Iran – 2ème partie

Du 31 août au 12 septembre 2017. Iran partie 2 : Isfahan – Chiraz – Yazd – Téhéran – Astara

Roses des sables aux Reflets bleutés

              En quittant Téhéran, nous avons fait étape brièvement à Kashan. La ville nous a enchantés de surprises. Nous sommes le matin, jour de notre départ pour Isfahan.

             Au menu du petit-déjeuner de ce 31 août, tomates, concombres, pastèques, pains galettes et œufs dans la belle cour intérieure. Autour de nous, mis à part deux italiens, tout le monde parle français ! Nous sympathisons avec Françoise et Daniel, deux toulousains à l’accent chaleureux au cœur d’Aurélien. Ils ont la soixantaine mais l’énergie et le sourire de gamins de dix ans. Nous partons pour Isfahan. Au Terminal (gare routière) c’est toujours la même rengaine abrutissante. Les rabatteurs crient en répétitions le nom des villes de leurs bus. Ils nous voient de très loin arriver et aussi vite ils sont autour de nous à nous crier leurs tickets au prix fort. Nous ignorons leurs propositions et leurs « je te tire par le bras » pour que tu viennes avec moi. Quand nous leur répondons « Normal bus », ils refusent en disant qu’il y a seulement des VIP bus (forcément plus chers). Ce que nous faisons dans ces cas là, nous nous éloignons de ces hurleurs en chemise blanche et demandons tranquillement aux guichets. Comme ils tiennent à remplir leurs bus, nous arrivons à négocier entre 20 et 30% moins cher.

           Le soleil transforme en plaque chauffante la fenêtre, c’est par intermittence que nous regardons le paysage défiler. L’Iran, c’est la découverte du désert. Aride, plat et immense. Quelques deux cents kilomètres plus tard, nous découvrons la belle Isfahan, oasis de verdure au milieu des sables. Arrivés à Isfahan, nos sacs posés à l’hôtel, nous sortons. Pour la première fois, nous voyons de vrais magasins de sports avec des articles officiels. C’est que les iraniens aiment les vêtements de marques, mais ils sont souvent de contrefaçon (quand les t-shirts portent le logo de Carhartt avec écrit Pierre Cardin dessous…). Nous nous arrêtons manger de très bons falafels, servis par un homme très gentil. Les glaces en dessert dans la boutique voisine nous surprennent de leurs saveurs délicieuses. Nous nous dirigeons à pied vers la place Naghsh-e Jahan, alors que de nombreux iraniens empruntent des golfettes sur cette courte rue piétonne. Quel émerveillement d’arriver dans cette immense enceinte rectangle, haute d’un seul étage, rythmée d’ouvertures blanches en arc brisé. Les dômes bleus des mosquées du Cheikh Lotfollah et du Grand Imam apparaissent au milieu et au fond. Au milieu, au son des calèches, sur les grands espaces verts les iraniens viennent pique-niquer en famille. Une fontaine au centre imprègne de douceur supplémentaire l’espace.

Cheikh Lotfollah

         Après un petit tour, nous nous lançons le défi de dessiner la façade de la Mosquée du Chah. Débutée au XVIIème siècle, de style safavide, l’enjeu n’est pas simple. Particulièrement le pishtak (le portail principal avec l’arc brisé) qui abrite une moulure de reliefs réguliers, qui semble de petites ouvertures pliées et dépliées. C’est fascinant, les inscriptions en arabe s’insérant harmonieusement à travers les motifs floraux. Les tours ne sont pas démesurément hautes. La lune pointe son nez blanc au dessus de la coupole bleutée. Quand nous nous rejoignons (nous avions choisi deux points de vues différents), nous constatons que nos expériences ont été bien différentes. Personne n’est venu parler à Aurélien (les iraniens le prennent pour … un iranien), alors que Barbara a été arrêtée dans son dessin toutes les deux minutes pour un selfie, prendre en photo son dessin et l’éternel question : « Where are you from ? » Pas le plus facile pour se concentrer pour dessiner. De plus, un homme d’une quarantaine d’années du nom d’Adel a engagé la conversation avec des questions et des explications très riches sur l’Iran.

          Avant la prière, nous rentrons à l’intérieur du lieu saint. En restauration, couvert d’échafaudages, la mosquée naturellement perd de sa beauté. Et puis nous sommes la nuit, les couleurs sont moins éclatantes. Néanmoins, le lieu nous fait une aussi belle impression que l’extérieur, aux mêmes motifs. C’est l’heure de l’oraison, au son du muezzin, nous quittons le lieu. Nous passons par le bazar qui est à l’intérieur des murs d’enceinte. De tous, c’est celui qui offre aux passants les plus beaux objets d’artisanat que nous ayons pu voir. D’une certaine manière, c’est un musée des merveilles perses. Les tapis (volants nous assurent les marchands), les céramiques aux motifs minakari, les bijoux, la vaisselle, les objets de décoration. Les artisanats ont ici leurs lettres de noblesse. C’est un peu comme la caverne d’Ali Baba, un régal pour les yeux.

Vank church

        Le lendemain matin, nous partons en compagnie de Kim la belge et Dani l’indonésien. Direction l’église Vank, située dans le quartier arménien. En route, nous constatons avec Barbara qu’il ne nous reste pas beaucoup de rials (en Iran il n’y pas de distributeurs pour Visa ou Mastercard, il faut obligatoirement passer par des bureaux d’échange ou hôtels). Comme c’est vendredi, donc jour saint, aucun bureau d’échange n’est ouvert. Nous avons suffisamment pour l’entrée. Si d’apparence l’extérieur est assez simpliste et monochrome (quoique d’architecture différente d’une église occidentale), l’intérieur est une profusion de couleurs. Le moindre centième de millimètre est coloré, les parois sont comme les pages géantes d’une Bible. Les coloris sont éclatants, ce qui renforce l’expressivité des peintures. Les faces internes des coupoles sont couvertes de superbes teintes dorées. A côté, un petit musée dans lequel on découvre une machine d’imprimerie par presse datant de 1841 (amenée par les arméniens). De nombreux corans et bibles, de différentes tailles, de différentes écritures (arabes, perse et arménienne), par différents modes (imprimés ou manuscrits) sont présentés. Aussi, il y a des petits objets comme des micros sculptures sur bois. C’est une présentation d’objets religieux réalisés par des artisans arméniens, avec aussi une présentation du génocide subi par ce peuple. En ressortant, nous nous essayons au dessin.

         Dans la continuité, nous allons au musée de la musique. A cours de rials nous payons avec un billet de cinq euros et de dix dollars. L’homme qui nous guide a des yeux bleus captivant. En réalité, à partir d’Isfahan, nous croisons de nombreux regards aussi azur que le ciel au dessus du désert. Les sables des temps semblent s’y exprimer. Le musée est privé (un des rares en Iran), il contient une collection passionnante. En effet elle mélange différentes catégories d’instruments. Des anciens, comme l’ancêtre de la harpe ou de la guitare, des instruments surprenant comme des flûtes à deux becs, ceux faits d’ingéniosité avec du matériel de récupération comme une guitare à caisse résonnante. En plus, le guide n’hésite pas à faire sonner les instruments. La photo qui rassemble le plus d’instruments est celle qui compose généralement un groupe au complet. Celui ressemblant à un clavier avec de nombreuses cordes est un qanün (très complexe à jouer). La visite se conclut par une chanson, amenée par deux guitaristes de Târ, un percussionniste et un chanteur. La musique est une passerelle vers un voyage immobile. Le chant fait d’envolées vocales et rebonds gutturales illumine l’imaginaire fait de caravanes, de bourrasques de sables et forteresses oubliées. A la fin nous prenons même le temps d’un échange. Cette visite est un très grand enchantement.

         Retour à la réalité, d’abord nous cherchons un hôtel où échanger un peu d’argent. Ensuite, toujours en compagnie de Kim et Dany, nous allons nous restaurer car il est plus de 15h30. Nous mangeons dans un restaurant au décor traditionnel, adresse connue tant les iraniens sont nombreux. A l’intérieur c’est une vrai cantine bruyante, nous y mangeons du chelow khoresht (qui est du riz accompagné de ragoût). Ce qui aura le plus surpris notre palais restera la tapenade davantage sucrée que salée. Nous les quittons pour aller voir le pont Si-o-se Pol, ou le pont aux trente trois arches. Petite déception la rivière Zayandeh rud est absente, il n’y a pas d’eau sous les arches. Le lit de la rivière est à sec (au point que nous pouvons la traverser à pied). Nous y recroisons Françoise et Daniel, nos chers toulousains rencontrés à Kashan. Nous discutons, le récit de leurs multiples voyages nous émerveille drôlement ! Nous ne connaîtrons jamais l’authenticité des temps où ils ont voyagé, c’est certain ! Eux qui n’ont jamais pris une photo de leurs périples vous font voir avec les mots les plus beaux moments de leurs vies. Ils sont géniaux. Le soir, nous leur proposons de reprendre le fil de notre longue discussion autour d’un dîner le lendemain.

        De bon matin, sur le chemin de la mosquée du vendredi, encore par hasard nous rencontrons nos toulousains aux grands cœurs ! Nous poursuivons, nous nous perdons dans le quartier juif, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Les rues claires respirent le temps. La poussière s’envole, une mosquée au mur fissuré accueille les fidèles. Avec la boussole, nous nous dirigeons à travers les rues. Ce petit instrument de navigation est toujours un compagnon fidèle pour se repérer. Nous arrivons au bazar, à un coin nous trouvons la mosquée mais grilles fermées. De nulle part, un vieil homme, yeux céruléens et sillons marquant son visage brun nous fait signe de le suivre. A travers les allées marchandes aux étals variés et la foule passante, nous le suivons sans d’autre raison que notre intuition. Nous y sommes, avec un sourire et les yeux rayonnants, de sa main tendue il nous indique l’entrée du lieu saint. Nous nous acquittons du prix d’entrée.

       Dans la première pièce, d’arcs brisés en briques claires, nous retrouvons Marie-Emilie et Olivier partis pour un voyage au long cours (dont vous les aventures sont là www.lefilconducteur.net ), que nous avions aperçus à Tabriz. Nous traversons plusieurs salles, faîtes de colonnes sculptées, de voûtes croisées, de briques. Les sels du Temps sont en suspends et se goûtent à la lenteur du regard. Une sensation inintelligible enveloppe les sens. Dans une salle d’un plus grand volume, surmontée d’une coupole, les murs sont bruts. Sans couleur, seulement sculptés, la beauté brute de l’architecture. Dehors, les façades arborent les couleurs sable et bleues. Le pishtak est un (si ce n’est le) plus beau qui nous est donné à voir. Plus simple et ses moulures plus larges, il est plus apaisant à l’œil. Les portraits des Guides suprêmes Khomenei et Khamenei sont présents. Nous retrouvons l’homme qui nous a guidé jusqu’à l’entrée en train de prier. Nous continuons notre visite, un imam nous aborde. Si au début il ne parle qu’à Aurélien (comme cela arrive souvent malheureusement, nous croyant mariés, ils ne parlent qu’à l’homme), Barbara lui répondant, il s’autorise à lui poser aussi des questions. Avec l’anglais qu’il apprend en autodidacte, nous avons une conversation emprunte de tolérance et de réflexion. Il conclut notre discussion en disant ceci « Dans le monde, j’aime tous les peuples : américains, chinois, africains, européens ! Tout le monde ! Il n’y a qu’une chose que je déteste, nos et mon gouvernements. Avec leurs frontières, ils mettent des barrières entre nous. Ils nous empêchent de nous rencontrer. »

        Plus loin dans la journée, nous allons faire la visite de la mosquée Cheikh Lotfollah, sur la place Naghsh-e Jahan. Malheureusement s’il y a bien un endroit où Aurélien n’est pas pris pour un iranien c’est aux caisses des monuments. A chaque fois, nous nous retrouvons à payer plus de six fois le prix iranien. Si nous comprenons que nous devons payer plus cher, six fois nous paraît exagéré. Bref. La construction date du XVIIème siècle. Elle est étonnamment dépourvue de minaret et de cour extérieure. Petite en taille, c’est un long couloir qui mène à deux salles de prières, une en sous-sol, l’autre sous un immense dôme. L’ensemble est décoré dans le style Safavide, avec une prédominance du bleu, des motifs floraux et réguliers, d’écritures blanches. C’est époustouflant, chaque centimètre carré est recouvert de peintures colorées d’une grande finesse.

          Nous retournons à l’auberge après avoir eu le plaisir de s’offrir un deuxième tour dans le magnifique bazar. Mais devant la mosquée de l’Imam, nous sommes interpellés par un « Where are you from ? » d’une jeune fille tout sourire. Particulièrement à Isfahan, les iraniens vous abordent souvent pour vous faire un brin de discussion en anglais. Nous parlons avec cette jeune fille de 19ans à l’anglais parfait! Elle voyage avec toute sa famille, ils sont ici en vacances. Elle est la seule à parler la langue de Shakespeare, et devant sa famille (qui ne comprend pas) elle nous dit quelle chance nous avons de voyager comme ça, librement et de pouvoir s’aimer librement. Elle s’excuse pour le port du voile obligatoire et conclut qu’elle rêve de voyager mais son père lui interdit tant qu’elle n’est pas mariée. Voilà la triste réalité ! Nous sommes désolés pour elle, tristes et révoltés. Cette conversation est représentative de beaucoup que nous avons eu en Iran. Des personnes cultivées, éduquées mais « prisonnières » du dictat sociétal et religieux. Particulièrement les jeunes filles qui font de longues études, parlent parfaitement anglais et d’autres langues étrangères, qui après leurs études, sont contraintes de retourner vivre chez leurs parents car elles ne trouvent pas d’emploi. Plus l’âge passe, plus elles sont difficiles à marier et sont un « poids » pour leur famille. Cela nous refroidit bien. Cela représente bien l’atmosphère de notre voyage en Iran, nous passons de l’émerveillement à la colère tant il y a des choses magnifiques et des sujets révoltants.

          Nous rentrons pour nous reposer et Aurélien repart voir les ponts d’Isfahan. L’eau, sa musicalité, ses reflets, manquent vraiment au pont des trente trois arches. Le second est plus petit. Le troisième, plus grand, plus massif, est le pont Khaju. Construit vers 1650, il comporte vingt trois arches. Il ne reste

Pont Khakun

rien des décorations passées. En s’y promenant, des échos de musiques se font entendre. Sous les arches, en lieu et place du passage de l’eau, des petits groupes d’hommes de tout âges sont là. Pendant qu’un tapant dans ses mains entraînent les autres dans le rythme, le chant du chanteur résonne dans l’architecture de la voûte. Quelquefois ils reprennent en chœur les paroles. La musique a une réelle importance pour les iraniens, plusieurs fois ils nous en ont parlé comme essentielle à leurs vies, à leurs cœurs. A les écouter jouer ainsi, il est limpide de comprendre comment.

            Le soir, nous retrouvons Françoise et Daniel. Nous avons aussi convié Marie-Emilie et Olivier. Le repas est un délicieux moment d’échanges d’anecdotes et de récits de voyages. Le dîner est bon, la bière sans alcool aussi (l’alcool est interdit en Iran) nous voyageons dans le temps avec Françoise et Daniel. Cela nous fait le plus grand bien et cette soirée est un immense bonheur. De plus, nous abordons aussi le sujet du voile. Marie-Emilie a la même difficulté que Barbara et pour Françoise ce n’est pas non plus réjouissant. Cela est soulageant pour Barbara de ne pas être seule à le vivre difficilement. Mais le mal-être ne vient pas seulement du voile. Notamment le regard des hommes et des femmes. Par la suite, nous rencontrerons plusieurs garçons voyageant seuls nous vanter l’Iran comme une des meilleures expériences mais à aucun moment ils se sont posés la question des conditions des femmes. L’Iran est un magnifique pays, les gens y sont très gentils. Cependant, en tant que femme, souvent vous êtes ignorée si vous êtes à côté d’un homme, voir méprisée si vous êtes seule. L’homme est toujours celui à qui ils s’adressent. Le voile vous fait disparaître, vous vous effacez totalement, vous n’existez pas au yeux de la majorité des hommes. Barbara souvent prend de court les chauffeurs de taxis et nos interlocuteurs en leur adressant directement la parole, en négociant et en payant. Nous essayons par cela de montrer que nous sommes égaux. Nous avons aussi parlé à des filles qui voyageaient seules et pour elles c’était l’inverse : elles avaient toute l’attention. Elles se sont senties regardées comme des prostituées et faisaient l’objet du désir de certains hommes. Plusieurs fois des iraniens nous ont dit vouloir se marier avec une étrangère. Dans le même temps, nous avons aussi rencontré de très nombreux iraniens respectueux, qui ne faisaient pas de différence entre nous pour notre genre et avec qui nous avons passé de merveilleux moments. L’Iran et ses contradictions.

         Il est un peu avant midi ce 3 septembre et nous attendons au Terminal le bus. Distance à parcourir : quelques 480kms. Un homme assis à côté d’une femme comprend que nous sommes français, il dit « Neymar » et Aurélien engage la conversation. Dans tous les pays que nous avons traversés, le football a été un moyen de communication amusant. Coup de chance, ils supportent les mêmes clubs ! Nous partons, derrière la fenêtre notre frustration est à la mesure de l’étendue des paysages. Ce que nous aimerions arpenter ces déserts, éprouver les ardeurs. Aussi, reprendre l’aventure avec le hasard de l’auto-stop et les rencontres qu’il permet. Mais la chaleur et surtout l’obligation d’être couverts de partout nous arrête. Dans le bus, prenant quelques clichés, Aurélien sent que l’homme rencontré sur le quai a besoin de parler. La femme qui l’accompagnait est descendue bien plus tôt, il n’a pas de bague aux doigts. Nous non plus (certains couples pour éviter de possibles ennuis achètent de fausses bagues pour faire croire qu’ils sont mariés), nous avons fait le choix d’assumer de ne pas être mariés. Par conséquent, nous faisons attention à qui nous disons que nous sommes en couple ou simples amis. L’homme lui demande si nous sommes en couple, dans son regard se lit facilement la blessure de son amour interdit. En chuchotant, Aurélien lui répond que oui et l’interroge en devinant sa réponse. Il lui répond oui, mais comme ils ne sont pas mariés, personne ne doit le savoir sinon il lui fait le signe des poignets menottés. Ils parlent, les mots et la compréhension lui font du bien. La poignée de main à sa descente du bus les touche. Le regard de l’homme est plus vif. Aimez vous ! Nous arrivons à Shiraz, une des villes les plus chéries des iraniens. Le personnel de l’hôtel n’est pas très aimable, en plus Barbara n’a pas l’autorisation d’enlever le voile ce qui habituellement se fait dans la plupart des hôtels. Malgré tout il y a un toit terrasse, dans l’air frais du soir nous buvons un verre. Barbara un thé, Aurélien une choppe de dough. Breuvage national, c’est du lait brassé (parfois dans de la peau de mouton ou de chèvre), auquel est rajouté des bactéries et du sel. De la langue à l’estomac, tout mon appareil digestif se contractent de répulsion au passage de la boisson. Barbara rigole de mes grimaces en me disant d’arrêter, j’abdique avant la dernière gorgée !

           La journée suivante n’est pas dans les meilleures. Avec le frottement du voile, la sécheresse et les fortes chaleurs Barbara a le cou couvert d’urticaire. Impossible de porter le voile avec sa peau à vif. Nous restons au frais une partie de la journée, dehors les rues sont dépourvues d’air. Vahim, un iranien nous ayant contacté sur couchsurfing, nous a proposé de nous voir ce soir. Il nous propose de nous amener et faire visiter gratuitement Persépolis. En fin de journée je sors. Pour la première fois des gens mendient. Le bazar n’est architecturalement pas très beau, son charme vient de son côté très tortueux et étroit, alternant intérieur et extérieur. Cela grouille de bruits. Sorti du bazar dans je ne sais quel quartier, je me promène dans des rues poussiéreuses. Les maisons semblent détériorées, pourtant de la lumière et des voix en ressortent. Des gens y rentrent. C’est un autre visage de l’Iran. Dans trente minutes, il est vingt heures, heure de notre rendez-vous à la mosquée Vakil.

         Comme moi, Barbara se perd de son côté dans le bazar. J’arrive en premier. Surprise, Vahim parle un excellent français. Immédiatement il me propose de nous trouver un taxi à partager, pour trente dollars au total, pour nous amener à Persépolis. Grande déception ! Déjà parce qu’il nous a menti, deuxièmement parce qu’il insiste alors que nous lui répétons que nous ne voulons pas. Nous lui répétons non non et non ! Mais il fait quand même venir son oncle chauffeur de taxi pour arranger le coup. C’est non pour nous ! Malgré tout il accepte de nous faire un petit tour de la ville ce soir. Nous allons au Mausolée Shah Cheragh, ouvert en continuité. Barbara doit revêtir un tchador, ou plutôt un drap qui la couvre intégralement (sauf le visage). A l’intérieur, aucune photo Accompagné d’un bénévole très sympathique, nous visitons la cour intérieure où les iraniens viennent discuter. Un dôme en forme de bulbe domine l’ensemble. Comme c’est la nuit et qu’il n’y a pas trop de monde, le bénévole nous autorise à visiter la tombe du Chah (normalement interdit aux touristes et aux non-musulmans). La pièce est recouverte de minis éclats de miroirs précisément ciselés qui donnent à la pièce un instantané côté merveilleux. Brillant littéralement de mille éclats. Les miroirs, nous explique-t-il, sont pour l’Islam la représentation de l’honnêteté. Nous ressortons de ce lieu saint très important pour les iraniens. Nous disons au revoir à Vahim, mangeons de mauvais falafels et partons nous coucher.

mosquée Nasir-ol-Molk

         Le matin, c’est seul que je vais visiter la mosquée Nasir-ol-Molk, ou la mosquée Rose. Si les iraniens savent mal se repérer dans une ville, ils connaissent toujours les directions des lieux saints. Visuellement, le surnom de la mosquée s’explique très certainement par la dominance rosée des motifs floraux (habituellement jaune). L’autre originalité du lieu est la salle de prière dont un des côtés du mur est composé de grands vitraux rouges, bleus, jaunes et verts. La lumière du soleil y filtre sur les tapis de teintes polychromes. Après le midi, nous souhaitons aller à Persépolis (ou Takht-e Jamshid pour les iraniens), sans dépenser trente dollars pour un taxi ou 60 $ la visite collective. Parfois la solution est aussi simple que de demander à la dame de l’hôtel. Pour 0,20cts d’euros, nous prenons le bus jusqu’à la gare routière. En face de celui-ci, un petit terminal avec des bus plus vétustes et plus petits mais qui roulent tout aussi bien. L’ambiance locale en bonus. Pour un euro nous arrivons à Marvdasht, de là nous prenons un taxi pour le même prix jusqu’au site archéologique de Persépolis. Coût total 2,20 euros pour deux personnes pour un temps de trajet à peu près équivalent…

           La cité perse est devant nous, le temps se ralentit. S’il ne devait y avoir que peu de raisons de visiter l’Iran, passer la Porte des Nations serait l’une d’entre elles. Sa construction avait commencé au Vème siècle avant J-C sous Darius 1er, pendant l’Empire Perse. Ce sera Alexandre le Grand, lors de ses grandes victoires qui conquerra et incendiera la cité. Par chance, le site conserve de merveilleux restes et c’est un fascinant moment de le visiter. D’une part parce qu’il n’y a pas trop de monde, d’autre part parce de nombreuses sculptures restent en très bel état. Elles permettent d’imaginer la grandeur et les beautés passées. A flanc de montagne, les tombeaux ne sont pas pénétrables. Mais être là, réellement là, où tant d’années se sont écoulées est un sentiment particulier. Le grand H de l’Histoire est ici palpable. De plus, savoir que Peter Brook (très grand metteur en scène anglais) est venu ici jouer un spectacle en 1971 nous fait rêver. Plus bas, une frise superbement conservée montre les offrandes de différentes classes sociales. Le temple de Xersès 1er (ennemi d’Alexandre le Grand) a énormément souffert, mais reste étonnamment celui avec le plus de murs encore debout. Nous y restons l’après-midi entière. Le soleil décline et les ombres s’étirent progressivement. Les pierres se parent d’or solaire. La cité resplendit de magnificences. Pour le retour, deux iraniens nous proposent de les accompagner (nous les avions rencontrés alors que nous dessinions). Ils partagent leur dégoût de la « Révolution » qui n’en est aucunement une à leurs yeux. Nous sommes du même âge. Nous les suivons jusqu’au Mausolée de Hafez (où certains sont en pleurs aux abords du tombeau). Nous les remercions et rentrons de cette belle journée.

          Nous décidons de ne pas aller à Kerman (et voir la cité de Bâm) pour écourter notre tour car dorénavant il nous faudra rejoindre l’Azerbaïdjan après l’Iran, pour y prendre un ferry dont le planning est aussi sûr qu’un lancé de dés. Nous partons directement à Yazd, une des villes les plus vieilles de l’Humanité (dont les premières références datent plus de trois mille ans avant J-C). L’intérieur du VIP bus n’a rien de VIP, mais au moins ils nous distribuent toujours un petit goûter et jus de fruit. Cette fois, c’est un immense et véritable désert au milieu duquel nous passons. De chaque côté ce sont deux surfaces de sable plates à perte de vue. Seule la ligne d’horizon crée une rupture à cette monotonie, où seuls des arbustes éparses luttent à leurs survies. Au fur et à mesure que nous nous approchons de la ville, la chaleur augmente. Nous arrivons en début de nuit, une lune de grande taille, ronde et brune s’élève dans le ciel. Un iranien nous aide à trouver notre hôtel. Impossible de négocier malgré un prix fort pour la qualité du lieu. Nous restons et regrettons ce choix tant la propreté est la pire que nous ayons vue jusqu’ici. Au moins pas d’insecte, ni autre mauvaise surprise. Nous sortons manger et noyer notre déception avec une bière sans-alcool mauvaisement aromatisée à la pêche.

         Le lendemain évidement nous quittons cet hôtel et sommes surpris d’entendre la femme de ménage nous réclamer un pourboire (alors que les toilettes n’étaient pas nettoyées et les draps sales). Nous passons devant la madrassas. Près de la mosquée du vendredi, qui se hisse étroitement vers le ciel, nous prenons une chambre beaucoup plus confortable. Avec la chaleur étouffante, le voile et la mauvaise nuit de la veille Barbara succombe au moelleux du lit dans la chambre fraîche. Pour ma part, je plonge dans les rues ardentes de la vieille ville. A chaque respiration, le souffle de braise s’engouffre dans mes poumons. L’air est sec. Comme le sont les murs en pisé de couleur argileuse. Encore plus que Kachan, la ville imprègne aux passants la rugosité de son histoire. Pour parer la lumière enflammée, les rues sont étroites et hautes pour créer de l’ombre. Aussi, cela permet de créer de nombreuses arches, passages couverts et couloirs d’air. Les rues serpentent à travers cette ville de sable. Quelquefois une apparition, comme cette magnifique iranienne vêtue d’un grand habit vert éclatant et motifs dorés. Au dessus des murs, les badgirs (tours du vent) s’élèvent pour capter le moindre souffle et rafraîchir les intérieurs. Après avoir contourné ce qui semblait être une forteresse inaccessible, je fais quelques courses pour que nous mangions.

           Après cette pause, chacun retourne à son élément, la fraîcheur pour Barbara, la chaleur pour moi. Les rues sont comme un labyrinthe pour enfant, parfois même elles descendent en cuvettes. Les explorer est à la fois plaisant et déplaisant. Quelquefois des zones de déchets sont présentes au sol au milieu des habitations, celles-ci n’étant pas toujours occupées. Mais l’architecture de cette vieille ville est surprenante. Encore plus, c’est son atmosphère en cette après-midi. Plus aucun marcheur ne la traverse, au milieu de ses rues je me promène seul. Même le bazar est silencieux ! Les étales sont fermés, les allées fantomatiques. Personne, ni marchand ni flâneur ! Ah si un homme, il se dirige vers moi pour une information. Il est afghan et nous rigolons quand je lui dis que je suis français tant nous rencontrons peu d’âmes vivantes. Les rues routières sont semblables au reste de la ville, endormies. Quelquefois le ronflement d’un moteur rompt la quiétude de ce sommeil ensoleillé. Idem pour une mosquée enfouie au milieu des rues. La ville est un désert qui s’évapore avec la dégression du thermomètre. Elle reprend vie à petites touches, aux sons des portails métalliques qui se soulèvent. Femmes, enfants et hommes réapparaissent. Le soir, nous mangeons sur un toit terrasse. Nous retiendrons le nouveau lever de lune, toujours aussi brune et ronde, les lumières artificielles qui éclairent bellement de bleu la mosquée du vendredi.

          Après le petit-déjeuner, nous prenons un premier bus en direction de la Tour du Silence. Le chauffeur prend le temps de s’arrêter pour acheter son pain. Après quelques errances, nous y parvenons enfin. Ce site est un endroit notoire préservé de la religion zoroastrienne. Première religion monothéiste connue de l’Humanité fondée par Zarathoustra (aujourd’hui encore des croyants la pratique). Ces tours servaient aux rites funéraires. Refusant d’altérer la terre, les prêcheurs, seuls autorisés, y montaient les corps des morts pour les offrir aux rapaces. Nous sommes en bas des tours, deux monts (un en bon état avec escalier, l’autre moins). Des maisons aux toits arrondis nous font face. Si nous faisons abstraction du fil électrique et que nous ne nous retournions pas, nous penserions être en plein désert. Incroyable que ces habitations aient pu survivre jusqu’à aujourd’hui.

           Nous nous attaquons à la tour avec l’escalier. Les marches sont hautes et font souffrir les iraniens qui ne sont pas très sportifs. Les hommes ne se couvrent pas la tête, ni celles des enfants malgré le soleil agressif. A propos des hommes, ils portent rarement la barbe. Nous arrivons au sommet où il y a une enceinte circulaire, au centre un cercle concentrique peu profond où étaient déposés les corps (pratique aujourd’hui interdite). De là haut, le contraste entre les vieilles maisons et la nouvelle ville est saisissant. Un avant et un après. La curiosité nous pousse à grimper la seconde, sans que nous sachions si c’est autorisé. C’est de la piste raide à petits cailloux, nos chaussures accrochent bien. Arrivés au deux tiers, la dernière partie semble plus compliquée pour moi à cause du vertige. Barbara part en éclaireuse, elle sait mes limites. Pas un bruit. Elle me confirme que la suite est encore plus escarpée, elle continue voir seule le sommet. Un homme vient avec son cousin. Il parle un peu anglais, il me confie aimé Victor Hugo et Saint-Exupéry, admire la Révolution française mais haït le nombre de morts qu’elle a engrangé. Sa religion, de « Baal » me dit-il, est interdite en Iran. Nombre sont ceux qui sont emprisonnés pour ce culte. Sa sensibilité, sa manière d’être à cœur ouvert, ici, en haut de cette tour si particulière, me point. Barbara redescend. Le somment, moins en état que l’autre est plus pur en spiritualité. Le silence y était incroyable. Au retour, à l’expérience ou à l’audace, nous faisons signe à une voiture qui passe. Ouiii ! Mohammad et sa femme accepte de nous prendre en auto-stop et de nous ramener au centre. Elle est professeure et lui directeur d’école à Mashad. Quelle joie de retrouver ces conversations spontanées, ces échanges, ces questions sur l’autre, ces rires, ces silences heureux de l’entraide.

           Nous terminons la journée en travaillant sur le blog, faisons ensemble un petit tour de la ville. Il est l’heure de rejoindre le Terminal. Nous étions arrivés de nuit, nous repartirons pareil, accompagnés de la lune brune funambule sur la ligne du lointain.

         La tour Asadi est en vue dans le petit jour. Nous rentrons chez Hossein. Téhéran est vide en ce jour férié iranien. Nous faisons quelques courses, sonnons. Nos retrouvailles sont de courte durée, tous les trois avons peu dormi et repartons nous coucher ! Dans l’après-midi Kévan nous rejoint avec Marine et Pauline (deux belges wallonnes). Nous parlons de tout plein de sujets, le soir venu Hossein nous cuisine un délicieux repas. Un régal pour les papilles ! Et puis c’est l’heure pour une ballade du soir, nous réussissons le défi iranien de rentrer à six dans la peugeot 206 (nous ne comptons plus le nombre de fois où nous avons compté cinq-six passagers sur une moto soit disant passant…). Nous rejoignons le pont Tabiat, très prisé des téhéranais. Tout éclairé de bleu, il est suffisamment haut pour distinguer une partie de la ville. La soirée se déroule, les partenaires de discussions s’échangent et les sujets aussi. Une soirée tranquille. Le lendemain soir, nous remettons le couvert mais au restaurant que nous tenons à offrir à Hossein. Nous en ressortons tous un peu barbouillés, alors nous allons nous aérer sur la promenade d’une montagne collée à la ville. Les télésièges fonctionnent. La vue de la ville avec ses couleurs nocturnes est encore plus belle, plus vaste que la veille. Encore une fois, nous rentrons au petit matin tant nos discussions sont intarissables.

         C’est le 11 septembre, la décision est prise, nous partirons le lendemain. Nous profitons de la journée pour faire une mise au point sur notre voyage. Aussi, nous partons à la découverte du musée des Joyaux nationaux, dont la valeur serait inestimable. Aucun appareil d’enregistrement est autorisé dans le sous-sol blindé de la banque où ils se trouvent. C’est une visite incroyable, c’est une profusion de formes, styles, pierres, objets qui sont vraiment exceptionnels. De multiples pièces sont d’une rare beauté. A la sortie, nous imprimons des photos pour Hossein. Le soir, nous les mettons sur son frigo et préparons le dîner. C’est pour lui l’ascenseur émotionnel. La surprise du repas et des photos, la tristesse de notre départ. Mais nous savourons la soirée. Le lendemain, après un dernier repas ensemble, il nous amène à la gare. Seules trois personnes en plus dans le bus, à croire que personne ne veut aller à Baku (capitale de l’Azerbaïdjan), ville apparemment sombre et pays pauvre. La tour Asadi est visible, Hossein ordonne au conducteur de prendre soin de nous, nous quitter nous déchire le cœur à tous les trois. En plus le départ tarde, nous descendons plusieurs fois nous redire notre amitié, c’est un « à la prochaine fois » qui ne termine pas. Hossein, MERCI, notre nouvelle amitié et ton cœur généreux resterons nos plus beaux cadeaux d’Iran !!! Nous nous reverrons.

         Le bus part et s’enfonce dans l’obscurité nocturne. Quelquefois, il passe à travers des rues de villages restées éveillées pour les passagers de nuit. L’Iran aura était un pays si riches en émotions, tantôt négatives, tantôt merveilleuses. A l’image du sable, parfois irritant, parfois doux et fabuleusement intemporel. Nous filons, la toile du ciel virevoltant imperceptiblement vers le début des lueurs de la journée. Les premiers reflets solaires apparaissent sur la surface de la mer Caspienne, signes que nous approchons d’Astara, ville de la frontière.

lever du jour sur la mer Caspienne