se dirigent les gens, voilà un vieux bus (offert par le gouvernement japonais) qui arrive. Le chauffeur nous explique quelque chose avec les mains que nous interprétons par « Je pars d’abord vers là-bas dans la direction opposée avant de revenir vers le centre ville ». Au point où nous en sommes… Nous ne sommes pas à la minute près. Le contrôleur passe une fois pour le paiement des tickets, puis une seconde fois pour offrir des gourmandises laotiennes. Nos mots de vocabulaires laotiens font plaisir, enfin, l’aventure se remet sur de bons rails. Il y a facilement une trentaine de minutes qui s’écoule avant que nous fassions demi-tour, ce qui laisse le temps au soleil d’apparaître, de nous éveiller.

         Sur l’avenue Line Xang us descendons un peu après l’Arc de Triomphe. Malgré le trafic, les routes sont calmes. Ici les voitures sont comme les habitations, il y en a de tout âge et de tout standard. Les inégalités semblent beaucoup moins fortes que chez le voisin cambodgien. Pour le petit-déjeuner, nous cédons à un phô végétarien dans un restaurant vietnamien. Cela réchauffe nos estomacs et nos cœurs. Nous nous régalons de notre soupe en regardant les laotiens boire leurs cafés matinaux. En avance nous avions repéré une petite auberge, chambre privative avec lits superposés et salle de bain commune, il reste de la place mais la chambre n’est pas encore prête. Alors nous prenons le temps d’appeler l’Ambassade française qui nous rassure, si nous avons le tampon d’entrée dans nos passeports, il n’y a aucun souci car nous aurons à remplir une nouvelle carte d’immigration en sortant du pays. Nous laissons nos sacs pour louer des vélos afin d’aller prendre des renseignements à l’Ambassade du Myanmar. Circuler à vélo est un vrai plaisir, les routes sont étonnement calmes pour une capitale, les autres véhicules doublent sans nous mettre en danger. Les gens de l’administration sont adorables, nous espérons qu’il en sera de même au Myanmar. Tranquillement nous revenons, en visitant une vieille Stupa That Dam qui contiendrait un dragon à sept têtes, mais qui fait aujourd’hui office de rond-point sans intérêts des locaux. Deux choses nous sautent aux yeux : d’une part les femmes portent toutes de longues jupes noires avec un liseré de motif en bas ; d’autre part alors que presque tout le monde parle anglais, beaucoup de bâtiments et noms de rues sont traduits en français. A ce propos, nous découvrons une sandwicherie délicieuse ! Ce sont les fameux Khao Jee héritage de la colonisation française. Certes le pain n’est pas au niveau de nos fournées nationales, le sourire n’est pas compris dans le service, toutefois il y en a de toutes sortes et ils sont très bons ! Après tant de temps, nos papilles sont en fêtes ! Cela sera notre repère des prochains jours !

       Le lendemain, nous partons visiter le Vat Sisaket édifié entre 1819 et 1824 par le dernier roi de Vientane Chao Anou. A l’inverse du palais royal, il est l’unique temple non-touché par l’invasion siamoise (actuels thaïlandais). Les portes du bâtiments et ses frontons sont incroyablement beaux, en bois sculpté. A l’intérieur du temple, il y a des peintures superbement réalisées décrivant la vie de Bouddha. Autour il y des sculptures en bois d’un tout aussi bel artisanat. Dans les murs de l’enceinte qui entoure le bâtiment, il y a de nombreuses kuti, qui sont des niches religieuses qui abritent des statuettes religieuses. Le lieu respire le passé, le bois abîmé apporte une touche mystique. Comme si l’organicité du bois, les crépis abîmés, étaient infusés des prières passées. Un groupe bruyant de coréens nous sort de notre contemplation. Dans les jardins, il y a des statues de Bouddha, de divinités, à la couleur jaune or. Un palais plus récent nous laisse deviner ce à quoi jadis avait dû ressembler le Vat Sissaket. Nous continuons notre promenade. Plus loin, dans un autre temple, nous suivons un moine à la belle toge safran. Derrière un corps de bâtiment repose un très grand Bouddha allongé. Toutes les statues sont chaque fois couvertes de peinture dorée. La couleur semble indiquée la sainteté. Comme dans l’Eglise Catholique, le contraste est saisissant entre le message de vie pieuse des textes et celui de la richesse des décorations. Sur le retour, nous recroisons une vieille dame, elle nous fait coucou et nous commençons à plaisanter avec elle avec quelques mimiques. Elle prépare son riz, elle est si belle, si resplendissante. Elle accepte avec un grand sourire que nous la photographions. Vientiane est calme, vit doucement. Les laotiens sont tranquilles, les niveaux de vie ne nous semblent pas miséreux. Après une entrée en matière compliquée, la quiétude (et les sandwichs) de la ville nous font le plus grand bien, c’est une pause tranquillisante bienvenue avant la Chine. Le pays géant. Le soir, nous nous autorisons même un restaurant un peu plus haut de gamme, très bon.

Vat Sisaket

         Ce matin, nous ne sommes pas vraiment d’accord. Comme c’est arrivé déjà quelques fois, Aurélien préfère aller visiter dès le matin à la fraîche, Barbara l’après-midi tranquillement. Du coup Aurélien part à pied seul quitte à refaire l’après-midi le même parcours. Première étape, l’Arc de Triomphe de la ville. Sa forme cubique surmontée de trois petites tourelles est inattendue, mais encore plus ses peintures intérieures sur le plafond. Car d’extérieur, la couleur de l’ouvrage est plutôt terne, peu sculpté malgré un beau fronton encore une fois. A l’inverse, à l’intérieur, au sommet des quatre colonnes, il y de très belles sculptures murales de personnages religieux. En chemin, un moine arrête Aurélien. Il souhaite pratiquer l’anglais qu’il étudie à Hanoï. Le voisin vietnamien semble un partenaire important du pays. Après le bref échange car le moine débutait à peine ses premières leçons, Aurélien poursuit et s’arrête au hasard dans un très beau lieu de culte, où des peintures riches en couleurs illustrent la vie de Bouddha des murs aux plafonds. Comme à chaque fois, il faut se déchausser pour découvrir les lieux religieux, mais être couvert des épaules aux pieds. Il y aussi de beaux meubles en bois, dans la cour différentes sculptures, dont un inévitable Bouddha doré tout sourire. Cela semble un monastère où vivent des moines si on se fie aux toges qui sèchent. Plus loin, il arrive à la grande Stupa Phat Tat Luang à l’intérieur d’un cloître aux très belles portes. Les premiers vestiges trouvés sur place dateraient du XIIème siècle les premières fondations. Le monument avait été construit par les rois khmers (cambodgiens), il a subit plusieurs destructions (notamment lors des invasions siamoises) et reconstruction. Ce n’est que dans les années 30, sur les dessins de 1866 de Louis Delaporte, que le gouvernement laotien décide à lui donner la forme et la couleur actuelle couverte d’or. Le monument est doré… D’un certain point de vue, cette couleur monochrome crée une sorte de frontière à notre regard peu habitué. Comme si les volumes étaient écrasés, les traits fondus en une même ligne. C’est un doré inhabituel pour nous. Les statues qui l’entourent dans le corridor du cloître et les kudis, avec leurs érosions du temps, ont immédiatement un côté plus sensuel, plus exaltant pour les sens. Le dernier roi Khmer Jayavarman VII laisse émaner une histoire inconnue mais qui nous traverse. Encore une fois, il s’agit d’une question de point de vue et de culture. En tout cas les doré, rouge et vert sont les couleurs du Bouddhisme laotien sans aucun doute.

Fronton de pagode

          La ville de Vientiane (dont la date de création est précise 1660), n’est pas exceptionnellement belle, mais la vie semble s’y écouler sans aspérités. A l’image des divinités religieuses souriantes, allongées les yeux mi-clos, dansantes en silence. Il semble ne pas y avoir une course effrénée à la richesse, ni au matériel bien que soit présents de nombreux 4×4. Peut-être est-ce encore une fois qu’une impression, mais il apparaît y avoir une moins d’inégalités entre tous. Nous nous retrouvons à notre sandwicherie favorite, toujours avec ce plaisir français de croquer dans du pain. Alors que nous nous préparons, un violent orage éclate pendant plusieurs heures. Ce n’est pas surprenant étant donné la lourde chaleur qui stagne depuis la veille. A regret nous ne pouvons pas visiter le musée de l’ONG COPE qui explique les conséquences dramatiques des bombardements américains pendant la guerre du Vietnam. Pour le dire cyniquement et simplement en une phrase, le Laos est le pays qui a reçu le plus bombes de l’Histoire de l’Humanité (peut-être plus maintenant avec les conflits en Syrie et au Yémen). Les États-Unis avaient amené tellement d’armement dans la guerre du Vietnam, qu’au lieu de tout rapatrier sur leur sol (car il y avait un risque d’explosion aux atterrissages), ils ont tout largué au dessus des terres laotiennes. Aujourd’hui encore il y a de nombreuses personnes qui décèdent ou perdent un membre à cause d’une mine, d’une bombe non explosée. Le problème est encore d’actualité, périodiquement le Laos réclame aux américains de venir déminer le pays. Il a fallu attendre la reconnaissance officielle de Barack Obama en 2016, pour finalement d’une part accepter de fournir une aide financière au Laos sur trois années de 90 millions de dollars, d’autre part de fournir les lieux de bombardements détenus par le Pentagone (jusqu’ici non partagés). Selon les estimations officielles, il resterait plus de 80 millions de bombes à fragmentations non explosées…c’est à dire que moins d’1% auraient été désamorcées selon l’ONG Legacies of War. L’ONG COPE aide les victimes des bombes à retrouver leur mobilité et à se réhabiliter dans leur vie avec leur handicap. Aujourd’hui de très nombreux laotiens sont encore victimes de ces engins mortels, si la reconnaissance du président Obama est la bienvenue, le constat est qu’aucune aide matérielle n’est fournie pour engager le déminage… En fin de soirée, la pluie diluvienne s’arrête laissant place à la fraîcheur dans les rues. Nous sortons nous promener, nous en profitons pour prendre des tickets de bus pour Vang Vieng. Un concert est donné sur une place, nous savourons cet instant musical avant le sommeil.

          Le 15 mars, 7h53 nous descendons à l’accueil car un tuk-tuk doit venir nous récupérer pour nous amener au bus. Le chauffeur doit arriver entre 8h et 8h30. A 8h10, le réceptionniste nous demande si par hasard nous irions à Vang Vieng « Oui ». Mince, comme nous avions réservé par nous même, donc ne sachant pas que nous avions réservé un trajet de bus, il a dit au chauffeur passé plus tôt qu’aucun de ses clients ne partait pour Vang Vieng… Finalement, après quelques appels, le chauffeur nous récupère à 8h48. Au Laos, nous expérimentons le calme face aux situations qui deviennent vite incongrues pour peu. Les laotiens sont des gens très difficilement perturbables, alors nous nous inspirons d’eux. A travers la fenêtre du bus, nos impressions sur le niveau de vie semblent se confirmer. Même si l’eau courante ne doit pas être disponible partout, il y a de nombreuses maisons en dur, les gens très convenablement habillés. La misère semble absente, la pollution et les dispersions des déchets sont également très faibles. Les villages que nous traversons, les cours d’eaux que nous surplombons, les forêts que nous avoisinons sont dans l’ensemble dépourvus de plastiques ou de poubelles sauvages. Ce qui est très rare dans les pays à faible niveau de vie que nous ayons traversé. A 11h30, le reste des passagers occidentaux râlent que nous nous arrêtions. Au contraire, tels deux vieux routards, nous sommes tout contents. C’est la pause du midi, nous commandons des soupes nouilles-légumes délicieuses. Comme à chaque fois, les laotiens nous répondent en anglais… Ce qui peut étonner le plus de prime abord d’ailleurs chez les laotiens, c’est l’absence de sourire en retour. Mais à les observer, même entre eux ils s’en offrent peu, ce qui en venant du Cambodge est dans un premier temps très étonnant. Toutefois, c’est un trait qui semble culturel, nous nous y adaptons vite. Puis nous reprenons la route tranquillement, doucement. Le Laos est définitivement un pays où le voyage est une ode à la lenteur et à la quiétude.

         Vang Vieng nous a longtemps fait hésiter comme étape. Située à mi-chemin entre Vientiane et Luang Prabang (les deux villes les plus importantes du pays), vieille de plus de six siècles (1353 date de création), Vang Vieng nous est connue malheureusement pour d’autres raisons. Suite à de nombreux investissements de ses voisins chinois et vietnamiens à la fin des années 90s et pendant la première décennie des années 2000, la ville devient une cité de débauche occidentale. De nombreux bars ouvrent, l’alcool est à un tel faible coût, toutes les drogues du cannabis à l’opium facilement accessibles (en 2015, quelques 5,700 hectares étaient encore consacrés à des plantations de pavot selon l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime), rendent rapidement la ville prise d’assaut par des moins de trentenaires sans éthique en quête d’excès à petit prix. Et potentiellement des réseaux de prostitution. Loin de son passé historique et son patrimoine naturel, Vang Vieng acquiert une sale réputation du Cancun asiatique». Elle devient un symbole : « le cancer du tourisme » malgré elle. Les habitants subissent l’affluence de ces individus pochetronnés qui n’ont strictement aucun respect pour la culture locale. Défoncés ou en état d’ébriété sévère, ils se dévêtissent sans gênes, s’embrassent (pour les plus softs) à tous les coins de rues, crient leur saoulerie à toutes les heures de la journée. Soit tout le contraire de la tradition laotienne qui exige de la pudeur et aucune marque d’affection en public. L’hôpital accueille chaque jour des multiples dizaines de zombis avilis. La ville est un paradis détruit par le capitalisme, où la loi du plus riche écrase le plus pauvre, où l’argent salit… Jusqu’à 2011-12 et la mort de plus d’une vingtaine de touristes, majoritairement australiens. Le gouvernement laotien dit stop, ferme les bars, ordonne un contrôle stricte de la drogue (la culture de l’opium est pourtant interdite depuis 2006) et impose un couvre-feu dès 23h. (pour aller plus loin, l’article que nous connaissions avant le voyage et dont nous reprenons les grandes lignes:

https://www.courrierinternational.com/article/2011/11/17/les-bouees-de-la-honte-deferlent-a-vang-vieng )

         Alors, nous voilà quelques années plus tard, qu’en sera-t-il ? Les avis divergent, pour beaucoup la ville est débarrassée de ce tourisme toxique, d’autres disent qu’il reste encore des traces bien présentes de ce passé. La réalité est de toute façon bien souvent différente des dires, alors nous y voilà. A première vue la ville ne semble plus être la cité salie. De toute façon notre intérêt est d’abord ailleurs, nous cherchons à savoir s’il y aurait un bus pour Kunming (en Chine). Comme nous le craignions il y en a aucun, il faudra essayer à Luang Prabang. Le petit hôtel que nous visions est complet, nous nous rabattons sur un du centre sans charme mais fonctionnel. Au loin, nous voyons les sommets karstiques devenir d’irrégulières ombres bleutées dans la fin de journée. Ce paysage est pour nous comme une invitation, celle qui nous a fait venir ici. La ville est tranquille, loin de ses affres du passé. Il y a quelques traces qui subsistent, comme ces auberges avec piscine, ou un bar offrant du whisky gratuitement de 20h à 21h, toutefois l’atmosphère respire la sérénité laotienne. Nous en profitons pour faire le marché de nuit, grande allée bordée de tentes rouges et de loupiotes blanches. Cela marchande à chaque coin d’étal. Au milieu, nous nous arrêtons pour manger sur des tables basses. Ce soir, ce sont d’excellents nems.

         Ce qui nous attire à Vang Vieng, ce sont ses environs naturels. Nous avons des informations en vrac, nous décidons d’y aller au hasard des trouvailles. Nous optons pour des vélos de ville, moins chers que des VTT. Rouge pour Barbara, rose pour Aurélien (en hommage à Toulouse :). Trop petits pour nos tailles d’occidentaux. Sur la passerelle en bois, nous passons de l’autre côté du Nam Song. La route grimpe en faux-plat, mais nous avons le temps. Les pics de Karsts s’élèvent majestueusement au dessus d’étendues vertes. Nous nous croirions à un autre temps de la planète, celle des dinosaures sûrement. Un panneau borde un chemin, il indique la grotte de Khan. Nous succombons à la tentation, immédiatement nos montures sont mises à rudes épreuves. Le sentier est jalonné de grosses pierres où un VTT aurait été plus à propos. Au moins, la pluie nocturne tient au sol la poussière mais transforme parfois le chemin en petits lacs. Le défi est de ne pas s’embourber au risque de couvrir de boue un pied… Le végétation qui nous entoure est très belle, il y a des papillons aux grandes ailes qui volent en tout sens. Peu de déchets. Enfin, nous arrivons au point où deux hommes attendent sur leurs chaises. Les grottes sont sur des terrains privés, il faut donc s’acquitter d’un droit d’entrée auprès de leurs propriétaires. Ils sont amusés par nos mots laotiens, c’est avec sourire et demi-rire qu’ils nous indiquent le chemin de grotte de la main.

         Voilà le panneau ! Malencontreusement, la clé du cadenas du vélo d’Aurélien est tombée… Bon, en même temps qui viendrait voler des vélos ici. Dans le doute, Barbara lui dit d’y aller le premier, elle garde nos montures. Les toiles d’araignées sur le passage laissent supposer que le lieu n’a pas été visité depuis longtemps. Devant la grotte, ressemblant à une mâchoire minérale prête à engloutir l’individu qui se présentera, une flèche indique une direction à suivre qui mène à un mini-ponton très artisanal. Vient ensuite l’entrée de la grotte, qui se révèle non-éclairée après le premier tournant. Le silence se mélange à l’épaisse obscurité. Aurélien doute, est-ce vraiment la direction ? Il y a quand même quelque chose d’effrayant d’explorer ainsi un tel endroit sans lumière. C’est à ce moment qu’arrive Barbara qui le surprend ! Les moustiques se régalaient d’elle ! Pendant qu’Aurélien explore la cavité où la lumière filtre admirablement avec la végétation, Barbara plus téméraire disparaît dans l’obscurité. Les flèches continuent à l’intérieur. Alors, avec nos lumières de téléphones, nous poursuivons le tracé sous la roche. Assez rapidement, dans une pièce un peu plus grande, il y a la statue blanche d’un Bouddha… Déjà un peu sur nos gardes, soyons francs, c’est de prime abord plus effrayant qu’apaisant. Les flèches dessinés s’enchaînent, nous grimpons des échelles de bois, passons de biais des passages en diagonale, rampons au sol des tunnels presque étroits qui nous griffent de quelques éraflures en souvenir. Nos lumières sont insuffisantes dans les pièces avec des volumes hauts. La précaution est de mise, nous ne savons pas qui a fait le chemin, ni son degré de fiabilité. Le danger est potentiellement mortel. C’est ce qui nous décourage en arrivant à un tunnel tubulaire plus petit que les autres. Notre intuition nous dit que le chemin fait une boucle jusqu’à l’extérieur, mais le doute a notre faveur. Nous rebroussons doucement chemin. En sortant, un groupe de jeunes hommes torses nus est accompagné par un des deux hommes. Peut-être ont-ils payé plus, nous repartons sans savoir l’issue finale de cette inattendue marche sous terre.

         De retour sur nos montures magiques, notre route est arrêtée par un éboulement de pierres que nous grimpons sans résultat probant. Alors nous faisons chemin inverse et regagnons l’asphalte. Nous esquivons le « Blue lagoon » qui doit être le plus grand point d’attrait de tous. Plus loin, une piste rouge nous inspire davantage. En plus elle descend. L’homme qui nous accueille a la gentillesse qui déborde son sourire. En plus de lui laisser nos vélos, en échange du prix, cette fois, deux lampes frontales nous sont fournies pour l’exploration de la grotte Num Bor Keo. Son jardin, son potager sont très beaux. Nous longeons ses champs, quelle surprise à l’entrée de la grotte. Une piscine quasiment naturelle d’un magnifique bleu céruléen. Il est possible de s’y baigner ! D’abord nous préférons visiter la grotte qui est bien mieux aménagée. Visiter une grotte ainsi, sans encadrement, reste une expérience étonnante et réjouissante. Qui plus est quand les formations rocheuses à l’intérieur sont offrent au regards de belles formations rocheuses. Si l’autre était très fraîche, celle-ci est très humide. La petite trempette à la sortie dans l’eau bleue est la bienvenue ! Cette journée est un régal qui nous fait le plus grand bien. Le Laos nous ressource.

       Au retour, nous croisons les écoliers en uniformes qui rentrent en vélo de l’école. Les jeunes filles sont habillées des jupes typiques. En milieu d’après-midi, nous nous arrêtons sur les bords du Nam Song où nous commandons à manger. Comme au Laos tout est lent, cela prend le temps. Alors nous nous amusons des jeunes qui essaient de traverser sans succès les grandes flaques boueuses, en nous rappelant que étions dans la même situation quelques heures plus tôt. Il y a ceux qui sautent de la passerelle en bois. Il faut savoir où sauter car la profondeur n’est pas grande. Dans l’eau les laotiens se baignent habillés, jouent avec des planches de polystyrène, rigolent aux déferlantes d’éclaboussures qu’ils s’échangent. En fait nous sommes les seuls étrangers sur la rive. A une table voisine, une des jeunes femmes nous convie de la main. Nous hésitons, mais elle insiste pour que nous rejoignons leur petit groupe. Nos plats n’étant toujours pas là, nous y allons. Nous ne nous comprenons pas très bien, ils semblent plutôt alcoolisés ! D’ailleurs ils nous offrent une bière, qu’il nous faudrait boire d’un trait ! Il est facile pour nous de tricher, nous trinquons plusieurs fois nos choppes à la place ! Nous comprenons que c’est l’anniversaire de la jeune femme accompagnée de son amoureux et sa famille. Après un moment, nous revenons à nos places aux sons de leurs chansons mal entonnées ! Le lieu vit, une procession de laotiens vient en musique pour demander des offrandes (nous ignorions la raison). Nos plats sont là. Alors que nous évitons habituellement les salades, Aurélien s’est laissé tenter à la découverte d’une « papayas salad ». Nous ne connaissions pas, encore moins son degré épicé. L’estomac d’Aurélien en fait un immédiat et brûlant apprentissage !

         Pour le lendemain, nous aimerions bien profiter du cadre naturel, faire des activités natures que la ville propose. A croire que tous les commerçants se sont passés le mot, à chaque fois que nous nous renseignons à un nouveau comptoir, le prix augmente ! De toute manière, le premier homme nous avait inspiré confiance, nous optons pour de la tyrolienne et du kayak. Pour le petit déjeuner, nous achetons à une dame deux sandwichs. Puis nous nous laissons tenter par ses crêpes, dont la manière de les faire est très différente. La pâte est sous forme petites boules qu’elle a préparé en avance, elle les malaxe dans sa main. Puis, d’un geste précis, elle l’agrandit en la claquant sur le bilic en coups brefs. Quand la circonférence est assez grande, elle la met à cuire. Le goût n’est pas le même qu’en France, mais c’est plutôt bon. C’est banane chocolat pour Barbara, citron miel pour Aurélien. Allez, va pour deux sandwichs, la soirée est douce pour notre plus grand bien. Nous profitons de cette quiétude, d’ici peu, nous devrions être en Chine…

        Dans le tuk-tuk qui nous amène au pieds des tyroliennes, nous sommes entourés de coréens du sud. Que des hommes dans la splendeur coréenne ! C’est à dire complètement inquiets à l’idée de faire de la tyrolienne, mais ils y vont quand même ! Le parcours fait quelques trois kilomètres. Une jeune fille, coréenne aussi, nous rejoint. Les coréens sont très présents dans le tourisme des pays asiatiques. Nous enfilons les baudriers et grimpons dans la remorque d’un pick-up. Il faut s’accrocher tant ça grimpe raide ! Sur la première plate-forme, le stress marque le visage de tout le groupe à l’exception des nôtres impatients de commencer. Les hommes tentent d’étouffer leurs cris à leurs passages, mais c’est Soyeon qui nous fait éclater de rire à chaque tronçon. Elle hurle à répétition ! Reconnaissons qu’elle a le courage de s’élancer à chaque fois. Pour nous c’est une formalité où la glisse nous amuse ! En plus nous nous entendons bien avec le groupe étonné que des français parlent un peu coréen ! Le clou est la chute libre finale, trop haute pour nos amis asiatiques, trop courtes pour nous. Le déjeuner fourni est bon. Ensuite, nous quittons le groupe car nous sommes les seuls à avoir choisi le kayak comme activité (les autres vont au Blue Lagoon). Mao, notre accompagnateur, est d’un grand calme laotien. C’est parfait car nous ne sommes pas pressés, nous avons tout le plaisir de contempler les merveilleux paysages qui nous entourent. Une respiration dans le voyage, un moment de quiétude. Une pause régénératrice. Malgré tout, nous croisons des jeunes touristes dans des chambres à air de tracteur en guise de bouées, c’est le « tubbing ». L’ancienne activité favorite dont l’intérêt est de se laisser porter par le courant de la rivière, s’arrêter aux bars qui bordent les rives. Boire deux-trois verres d’alcool et repartir en plein soleil. Quelques bars subsistent, bruyants vestiges d’un passé pas si loin. Heureusement pas si nombreux. De retour à l’hôtel, nous trouvons une information incomplète qui nous manquait, qui confirme à demi-mot notre intuition, un bus semble faire la connexion entre Luang Prabang et Kunming. Le soir nous remangeons chez la crêpière de la veille en faisant l’agréable connaissance de deux vieux thaïlandais en voyage.

       Dans le mini-van qui nous amène à Luang Prabang, nous entamons la conversation avec un sympathique couple français du nord hexagonal. Mathilde est journaliste, Gilles professeur d’EPS, ils ont tous deux pris une année sabbatique pour voyager en Asie du sud. Leurs récits sur la Chine stimule notre appétit de découvrir cet immense territoire (une seconde fois pour Barbara). Toutefois la route cabossée et zig-zagante sans cesse interrompt notre conversation. Heureusement des travaux sur le trajet nous offre un grand bol d’air frais. Nous longeons le Nam Khan confluant du Mékong et ses passerelles en bambous. En arrivant, nous partageons dans un boui-boui une très bonne omelette accompagnée de jus de canne à sucre. Nous nous disons à plus tard, chacun allant à son logement. Direction les agences pour le bus en partance pour Kunming. Étrangement le prix est plus bas dans la première, nous allons donc à l’officielle où c’est finalement 80000 kips de plus… Nous revenons à la première, le prix a augmenté… En somme le Laos, dorénavant nous sommes habitués à ces changements constants. Nous prenons les billets pour le lendemain, il faudra partir le matin car le trajet dure… 24h. Cela nous évitera la tentation de nous lever pour la cérémonie de l’Aumône (le Tak Bat). Luang Prabang est un haut lieu pour le bouddhisme, il paraîtrait que plus du tiers de sa surface soit occupé par des temples, attirant ainsi des milliers de moines. Ainsi, chaque matin, les prêcheurs aux robes de safran déambulent dans les rues aux alentours de 6h avec leurs paniers à aumônes. Sur les trottoirs les attendent les habitants qui leurs font des offrandes en remerciement de leurs prières et leurs accomplissements. Malheureusement cette cérémonie est devenue une attraction à touristes, les comportements de ces derniers semblent très souvent irrespectueux pour ce moment spirituel de première importance pour les laotiens.

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       Clairement les touristes les plus présents ici que nous croisons sont les chinois, il y en des dizaines de bus. Ils sont facilement identifiables à la langue et aux manières. Dans la montée du Mont Phu Si, le groupe est bruyant. Néanmoins, tous se dirigent vers le sommet, pendant que nous nous éloignons sur un flanc découvrir l’empreinte du pied de Bouddha (vers qui il ne faut jamais pointer ses pieds), les belles sculptures qui le bordent. Nous préférons marcher dans les rues dont les bâtiments rappellent à la fois l’histoire de la ville et le proche passé colonial. De beaux temples arborent leurs dorures sculptées. Nous déambulons dans le marché de nuit. Est-ce la fatigue ? Les foules touristiques ? Quelque chose fait que Luang Prabang nous charme moins. Peut-être faudrait-il rester plus longtemps. A l’inverse de Vang Vieng où nous ressentions cette quiétude laotienne, étrangement nous sommes hermétiques à la ville. Le Mékong est notre second souffle, il nous attire naturellement sur sa berge. S’il y avait là une raison d’être venu à Luang Prabang, c’est bien ce doux moment loin du charivari. Dans une déclinaison lente, le soleil change sa couleur pour un éclat safran semblable aux toges des moines. Progressivement, sa course se reflète sur la largeur du fleuve telle une immense silhouette étendue à la surface de l’eau. Les longs bateaux voguent. Le Mékong a toujours résonné comme un cours d’eau emprunt de mystère. Ce coucher de soleil est imprégné de splendeurs. L’astre solaire disparait derrière la végétation, nous nous levons. A notre premier jour d’entrée au Laos, le Mékong nous avait salué par sa grâce. A la veille de notre départ pour la Chine, il nous partage sa magie en souvenir.

 

        Réveil à 5h du matin, l’adorable réceptionniste nous a emballé un petit-déjeuner dans des boîtes en plastique. Merci beaucoup de tant de gentillesse. A la gare, comme pour nous préparer, le chauffeur ne parle que chinois. Cependant quand il s’agit de faire commerce, nous savons que les chinois savent très facilement se faire comprendre, ce qui est le cas là. Les places sont des couchettes, un peu plus grandes que celles du Vietnam. Surtout elles sont plates ! Les 4-5 passagers chinois qui nous accompagnent sont tous proche d’une fenêtre pour expulser leurs crachats réguliers. Brièvement nous sympathisions avec un néo-zélandais originaire de la région. La route est en très mauvais état, le chauffeur est vigilant. Ce qui nous rassure car il y a de très nombreux kilomètres à parcourir, nous embarquons pour 24 heures de route…

            Les paysages sont somptueux, très verts et embrumés le matin. En regardant attentivement, nous décelons ci et là des villageois avec des tenues d’ethnies différentes. Cela donne envie d’être en vélo pour découvrir ces endroits. Souvent, il y a une école dans les villages, nous croisons même plusieurs hôpitaux. Progressivement les rizières font leur apparition, le travail est dur et la chaleur écrase la vie. Au second arrêt, nous découvrons le contenu de nos barquettes : pastèque, pitaya et omelette ! C’est délicieux, cela fait notre bonheur. Le chinois Lao-Tseu aurait dit : «Celui qui sait se contenter sera toujours content ». Dans la gare routière, la vie s’écoule entre ceux qui attendent, les bus qui arrivent, ceux qu’on charge jusqu’au toit… Nous dépensons nos derniers kips pour accéder aux toilettes avant de reprendre la route. Nous traversons de nombreux villages et villes de différentes envergures. C’est en quelque sorte un panorama d’une journée laotienne qui défile sous nos yeux.

          Soudainement, le paysage se transforme en terrain rouge défoncé. A coup sûr nous approchons de la frontière, il s’agit des travaux de la ligne ferroviaire qui reliera la Chine à la Thaïlande en passant par le Laos. Les travaux sont déjà terminés côté chinois, tout va très vite là bas. Ici, il n’y a même pas encore le tracé des rails. Un bâtiment en forme de stupa doré au loin apparaît, c’est le poste de frontière. Le néo-zélandais se retourne, il nous dit de préparer 20000 kips. Mais nous n’avons plus un seul kips, alors nous préparons 2 dollars. En amont, nous avons cherché en vain des informations sur la frontière sino-laotienne, mais nous n’avions rien trouvé de tangible. Allons nous encore devoir faire face à la corruption ? Nous voulons croire que le voisin chinois n’est pas enclin à laisser celle-ci exister à ses portes. Le bus s’arrête, nous descendons avec nos sacs sur le dos. Bonne nouvelle, nous devons remplir une carte d’immigration comme nous l’avait dit l’Ambassade française. Maintenant chacun est dans sa file. Il y a la même affiche qu’à notre arrivée dans le pays. De plus, nous avons en tête que derrière c’est la frontière chinoise, nous sommes conscients qu’avoir le visa d’entrée ne garantit pas l’entrée automatique dans le pays. En effet, les autorités chinoises refusent apparemment quelque fois des entrées sans raisons claires. Alors avec nos tampons iraniens, turcs ou russes… Barbara passe au guichet, la douanière regarde son visa chinois et tamponne le laotien. Idem pour Aurélien, sans rien que soit demandé en plus. Nos sacs ne sont même pas contrôlés. Un court instant nous remontons dans le bus. Il avance. Maintenant, c’est le poste de frontière chinois qui se présente. Dans la préparation de notre voyage, la Chine est assurément un des pays dont nous avons une immense envie de découvrir. Il ne faut rien laisser apparaître de notre joie d’être au seuil de cette immense culture. Notre visa est valide, mais le doute subsiste tant que nous ne sommes pas entrés.