Japon – 1ère partie

Du 7 décembre 2017 au 19 décembre 2017, Japon : Fukuoka – Hiroshima – Osaka – Kyoto

Une lente fascination

               A Busan (Corée du Sud), ce matin du 7 décembre 2017, nous venons de prendre place dans le petit ferry qui nous amènera à Fukuoka au Japon. Contrairement à deux autres traversées en ferry, celle-ci ne devrait durer que deux heures malgré la distance entre les deux pays.

             Peu nombreux sont les pays tel que le Japon qui, à la seule prononciation de leurs noms, évoquent en Occident tant d’imaginaires contrastés. Pour ne citer que deux exemples, de l’époque féodale des samouraïs à l’hyper modernité des robots, le pays du soleil levant attise notre curiosité au plus haut point. Particulièrement du fait que c’est un pays où les artisanats d’arts ont la réputation d’être d’un très grand raffinement. Enfin et surtout, le Japon est aussi une grande source d’attrait de part ses arts vivants, là aussi de plusieurs esthétiques et de différentes époques…

             Et en parlant d’époque, une fois assis et nos ceintures bouclées dans cet intérieur moquette un peu vieillot, les moteurs du ferry font un bruit semblable à ceux d’un avion avant le décollage. Alors que le bateau part, nous en plaisantons. Malgré tout, nous avons cette étonnante impression d’être un peu plus haut qu’à notre montée à bord. Le bateau va très vite. En à peine deux heures nous apercevons sous une épaisse couche cotonneuse de nuages les contours sombres du Japon, au premier plan la ville portuaire de Fukuoka, puis en nuances plusieurs reliefs montagneux. Vision mystérieuse que quelques gouttes de pluie agrémentent. En arrivant, le bateau ralentit et nous redescendons au niveau de la surface de l’eau. Cela fait un effet science-fiction (en réalité le bateau se surélève sur trois quilles afin de limiter le contact avec l’eau et avancer plus vite).

        Au poste de frontière nous marchons sur un tapis désinfectant les semelles de nos chaussures, contrôle des passeports et des sacs. Nous achetons nos premières nouilles instantanées. Énormément d’emballages ! Tout est emballé individuellement, cela fait beaucoup de sachets inutiles. Au moins elles sont excellentes. Apparemment l’auto-stop fonctionne bien pour les touristes, alors qu’il pleut dehors, nous repérons une station service à trois kilomètres.

         Sous le crachin et son ciel gris, nous longeons la mer d’un côté et de l’autre une voie rapide. Les gaz d’échappements n’étaient pas ce que nous imaginions en arrivant au Japon. De toute façon nos esprits sont occupés à la manière dont nous allons nous y prendre pour l’auto-stop. Pas de soucis pour dessiner les noms des villes en idéogrammes (nous souhaitons rejoindre Hiroshima), Barbara se débrouille bien pour cela. Mais en plus que les japonais roulent à gauche, nous ne voyons en chemin aucun espace disponible où ils auraient l’espace de s’arrêter. L’accès à l’autoroute est impossible car celle-ci est en hauteur, soutenue par de grands pylônes. En attendant de rejoindre la station service, nous nous amusons des nombreuses voitures carrées, formats presque inexistants en Europe. La station service est dédiée aux camions, qui lorsqu’ils quittent les chantiers viennent pour être nettoyés avant de prendre la route. La propreté est hyper importante au Japon. Ils sont tous chromes luisants mais notre pancarte ne les arrêtent pas. De toute façon notre intuition ne nous présageait rien de positif. Nous cherchons et essayons à différents endroits mais après plusieurs tentatives infructueuses, nous abandonnons.

       Pour rejoindre la gare, nous demandons notre direction dans une supérette. Très gentiment et dans un bon anglais, la jeune fille nous indique la direction d’une station qui nous permettra de rejoindre la gare principale. Nous suivons le chemin, nous traversons un quartier de Fukuoka très industriel et gris. Quelques rues sont un peu plus mignonnes. A la gare aucun souci pour se faire aider en anglais. Au Japon, très rares ont été les fois où les personnes ne parlaient pas un peu anglais, et quand ce n’étaient pas le cas, les japonais se sont toujours montrés d’une aide précieuse et d’une grande bienveillance. Il est trop tard pour le bus pour Hiroshima, nous resterons la nuit à Fukuoka. Pour mettre un peu de couleur dans cette journée grise, nous nous offrons un petit dîner dans une cantine populaire et bruyante. Il semble que beaucoup de japonais soient collègues de travail. A table cela parle fort, rit aux éclats. Le serveur est tout heureux de nos bouilles d’occidentaux. C’est très bon mais pas très copieux, pour un prix disons élevé (la Corée est déjà loin avec ses plats copieux…). Les papilles satisfaites, nous faisons un petit tour dans la ville sous la légère pluie. Les taxis ont le chic de l’ancien temps, même le chauffeur en costume et casquette assume cette toilette rétro. Nous découvrons des petites rues charmantes avec les lanternes oranges signalant les restaurants. Egalement le shrine (temple shintoïste) Kushida (construit la première fois en 757), où des japonais viennent faire des vœux jusqu’à des heures tardives. En cet instant, la pluie est comme un parfum rare, elle diffuse imperceptiblement une atmosphère et un caractère singulier à ces lieux nocturnes.

Fukuoka
shrine Kushida

         Le lendemain, nous visitons de jour plus amplement le shrine Kushida. Entre les toitures ondulées, les premiers toriis (porte rouge vermillon) que nous voyons et les sculptures en bronze, nous déambulons avec plaisir entre les différents bâtiments. Aussi surprenant que cela le soit, il y a toujours des japonais qui viennent faire une prière ou un vœu, frappant les mains deux fois et sonnant la cloche. Nous quittons le temple pour la gare routière. Bien que le billet de bus pour Hiroshima soit très cher, nous sommes limités en temps car il nous faudra être à Kyoto dans quelques jours car nous avons rendez vous avec des artistes de Butoh. A la gare, nous constatons combien les japonais sont très beaux. Ils ont les pommettes moins saillantes que les coréens, les visages un peu plus allongés et les traits plus fins. Pour les styles vestimentaires comme les coiffures il y en a pour tous les goûts. Mais nous constatons toujours beaucoup d’élégance dans leurs tenues.

        Du côté gauche donc, nous grimpons dans le bus. L’un des avantages de l’autoroute en hauteur est que nous surplombons les villes et découvrons mieux les paysages. Le Japon n’est pas un pays où l’architecture semble très colorée, ce sont plutôt les nuances brunes qui dominent. Les montagnes sont tout autour toujours présentes de leurs hauteurs, mystérieuses, et pour notre plus grande joie encore très majoritairement vertes. Elles sont très feuillues, quand le vent souffle, il crée des plissures ondulantes très marquées. Cela évoque les images des forêts dans le film Princesse Mononoké de Miyazaki. Le voyage est long, c’est avec la nuit que nous arrivons à Hiroshima. A marcher dans les rues, nous constatons que l’éclairage public n’est pas très fort. Peut-être que cette impression vient du fait que nous arrivons de la Corée du Sud où les centres villes se transformés en arcs en ciel lumineux à chaque coin de rue, mais l’impression est là, nous ressentons qu’il fait nuit et c’est agréable. En arrivant à l’auberge, nous sommes un peu déboussolés au moment de payer car il faut insérer les billets (parmi les plus élégants de notre voyage) dans une machine, puis sur laquelle il nous faut sélectionner le montant de la chambre. Le dortoir est spacieux, c’est très bien agencé et calme.       Pourquoi aller à Hiroshima ? Si Hiroshima est aujourd’hui une ville entièrement reconstruite et très moderne, le ville restera à jamais la première victime le 6 août 1945 (trois jours avant Nagasaki) à avoir subi les ravages du premier bombardement atomique de l’Humanité. Bombardement exécuté par les États-Unis. Lorsque la bombe Little Boy explosa au dessus de la ville, elle emporta soudainement une estimation de cent quarante mille vies (dont aucune trace n’a été retrouvé des corps situés à moins de 500 mètres de l’explosion). Cinquante mille personnes décéderont dans les semaines suivant la catastrophe. Le nombre total de victimes estimé s’élève à trois cent cinquante mille. Hiroshima, pour ne pas oublier. Essayer de mesurer l’étendue de la catastrophe, faire « le devoir de mémoire » cher à Primo Levy.

Sculpture Sadako Sasaki

        Dans le parc du Mémorial dédié à la paix, dans le même alignement se trouve en premier une tombe dans laquelle est placé un manuscrit. Dans celui-ci sont inscrits les noms des cent quarante mille personnes décédées le 6 août 1945. Ensuite, se trouve une flamme qui ne sera éteinte que le jour où il n’y aura plus aucune arme nucléaire sur la planète (seize mille ogives nucléaires sont aujourd’hui référencées dans le monde, dont trois cents pour la France, et environ quinze mille pour les deux Etats-Unis et Russie). En poursuivant, une statue de Sadako Sasaki s’élève avec une grue en origami au dessus d’elle. Cette jeune fille (âgée de deux an au moment du bombardement), ressentit les séquelles du bombardement neuf ans après celui-ci, en déclenchant une leucémie. Une amie lui raconta la légende japonaise des mille grues, qui consiste à réaliser un pliage en origami de mille grues dans une année afin que son vœu se réalise. Elle décéda après sa six cents quarante-quatrièmes grues, ses camarades de classes terminèrent alors les grues restantes. Sadako Sasaki est devenue le visage des nombreuses victimes mortes des années après à cause du bombardement. La grue en  origami un symbole de la paix. D’ailleurs nombreux sont les japonais qui vous demandent gentiment de bien signer des pétitions pour la paix. Enfin, c’est le dôme de Genbaku, un des rares bâtiments à être resté debout malgré le souffle. Longtemps a duré le débat si oui ou non il fallait le détruire, mais la ville a finalement décidé de le conserver en mémoire du terrible événement.

 

        Le Mémorial est très sobre, loin de tout sensationnalisme. Au centre de celui-ci, se trouve une vue réalisée à 360° de la ville dévastée. Au dessus une frise avec cent quarante mille carrés de mosaïques (évoquant le nombre de décès liés à la bombe), au centre une fontaine d’eau s’écoule. Lorsque la bombe éclata, les victimes brûlées par les radiations ressentirent une intense sensation de soif et implorèrent de l’« omizu » (eau). Cette fontaine pour qu’elles n’aient plus jamais soif. Dans une autre salle, sur des écrans, les portraits et noms des victimes apparaissent. Il est impossible de réaliser l’ampleur de la catastrophe. Un tel Mémorial fait prendre conscience qu’il est inconcevable que l’arme nucléaire existe encore sur Terre. Son usage est intolérable. Bien sûr il s’agissait d’une époque en guerre, Hiroshima a été visée pour sa position stratégique de l’armée japonaise, cependant l’emploi de telles armes de destructions massives tuant autant de soldats et civiles en un seul moment est une horreur inqualifiable. D’autant que ce bombardement a été mis en cause au moment de la décision, et remis plusieurs fois en question à posteriori par de nombreux rapports. Ceux-ci indiquaient clairement que les japonais se rendraient très prochainement face à la supériorité américaine. Dans une conversation, l’ancien secrétaire à la défense Robert McNamara déclarait « Si nous avions perdu la guerre, nous aurions été poursuivis pour crimes de guerre. » Que se serait-il passé si les nazis en avait été équipé, où les japonais ? Comme le résume le général Curtis LeMay (chargé de transmettre l’ordre présidentiel pour le largage de la bombe) : « Qu’est-ce qui justifie ce qui est immoral lorsque vous êtes le perdant et moral quand vous êtes celui qui gagne ? ». Rien, la guerre est amorale. L’arme nucléaire inhumaine.

         Après une telle visite, nos cœurs sont lourds. Nous qui voulions faire de l’auto-stop jusqu’à Osaka, nous choisissons de prendre le bus car l’auto-stop c’est avant tout un échange. Au moins, nos sacs sont heureux, jamais avant le Japon ils n’étaient montés dans des soutes de bus aussi propres ! Après des paysages de campagnes dominés par les monts tachetés de feuilles vertes et marrons, nous longeons des villes interminables, blanches et qui bordent la mer. La nuit se joint à la route. L’entrée à Osaka, troisième ville du pays, est un immense embouteillage. Derrière la vitre teintée du bus, la ville laisse croire à une architecture futuriste. Tous les hauts bâtiments ont des lumières rouges sur leurs arrêtes pour prévenir les avions. Les bâtiments resplendissent de lumières intérieures. Dans la rue, têtes levées, les cabines d’ascenseurs sont illuminées et visibles depuis les façades vitrées des bâtiments. Ils montent et descendent les hautes tours. Nous sommes dans le quartier des boutiques de luxes et cela se ressent aux passants qui nous entourent. Du coup c’est très amusant de voir au feu rouge, sur la route, des petits kartings Mario Kart (jeu vidéo Nintendo) avec leurs pilotes en costumes des personnages ! Le dortoir de l’auberge est minuscule, à peine la place de se glisser entre les lits. Après le dîner, nous nous motivons pour une petit tour sur le canal du Dotonbori. C’est le quartier de la vie nocturne d’Osaka, célèbre pour ses enseignes aux lumières débridées. Disons le sans détours, c’est la grande déception ! Peut-être parce que nous avons traversé la Corée du Sud avant le Japon, là l’impression est que l’ensemble est très fade. Les enseignes sont souvent blanches, sans mouvement. Il y a quand même de nombreuses sculptures murales pour dynamiser un peu le côté singulier du lieu. Finalement, le plus désagréable ce n’est pas la foule très importante, c’est que la très grande majorité de ces flâneurs nocturnes sont ivres. Au milieu d’eux, les nombreuses prostituées n’hésitent pas à aller à la rencontre de leurs clients potentiels. Étrange journée qui se termine sur cette note inusitée.

Canal Dotombori

        Le lendemain, changement d’auberge. Pour le Japon, il nous a fallu nous organiser différemment. Nous avions effectué nos réservation en amont pour éviter de se retrouver avec seulement des auberges chères (car tout est vite réservé). Celle où nous nous rendons est assez éloignée mais très économique. Elle nous permet de découvrir un autre quartier d’Osaka, d’autres rues peuplées d’étranges motos et de voir de loin la tour Tsutentaku. Si l’auberge est peu chère, c’est qu’elle est tenue par des expatriés qui n’ont clairement pas le même niveau d’exigence de propreté que les japonais : c’est clairement sale et bruyant. En retournant vers la ville, nous rentrons brièvement par curiosité dans une salle moderne bouddhiste. Des statues couleurs or sont disposées tout autour de l’extérieur d’une pièce intérieure de volume rond (au sein de laquelle il y a une petite salle), avec à chaque coin une statue couleur bronze. Les croyants font le tour, s’arrêtant à chaque angle en joignant les mains. C’est très curieux la manière répétitive dont sont disposées les statues.

        De jour, le Dotonbori est encore plus comblé de monde. Y circuler n’est pas facile, surtout à l’heure du déjeuner où il faut faire la queue pour manger. Aussi, des petits groupes de tout âges sont là yeux rivés et doigts pianotant sur leurs téléphones : il joue à PokemonGo… Heureusement, en ce samedi, il y a de nombreux cosplayeus (personnes se déguisant en personnage de mangas ou de jeux vidéos) qui apportent de la fantaisie dans la rue. Il y en a pour tous les goûts, tous de très bonne humeur. Un peu plus loin sur le canal, toute seule, une femme peint. C’est là le contraste du Japon, entre effervescence pour le virtuel et la sérénité de la contemplation.     Osaka est connue pour sa gastronomie, difficilement nous nous extirpons des rues de foule et files d’attentes pour trouver un petit restaurant, impatients de découvrir nos premiers sushis. Le lieu est calme, le chef derrière le comptoir discutant avec les clients. Au Japon tout est extrêmement bien pensé, par exemple, sous l’assise des chaises, il y a un tiroir pour y mettre son sac. Les sushis ne sont pas extraordinaires, mais pas mauvais non plus. En dessert, nous achetons un petit poisson fourré à la pâte haricots rouge. Si en Corée du Sud, c’était un euro les trois poissons, au Japon c’est un euro le poisson ! De quoi maigrir un peu… Le niveau de vie est un peu plus cher que la France. Notre petite ballade dans la ville nous mène au quartier Ame-mura (américain), très singulier notamment la forme des lampadaires. Dans une boutique d’objets amusants et de tout genres, nous nous éclatons à essayer des looks improbables (la boutique serait une petite mine d’or pour les artistes du cabaret où nous travaillions.. :).

      Lundi 11 décembre, nous nous sommes bien préparés et sommes bien décidés : nous rejoindrons Kyoto en auto-stop, sinon rien (il n’y a que 50 km à faire). Sur une carte, nous repérons une entrée d’autoroute suspendue. C’est compliqué de s’y placer car à peine dix mètres après le virage, il y a les barrières de péages. Aucun espace pour que les voitures s’arrêtent. C’est raté, mais nous ne désespérons pas. Un feu rouge nous inspire, nous nous plaçons après celui-ci. Moins de dix minutes après, une voiture y reste stationnée avec les warnings. Mika nous fait signe de la rejoindre, avec son petit ami Kazuki (qui a notre âge), ils vont à Kyoto. Pour la première fois ils embarquent des auto-stoppeurs, et pour la première fois nous montons dans une voiture japonaise. Ils sont d’autant plus ravis quand ils apprennent que nous sommes français et notre parcours sans avion jusqu’au Japon ! L’atmosphère est à la rigolade et la découverte des autres. Comme ils ne parlent pas très bien anglais, ils utilisent google translate (application de traduction), et des fois cela se transforme en jeu de devinettes, exemple « est-ce que j’ai la gorge sèche ? » : traduction « avez-vous soif ? ». Vraiment ils sont adorables et sont nos rayons de soleil de la journée. Mika et Kazuki nous déposent à la gare de Kyoto, merci infiniment pour ce très bon moment. Petite pause déjeuner avec une soupe d’udons (nouille épaisses) et nous filons à l’auberge. Nous constatons très vite que la ville est de moindre grande taille, les bâtiments sont bien plus bas, bien plus traditionnels. Nous arrivons à 15h, juste à la fin du « cleaning-time » cher aux japonais (de 11h à 15h, les japonais nettoient de fond en comble leurs auberges). Les lits faits, nous partons pour un bref petit tour dans la ville acheter des nouilles instantanées. Si les japonais ne parent pas leurs villes de guirlandes lumineuses dédiées à Noël, dans toutes les rues marchandes résonnent répétitivement les musiques de Noël en version américaine. Sans arrêt (cela en devient un peu lassant…). De toute façon nous rentrons tôt préparer cette semaine qui s’annonce passionnante.

        Notre projet de soie et de scène est d’essayer d’articuler le voyage avec des rencontres artistiques. Cette semaine est très certainement une des plus enrichissante dans ces deux sens. En effet, à Kyoto se trouve le théâtre du Butoh-kan (dédié à la danse du Butoh, danse contemporaine née au Japon à la fin des années cinquante). Grâce à l’accompagnement d’Abel Coelho (chargé de production et créateur lumière du lieu), nous allons avoir la chance de voir des répétitions, échanger avec trois artistes danseurs de Butoh et assister à leurs spectacles. Pour toutes les informations concernant le Butoh-kan et nos rencontres avec Yurabe Masami, Ima Tenko et Yasuo Fukurozaka, merci de vous rendre dans l’onglet Carnet de spectacles – Butoh-kan (articles bientôt en ligne).

        Le jour suivant, comme tous les matins au Japon nous mangeons du pain de mie et miel. Nous relisons attentivement la note d’intention du spectacle de Yurabe Masami, peaufinons nos questions. Puis dans la « ville capitale » (signification du nom de Kyoto qui a été la capitale impériale du Japon de 794 à 1868), en remontant la ville, notamment sur les bords de la rivière Kamo, la ville respire un riche héritage du passé. Sous les allées marchandes couvertes, nous traversons l’allée du marché Nishiki. C’est l’endroit pour goûter à toute sorte de plat sur le pouce. L’allée est étroite à cause du nombre d’étales, notre pioche n’est pas la meilleure. Nous pressons le pas car nous sommes attendus au Butoh-kan pour notre première rencontre avec Yurabe Masami. L’entretien se déroule à merveille. Yurabe Masami est quelqu’un de très délicat et gracieux. Nous faisons un petit tour et retournons le soir à la Kura (nom de la petite maison de spectacle du Butoh-kan), où nous sommes seulement neuf spectateurs (dix étant la jauge maximale du public). Le lieu est magique, assisté à un spectacle de danse de Butoh dans une telle proximité avec le danseur rend l’expérience encore plus intense. Le spectacle Underworld flower nous fait vivre une expérience d’une grande force enveloppée d’une grande douceur.

Kura du Butoh-kan

         La semaine s’organise ainsi, entre visites de la ville et ses nombreux lieux culturels, et les rencontres au Butoh-kan. La ville de Kyoto nous plaît énormément, nous adorons nous y balader. Le 13 au matin, nous essayons d’aller visiter le Kyiomizu-dera, grand ensemble de bâtiments bouddhistes. L’entrée est une grande porte rouge vermillon, derrière laquelle s’élève une pagode de la même couleur éclatante. De belles sculptures de dragons, de hérons et autres animaux sont présentes. Cependant la foule très compacte nous décourage d’aller plus loin. Dans un voyage il est important d’accepter de ne pas tout voir, de laisser les noms des lieux éveiller certains imaginaires davantage que des souvenirs. Alors nous poursuivons dans les rues du quartier historique avec ses maisons aux devantures en bois et les toitures grises ardoises. Près de la pagode Yasaka, une petite boutique de kimonos d’occasions attire notre attention. D’une certaine manière, c’est un peu la caverne d’Ali Baba ! Les kimonos sont des vêtements aux coûts très élevés, alors que ceux de seconde main ont des prix quasiment divisés par dix. En plus ils sont en très bon état. Notre aventure a failli prendre fin économiquement ici tant la tentation de tous les acheter était grande ! Plus de six heures nous sont nécessaires pour faire le choix cornélien pour choisir lesquels acquérir et lesquels laisser le cœur serré (en tête nous avons quelques idées de spectacles avec ces beaux habits…). Nous ressortons avec plusieurs sacs comme les japonais le font dans les boutiques parisiennes !

        Le lendemain, accompagnés d’une fine pluie, nous reprenons notre visite là où nous nous étions arrêtés à la Pagode Yasaka. La pluie au Japon donne un supplément de charme aux rues, comme un habillage temporel. Les petites rues sont une promenade agréable, nous visitons les boutiques d’artisanats. Les poteries, les baguettes, le bois… tout est d’une beauté épurée. La finesse des détails et l’harmonie de la simplicité sont époustouflantes. Pour éviter de gâcher du bois inutilement en gaspillant à chaque fois des baguettes jetables, nous nous achetons chacun une paire, et un étui par enroulement pour qu’elles nous suivent partout. Ensuite, nous faisons halte au Daibutsu (« Grand Boudha ») de couleur écru, surmonté d’une coiffe comme nous avons rarement vu. Devant lui fument les bâtons d’encens plantés dans un autel. A sa droite les prières des croyants sont accrochés. Comme de nombreuses grandes statues de Bouddha, nous pouvons rentrer à l’intérieur via un petit escalier. Un petit chemin arrondi nous fait découvrir d’autres statues de plus petites tailles, en bronze, éclairées par des petites lumières. Toujours avec ces postures paisibles. Un peu plus loin, nous visitons le Kodai-ji, une ancienne école de bouddhisme zen. Certainement une des visites qui nous enchante le plus. Une succession de petits bâtiments en bois bordés par des jardins de style japonais. La sérénité, la beauté de la simplicité et l’agencement des éléments sont prégnantes. Tout est d’une finesse superbe. La promenade est un petit chemin ascendant à travers un magnifique jardin, dont le point d’orgue est la magnifique bambouseraie en fin de parcours. A nos yeux, la plus belle et grandiose que nous ayons vu au pays du soleil levant (bien plus que la célèbre Arashiyama). Les troncs sont d’un diamètre élevé, ce qui surprend peu compte tenu de la très grande taille de ces perches vertes. En ressortant, nous tournons une fois les rouleaux Mani, rouleaux de prières pour que le vents les emportent avec lui. De notre côté nous filons au Butoh-kan où nous rencontrons la danseuse Ima Tenko. Pour l’entretien, elle a amené de nombreuses photographies et documents de son parcours. C’est une femme de caractère, son spectacle Hisoku est un spectacle fort et bouleversant.

           Pour rentrer, nous empruntons des petites rues de plusieurs quartiers historiques. Dans un premier temps nous passons au milieu de monuments cultuels. Les lanternes accrochées évoquent des instantanés d’Asie, réveillant nos imaginaires des lanternes luminescentes et oscillantes aux légères poussées venteuses. D’autres bâtiments ne sont pas éclairés mais restent tout de même imposants par leur taille. Puis, nous furetons dans le quartier Gion, où il est possible d’apercevoir des Geishas. Ce soir là, nous n’en voyons pas (brièvement un autre soir). Le quartier sont des rues silencieuses, des endroits secrets dont rien ne se devine de l’extérieur. Une lanterne rouge pend à chaque entrée, ce sont souvent des restaurants où l’exclusivité et le privilège du dîner en compagnie d’une Geisha doit être très élevé. Et le prix ne doit certainement pas être le seul critère d’entrée dans une machiya (maison de style traditionnel). Toutes ces petites façades dissimulent des énigmes taciturnes.

Machiya

         Le 15 décembre cela fait quatre ans que nous sommes ensemble ! Si nous rajoutons les sept mois de voyage, au propre comme au figuré cela fait un sacré bout de chemin parcouru ! C’est aujourd’hui que nous décidons d’aller visiter le Fushimi-Inari, certainement un des monuments les plus fameux du Japon. Pour nous y rendre, le train local que nous empruntons a un côté ancienne école très chic comme seuls les japonais savent en faire. A la sortie du train, un nombre impressionnant de visiteurs venus traverser les quelques milliers de toriis. C’est le sanctuaire shinto le plus grand du Japon dont la création remonte à 711. Après avoir passé les grands temples de prières, nous voilà à l’entrée des premiers toriis. C’est comme la tour Eiffel, un monde incroyable qui freine sans arrêt pour une photo et râle que les autres ne respectent pas la pose. C’est une avancée à petits pas. De nombreuses sculptures de renards représentant la déesse Inari, déesse du riz et de la richesse. Aux pattes de ces petits êtres de pierre sont posés des petites coupes de saké en offrande. Entre les dents de l’animal est tenu la clé des greniers. Plus nous grimpons, moins il y a de monde. Petit à petit même, nous nous retrouvons seuls. La nature qui entoure les toriis est très luxuriante, ses petits sons sont audibles. De la mousse végétale couvre bien souvent les statuettes d’Inari, enveloppées dans les volutes fumeuses des bâtonnets d’encens. Le lieu insuffle une atmosphère de mysticité, comme si le l’endroit s’était extirpé du temps qui passe et s’était figé dans un temps propre à lui. Le Fushimi-Inari regorge de petits recoins ombrageux presque inquiétants. Simultanément les toriis et leurs couleurs rouges vermillons créent un effet inqualifiable. Sur les chemins autour du sommet, nous nous plaisons à nous imprégner de cette atmosphère particulière. La petite anecdote démystifiante, nous remarquons les inscriptions en idéogrammes japonais qui ne sont présents que sur un seul côté des portes. Si la calligraphie nippone suscite immédiatement notre fascination par ses formes, ce que nous ne savions pas sur l’instant, c’est qu’il s’agit en réalité du nom de l’entreprise ou la personne (ainsi que la date de pose) ayant financé la pose du torii…et apparemment la liste est longue pour faire cette offrande à Inari, déesse du riz et de la richesse.

          Sur le trajet du retour, pour nous remettre les pieds sur terre, nous filons au cinéma voir Star Wars VIII en version originale. C’est un désastre, Walt Disney a détruit une saga mythique. A la suite de cela, Abel Coelho nous avait donné des invitations pour voir le spectacle au Théâtre Gear. Curieux, nous ne savons pas vraiment à quoi nous attendre, cela semble plein d’énergie (jeter un œil à leur site http://www.gear.ac/en/ ). En plus, avant de rentrer dans la salle de spectacle géniale, vient avec le ticket une paire de lunettes de protection…Prochainement nous essaierons d’écrire un article à propos de ce lieu déjanté à Kyoto. Le spectacle est super, drôle, rythmé, varié… nous vous en dirons plus à propos des roboïdes et la fabrique de poupées. Après une aussi longue journée, nous nous offrons un restaurant à sushis, ceux qui ont un tapis roulant avec les petites assiettes qui défilent. Il est vraiment très bon, en plus l’eau chaude pour le thé macha est à volonté. Comme nous avons pris de l’assurance dans notre vocabulaire, à la manière des japonais nous demandons poliment au chef notre souhait de maki ou de sushis.

          Le 16 marque une journée particulière, en plus des sept mois de voyage, c’est la dernière fois que nous nous rendons au Butoh-kan. Une première fois dans l’après-midi pour un bout de répétition et un entretien avec Yasuo Fukuorazaka. Abel Coelho est d’une immense gentillesse et très précieux dans son accompagnement, il traduit les questions et les réponses en s’efforçant d’être très précis (ce qui n’est pas évident tant il y a du vocabulaire en japonais pour qualifier des concepts inexistants pour nos langues). Yasuo Fukuorazaka est un homme très calme, très posé et très affirmé dans sa démarche de recherche. Le soir, nous voyons son spectacle, le troisième de la semaine. Pour la troisième fois, nous avons l’illusion d’être dans un lieu différent tant l’esthétique et l’énergie du spectacle est distinct des deux précédents. Le spectacle Antigraviton, Lovely Face nous emmène dans univers désorientant et très intriguant. Le spectacle fini, nous faisons quelques photos avec l’équipe du théâtre. Quel lieu fantastique ! Nous n’avons absolument pas envie que ce soit notre dernier soir au Butoh-kan. Nous sommes tellement et infiniment reconnaissants à toute l’équipe de ce lieu incroyable, spécialement Abel Coelho qui a permis toutes ces rencontres. Dans notre parcours de soie et de scène, avec le festival de Sibiu, cette semaine aura été sur le plan artistique une des plus fortes. C’est les cœurs très chargés que nous partons de la Kura.

peinture de costume de Théâtre Nô

          Le jour suivant, c’est un peu en catastrophe que nous voyons qu’il y a un spectacle de théâtre Nô à 12h30. Le pas pressé, nous y arrivons vers 12h15 l’estomac vide. Nous hésitons car c’est très cher, et un spectacle de Nô c’est très long. L’occasion est trop belle pour la manquer, nous y allons. A l’intérieur de la salle, la scène est conventionnelle du modèle de ce théâtre. Elle est en bois, couverte (car à l’origine à l’extérieur), une allée à jardin d’où viennent et repartent les personnages. Face aux spectateurs la scène où se déroulent les pantomimes et s’installe le chœur (avec une peinture de pin en fond de scène). Les règles de ce théâtre traditionnel crée au XIIIème siècle ont été fixées au XVIIème siècle par Zéami. Elles sont inchangées depuis ce temps. A ce propos, les rôles et la formation du jeu se transmettent de père en fils, bien qu’aujourd’hui les femmes peuvent aussi le pratiquer. Le théâtre Nô repose sur une esthétique très codifiée où l’action se déroule par la lenteur des déplacements, des déclamations chantées et une musique très épurée. La particularité du théâtre Nô s’appuie davantage sur l’atmosphère crée dans la densité temporelle que spatiale. Pour nous étrangers, le spectacle commence dans la salle, où les spectateurs japonais se sont parés de très beaux habits. Les femmes portent des kimonos d’une grande élégance.

        Le spectacle commence, les musiciens s’installent. Le Nô est une expérience qui exige du spectateur une concentration exacerbée dans le sens où les mouvements reposent sur une délicatesse permanente et une grande précision. La musique est très dépouillée, les coups de tambours sont très espacés, les chants par intermittence. En tant qu’étranger de ce spectacle et du japonais, nous ne comprenons pas les codes. Mais l’atmosphère nous absorbe. Certains spectateurs le sont encore plus, plongeant dans un sommeil immobile. C’est comme si la scène devenait le rêve visible de ces yeux clos et visages sereins. Les costumes sont très beaux, d’une très grande finesse. Les masques sont ravissants, l’apparition du dragon sera celle qui restera la plus éloquente pour nous. A 16h, à l’entracte, nous ne comprenons pas non plus le kyogen, qui est un petit interstice humoristique. Paradoxalement, c’est pour nous une grande expérience de spectateur si inédite qu’elle nous séduit (nous avons encore en mémoire les cris du percussionniste avant de frapper la peau de son tambours). A 18h30, nous quittons la salle, expérience extra-ordinaire.

         Le temps file et nous sommes déjà le 19 décembre. En ce lundi, nous nous reposons un peu de toutes ces riches découvertes. Le Japon est un pays enchanteur, tout y est d’une grande délicatesse et subtilité. Il nous reste encore deux semaines à découvrir ce pays singulier.