Rencontre avec Jiin Kwon

Rencontre avec la chorégraphe Jiin Kwon

Danse et musique – Jeonju, Corée du sud

                    En ce jeudi 30 novembre 2017, nous rencontrons la chorégraphe Jiin Kwon. Grâce à Mina – amie coréenne de Félicien, cousin de Barbara, qui nous avait déjà fait découvrir le restaurant de sa maman et autres spécialités coréennes – nous avons eu le contact de cette artiste chorégraphe coréenne. A la suite de plusieurs échanges, Jiin Kwon nous invite à une répétition de son ensemble de percussions traditionnelles du nom d’Akwi. Cette rencontre est très intéressante et nous apporte un autre regard sur les arts du spectacle en Corée du Sud (précédemment nous avions rencontré une compagnie de danse coréenne) .

             Malgré l’adresse et notre repérage sur une carte nous nous perdons un peu. Les locaux nous remettent sur le bon chemin. Jiin Kwon nous accueille avec un très grand enthousiasme à leur espace de répétition (elle avait mis un petit mot sur la porte avec toutes les indications). Comme c’est d’usage en Corée du Sud, nous nous déchaussons à l’entrée et enfilons les petites pantoufles. Jiin Kwon nous introduit auprès des membres d’Akwi, tous étonnés de découvrir deux français venus les voir répéter. Ils commencent leurs échauffements.

             Elle travaille avec le groupe de percussions traditionnelles coréennes depuis leur création il y a dix ans. Leur spécificité est de jouer de la musique traditionnelle en mêlant l’humour et la chorégraphie sur scène. Jiin Kwon dirige les cinq musiciens (qui parfois changent en fonction des départs) en les écoutant d’abord et les observant. Puis elle leur soumet des idées de mouvements derrières leurs tambours, de déplacements dans l’espace, de mimiques, des pistes d’improvisations. Aussi elle corrige la musique, c’est très précis. Ce petit bout de femme de cinquante ans est d’une gentillesse et d’une vitalité incroyables. Souriante et drôle, elle ne laisse passer aucun détail. Plusieurs fois elle les reprend que ce soit pour la musique ou leurs postures. Notons au passage que le plus jeune est certainement le plus gêné par notre présence (les autres plus expérimentés de la scène s’en amusent pleinement), elle le reprend à chaque fois pour qu’il donne le meilleur de ce qu’elle attend de lui. C’est un immense plaisir d’assister à une telle répétition, d’une part pour observer Jiin Kwon travailler, mettre en espace et créer une dynamique de spectacle avec des musiciens. Ses retours sont très souvent justes. D’autre part, nous avons le privilège d’écouter des morceaux impressionnants qu’il s’agisse de la puissance, la vélocité, la précision des percussions et l’aisance des musiciens.

https://youtu.be/ZEdgqK6OI-Q

             Le lien ci-dessus est une bande-annonce du spectacle du 10ème anniversaire d’Akwi, mise en scène par Jiin Kwon en août 2017. Le nom du spectacle est L’harmonie de la musique millénaire du vent et le désir (le mot Baram signifie en coréen à la fois vent et désir). Le groupe s’était associé à un chef d’orchestre coréen et d’autres musiciens pour un spectacle d’une durée d’une heure trente.

             A la suite de cette répétition, nous prenons un petit temps d’entretien sur son travail en tant que chorégraphe et danseuse. Dernièrement, elle a notamment fait un spectacle en hommage aux femmes et jeunes filles tuées et abusées par les japonais pendant la guerre qui les opposait. Elle nous montre une vidéo, c’est un travail très minimal et très empreint de tension émotive (nous sommes surpris de constater à quel point cela est palpable sur la vidéo). Elle s’est inspirée d’une des nombreuses statues qui existent en hommage aux femmes coréennes, dîtes de « réconfort », qui avaient été enrôlées de forces dans les bordels comme esclaves sexuelles de l’armée impériale japonaise pendant la colonisation de la Corée (de 1919 à 1945). Ces femmes abusées auraient été au nombre hallucinant de 200000 selon certains historiens (le Japon a depuis reconnu cet outrage historique à travers des excuses publiques et en finançant de nombreuses actions d’aides pour les femmes victimes). Partant de cette sculpture, à travers un spectacle non-verbal elle évoque ces mémoires oubliées de la guerre nippo-coréenne. A chaque fois qu’une statue est construite, Jiin Kwon joue son spectacle pour commémorer la mémoire de ces jeunes filles devenues des vieilles femmes aujourd’hui. Elle nous parle de différents projets passés. L’important pour elle est de faire rejaillir les émotions intérieures à travers la danse.

            Nous découvrons une carrière longue et très diverse. Par exemple, elle évoque également la tragédie du ferry Sewol, le 16 avril 2014, qui a coûté la vie à trois cents quatre personnes (dont deux cents soixante et un lycéens). Face au manque de réactivité des autorités, qui fait perdre son poste à la présidente Madame Park et l’a mené en prison, le gouvernement a essayé d’étouffer l’affaire pour établir les responsabilités. En réponse, Jiin Kwon a crée l’association Remember0416 avec une grande partie des mères des adolescents décédés. La vidéo (deuxième lien) nous montre la performance de Jiin Kwon réalisée devant l’Assemblée. Les objets par terre signifient les lycéens. Le tissu est rempli d’empreintes des mains, de pieds des familles et de citoyens. A travers eux, il y a la volonté d’évoquer la tragédie du ferry. A la fin de la performance, Jiin Kwon court vers la principale porte de l’Assemblée, symbole du gouvernement étouffant l’affaire et tentant de la faire disparaître à travers une manipulation médiatique.

https://youtu.be/GOgH7nITNfo   (lien spectacle dédié à la mémoires des femmes coréennes victimes )

https://youtu.be/Z0LnMTfDCC4  (lien performance devant l’Assemblée avec Remember0416)

               Nous l’interrogeons sur les possibles difficultés d’être une femme artiste en Corée du Sud. Elle nous répond qu’elle a d’abord été danseuse et interprète avant de diriger et créer ses propres spectacles. C’est petit à petit qu’elle a été reconnue pour son travail et a acquis une certaine renommée en Corée du Sud. Jiin Kwon reconnaît qu’être artiste est difficile. Néanmoins, elle nuance très vite en ajoutant que certainement sa chance est qu’elle a débuté sa pratique il y a déjà plusieurs années. A ses débuts, il n’y avait pas autant de danseurs et chorégraphes qu’aujourd’hui. D’une certaine manière il y avait « plus de place, ». Aujourd’hui de nombreuses compagnies la contactent pour faire les mises en scènes de leurs spectacles. En ce sens, à ses yeux être une femme et artiste ne lui pose pas d’obstacle supplémentaire. Actuellement, elle travaille avec une compagnie de danse d’épées.

         Vous trouverez d’avantage d’informations sur son facebook : https://www.facebook.com/profile.php?id=100005682420678

               Nous remercions chaleureusement Mina de nous avoir mis en relation avec la chorégraphe. Nous remercions tout autant Jiin Kwon pour ce très bel entretien.