Australie – 2ème partie

Du 04/02/2019 – 09/02/2019 – Australie : Sydney –   Uluru et Kata Tjuta (Ayers Rocks) – Watarrka (Kings Canyon) – Melbourne

Cartes postales australiennes

           En refermant la porte de Buckingham Palace (surnom de notre collocation), nous tournons la page de Sydney. La ville nous laisse de bons souvenirs et de chouettes rencontres. Avant de rejoindre la Nouvelle-Zélande, ultime destination de notre voyage, nous partons vers le « Red Center » du pays visiter Uluru et ses alentours.

            Ces quelques mois à Sydney seront passés très vite. Notre niveau d’anglais acquis nous satisfait amplement. Dans l’avion qui décolle, c’est un dernier bye-bye à l’Opéra, aux rues de la ville et à nos copains les cafards. Nous qui pensions à l’origine faire le pays en auto-stop quelques semaines pour ensuite travailler en Nouvelle-Zélande, nous avons finalement choisi de rester plusieurs mois dans le pays. De cette manière, nous avons solidifié notre anglais et renfloué notre budget voyage. Pour rejoindre le centre du pays, nous avions envisagé le Ghan train, mais le prix exorbitant du voyage nous a découragé. Très vite la ville disparaît, laissant place à une mosaïque d’immenses champs géométriques d’agricultures, eux même cédant leur tour aux prémices de l’immensité rubiconde. Et la terre bleue devint rouge. Comme si nous étions à bord d’un satellite survolant la surface de Jupiter à perte de vue. Tantôt de teintes orangées, tantôt de nuances argileuses, nous ne décrochons pas nos yeux de ces paysages fascinants. Quelquefois, des tracés rectilignes fendent la toile d’un trait vif, des routes qui rappellent que nous survolons la Terre et que l’Humanité la peuple dans tous ses recoins. Bien souvent, des fermes ponctuent ces pistes, un petit aérodrome accompagne systématiquement les petits villages. Plus rarement, il y a des bâtiments d’industries. Nous survolons même une mine à ciel ouvert. Au-dessus de cette étendue quasi-désertique, l’ombre sombre des nuages tachettent les teintes vermeilles. Pour une fois, nous apprécions l’avion.

 

              Alors que la végétation s’est densifiée, couvrant l’orange brique d’un vert brun, surgissant de la terre comme un pied de fœtus à la surface du ventre terrestre, Uluru se montre. De si haut, nous croirions au sommet du crâne d’une chimère géante, immergeant seulement de la partie haute de son visage orangé. Uluru donne l’impression d’adopter la même attitude du crocodile à la surface de l’eau, patientant sans un mouvement pour attaquer sa proie. Les toits d’Ayers Rocks ; la petite ville qui jouxte l’imposant relief ; paraissent les ailes frêles de libellules. L’avion prenant son virage, le profil ondulé de Kata-Tjuta se dessine à son tour. Amorçant la descente vers l’étroite de bande de bitume bordé de terre orange, à travers le hublot, c’est comme si nous atterrissions à même le bush. En sortant de l’appareil, l’air très chaud et sec accompagne immédiatement nos premiers pas sur le tarmac. Pareil à l’air qui sort d’un séchoir, loin de la chaleur humide de la côte. Le retard du vol au départ est une bonne nouvelle, cumulé avec le décalage horaire avec Sydney, nous pouvons immédiatement récupérer la voiture de location. Barbara est la première à conduire, prenant place à droite pour conduire à gauche. La boîte automatique facilite l’adaptation. Nous craignions que la chaleur de l’asphalte éclate les pneus, mais cela doit être peu probable. Les premiers tours de roues sont magiques, sur la route aussi chaude qu’une poêle sur le gaz, entouré de cette terre orangée et de végétation résiliente. Au détour d’un virage, Uluru se montre, exerçant déjà sur nous son pouvoir d’attraction.

        Premier arrêt, là où nous dormirons. A l’accueil, on nous informe qu’après 11h les randonnées sont interdites à cause de la trop forte chaleur (même 9h pour certaines). La température dépasse facilement les 40°. Après un snack au take-away, nous découvrons la chambre, composée de 2 lits doubles, simples mais confortables. Nous filons au petit supermarché de la ville pour faire les provisions des prochains jours. C’est une ville de maison de poupées réduite à l’essentiel des commerces. Avec l’éloignement, tout est évidemment plus cher et en moindre quantité. A notre retour, il y a un point de vue sur un monticule. D’un côté la silhouette de Kata-Tjuta a déjà plongé sa géométrie particulière dans le contre-jour. En face, derrière des replis du paysage, émerge sur la ligne du lointain le dos rond d’Uluru comme un immense chat enroulé sur lui-même qui se love dans son sommeil. Le soleil a commencé sa descente vers l’horizon, dessinant à la surface du relief des ombres bleutées. De nombreuses diagonales tremblantes strient le pelage de la bête endormie, comme si elle était tigrée de nuances lapis-lazuli brut. D’ailleurs, d’ici loin, l’éclat de la roche est bleuté. Uluru couleurs du ciel et de la terre.

         Plus tard dans la journée, nous prenons la route, les yeux impressionnés d’un tel paysage. Nous achetons nos tickets pour le parc ouvert de 5h à 22h, puis nous filons vers un parking dédié au coucher du soleil. Au détour des virages, la carapace d’Uluru apparaît et disparaît au loin. Le soleil irradie encore de toute sa clarté aveuglante. Nous nous garons. De bonnes centaines de mètres de bush jaune et vert nous séparent d’Uluru. Nous nous installons sur un petit banc savourer les lumières du jour changer. A chaque extrémité, particulièrement côté droit, nous croirions à des profils de têtes d’éléphants s’avançant dans le bush. Le soleil poursuit lentement sa descente, agrandissant doucement le dessin des ombres dans les sinuosités du relief. Les obscurités s’étirent, conférant au géant rocheux une spatialité plus imposante. L’être minéral déploie ses pattes. Le plus impressionnant reste à venir, alors que la plus grande étoile de notre système solaire disparaît derrière l’horizon, en un instant vif Uluru délaisse sa teinte orangée pour une robe rougeoyante. Dernier souffle sur l’immense braise dans le bleu disparaissant, dernier soupir coloré de vie avant l’atténuation, dernier salut d’un jour disparaissant une fois de plus. Alors en un bref instant les aspérités de la roche ont dansé, les creux ont scintillé, la chimère a vibré. Uluru s’assombrit avec le ciel, dans nos mémoires le rouge flamboyant s’illumine encore.

          C’est aux aurores, cinq heures du matin précisément, que nous nous levons pour le lever du soleil. En roulant vers le point du lever, nous nous disons que l’emplacement du coucher du soleil aurait été beau également. Qu’importe. Nous voilà au parking du lever du soleil, comme beaucoup d’autres. Depuis les plateformes, le jour naissant jaune chasse le bleu nocturne. Entre temps, comme la veille, Uluru s’illumine le temps d’un souffle sur une braise ardente. De ce côté, il y a des creux qui ressemblent à des yeux mi-clos. Le spectacle est beau, nous immortalisons le moment. A cet instant, les milliers de kilomètres de notre voyage résonnent en nous, les émotions se bousculent, les souvenirs se pressent à notre mémoire. Uluru comme un aimant des moments de notre parcours.

           Nous retournons à la voiture pour le petit-déjeuner, pain, miel et gâteaux. Ensuite, nous rejoignons le point de départ de la Mala Walk, le tracé qui fait le tour du rocher. En sortant de la voiture, Uluru est là, plus grand que jamais. Malgré les panneaux demandant expressément de ne pas en faire l’ascension par respect pour les croyances aborigènes des Anangu, de nombreux touristes grimpent la roche. La terre a blanchi sous le passage répété des hordes des groupes. Chaque année il y a des blessés et parfois des chutes mortelles. C’est la dernière année que cela est toléré, à partir du mois d’octobre cela sera officiellement interdit. Cette date limite a eu l’effet dévastateur d’augmenter les ascensions. Personne sur la Mala Walk c’est seuls que nous entamons le tour d’Uluru.

         Le soleil est encore caché derrière l’autre côté du géant, c’est dans la pénombre déjà tiède que nous faisons nos premiers pas. La base du rocher ressemble à des vagues marines dont le mouvement se serait figé dans la roche juste avant qu’elles n’échouent sur la grève. Lui faisant face, nous pourrions également croire à une baleine bleue qui étire sa gueule béante pour avaler le plancton. Uluru nous joue ses premiers tours d’imaginaire. De nombreux petits panneaux racontent les rites aborigènes, donnent les noms de la végétation (kaliwara, tjirin-tjirinpa…) qui nous entourent. Il y a aussi ceux indiquant que certains endroits sont Tjukurpa, c’est-à-dire qu’ils sont interdits de photographier car sacrés pour le peuple Mala (que nous comprenons comme les ancêtres des Anangu). Des versants d’Uluru donnaient l’occasion de cérémonies de la part du peuple Mala, comme la zone Mala Puta qui était le lieu de rites féminins, dont la tradition s’est transmise de manière orale de génération en génération (interdite de photo). Kuniya Piti est la zone dédiée aux rites masculins.

        La lumière rasante à l’horizon, très claire, se joint au vent chaud pour mettre au défi nos yeux. Nos pupilles sont inondées de clarté solaire et balayées d’air poussiéreux. C’est le moment de mettre une petite moustiquaire autour de nos visages car les mouches sont populeuses à cette saison de l’année. A travers le chemin tracé dans le bush, nous poursuivons le tour. Selon où nous nous trouvons, Uluru n’a pas le même visage, ni ne dégage la même impression. C’est étonnant comme parfois après un repli nous avons sensation d’être ailleurs. De loin, d’un côté il est ce monolithe paisible dont la surface ondulée témoigne du vent qui lui souffle ses souvenirs. En des endroits il a des trous, à d’autre il parait égratigné, mais le géant d’ocre n’esquisse aucun mouvement. Sa belle robe colorée prend en intensité avec la montée du soleil, de même que la température dépassant déjà les 30°. Avec le paysage qui s’élance au loin, Uluru est un relief apaisant au milieu de ce décor. Peut-être est-ce que parce que nous sommes seuls, mais nous ressentons une sérénité à le côtoyer. Comme il est encore tôt, nous prenons tout notre temps à le contempler. Alors Uluru livre ses secrets. Ses lignes deviennent des formes animales surprenantes. Il y a ces majestueux profils d’éléphants, cette gigantesque tête de crapaud et celle d’une couleuvre, un poulpe géant s’est figé ici, la carapace d’une tortue ou est-ce les écailles d’un poisson… A notre tour de nous raconter des légendes. Uluru est un totem de l’Humanité, une fresque contant le Vivant. Mémoire pangéenne silencieuse.

            D’étonnement en étonnement, nous ne sommes pas surpris de découvrir que l’être humain y a apposé son expression. A Kulpi Multidjulu, il est possible d’observer des peintures aborigènes à même la pierre, dont le motif de spirale se répète. Apparemment c’était un lieu de feu de camp où les anciens racontaient des histoires. Plus inattendu, il y a un point d’eau naturel, où un oiseau vient becter le précieux liquide. Nous ne nous lassons pas de nous plonger dans les invitations aux imaginaires que le monolithe nous propose. Par contre, il est des petits êtres qui nous ramènent à l’instant réel. Vrombissant de toutes parts, les mouches nous suivent comme un léger nuage zozotant. Affectionnant particulièrement le coin des yeux et les trous du nez, nos moustiquaires de visages sont de véritables protections sur lesquelles les insectes courent en cherchant une ouverture. De même que les manches longues, que nous utilisons également pour parer la chaleur. D’ailleurs celle-ci s’est définitivement installée, nous marchons en plein soleil cuits par ses rayons, semblables à de frêles chamallows au bout d’une pique au-dessus d’un feu de camp sans autres échappatoires que fondre. En bouclant le tour, la trop forte température interdit désormais de la commencer.

        En repartant, nous faisons halte au Cultural Center dont nous trouvons le contenu intéressant. Il relate l’historique du lieu depuis l’arrivée des Pitanhas (blancs), comment ils se sont dans un premier temps accaparés Uluru avec la création du Parc National dans les années 50. La lutte des aborigènes pour faire prévaloir leurs Droits de primo-résidents a duré plus de trente longues années, pour aboutir au jour historique du « handback », la restitution d’Uluru. Désormais, les aborigènes et les australiens semblent avoir trouvé un terrain d’entente et un équilibre respectueux de chacun (sans que nous puissions savoir dans quelle mesure cela contente les deux parties). Par exemple la formations des rangers est complété par les aborigènes qui leur transmettent leurs savoirs ancestraux sur les techniques du brûlis, l’équilibre de l’écosystème, comment trouver de l’eau… Il y a également un atelier de peinture, dont les motifs nous évoquent les beaux ciels étoilés nocturnes, très intenses ici. Nous terminons de manger des sandwichs, nous remplissons le jerrican d’eau (il ne faudrait pas tomber en panne sans réserve d’eau dans ce territoire de fournaise). Cap sur Kings Canyon à plus de 300kms de route !

           Inhabitués à cette typologie de territoire, nous craignons toujours que nos pneus éclatent en cours de route sur l’asphalte chauffé tout au long de la journée. Nous nous rassurons en nous disant que ce type de véhicule ne serait pas en location si cela arrivait fréquemment. L’autre crainte est d’écraser malencontreusement un animal qui payent déjà un lourd tribu face aux road train (camions mastodontes de 100-200 tonnes de chargement). Le thermomètre affiche 44°, c’est l’heure de donner les premiers tours de roues sur cette improbable route. Difficile de réaliser que l’asphalte fend un paysage aussi aride. La végétation est assurément la championne de la Terre en termes de résilience face aux conditions extrêmes. Au milieu de ce bush à perte de vue, les couleurs alternent avec les teintes sable, le vert des végétaux, les vermeilles du sol et jaunes des herbes cramées. Les nuages projettent leurs ombres sur les longs tracés de route qui s’allongent vers le lointain. De petites tornades se promènent quelquefois dans cet étonnant décor, leurs colonnes se déhanchent dans un espace où tout semble figé. Comme le lac salé Amadeus, le plus grand de la région avec ses 180kms de longueur et 10kms de largeur, immense étendue blanchâtre que nous nous arrêtons voir. Tout est démesuré ici, comme la chaleur qui se rapproche des 50°. La station-essence à mi-chemin est à l’image du lieu, elle semble à l’abandon dans un monde délaissé. Même les portes des toilettes sont lasses de tenir leur rôle. Pourtant le petit-camping attenant est bien arrosé vu sa verdure. Des dromadaires mastiquent leur repas dans un enclos.  De l’autre côté de la route il y a le petit aérodrome pour le ravitaillement ou autre urgence. Ici, il ne faut pas rater les haltes. L’accent du bush de la caissière est la dernière touche sonore qui finalise ce tableau du Red Center australien.

        La route est hypnotique. Interminables lignes dans le paysage. Plus loin, le Mont Conner apparaît. Nous faisons une brève halte en nous promettant de prendre plus de temps au retour. Le temps passe agréablement. Des mirages scintillent ponctuellement à la surface de l’asphalte, brouillards évanescents qui se dissipent soudainement. Le Watarrka, ou King’s Canyon, montre son flanc sur le côté droit de la route. Nous approchons. Nous y faisons un bref arrêt pour y lire les informations du circuit. A quelques mètres, un varan de Gould est aux aguets. La taille du reptile est bien plus grande que nos habituels lézards de jardin. Comme nous sommes en période estivale, les réservations sont moindres, l’hôtel nous a surclassé. Le contraste entre le confort de la chambre et notre repas de nouilles instantanées nous amuse, sans que nous boudions le plaisir de la baie vitrée donnant sur le bush. Depuis un promontoire, nous regardons les dernières lumières du jour fondre sur le canyon. Un fabuleux ciel étoilé tisse sa toile pour un dernier spectacle de cette incroyable journée. En nous couchant, la mémoire physique des mouches du matin assaille notre corps, nous entendons leurs vrombissements et la sensation de leurs présences alors que le sommeil nous gagne.

         Malgré la confirmation de la veille, le petit-déjeuner n’est finalement pas inclus. Un temps perdu pour rien, nous partons en mangeant sur la route. La nuit est dans sa pénombre bleutée quand nous arrivons au pied du canyon. Le profil noir escarpé, de la dentelure des arbres se détachent merveilleusement avec la nuance du ciel. Nous entamons l’ascension alors que le soleil dort encore, quelques 500 marches dans l’obscurité matinale que nous avalons en dessert de notre repas. Le chemin orange sombre s’ouvre dans la roche. Nous cheminons à bord de falaise, entre les bords rocheux. Au bord d’une lèvre du canyon, où le lointain semble sans limites, nous nous asseyons dans le silence du jour qui peine à ouvrir ses paupières. C’est avec lenteur, pareil à un clapotis timide qui s’avance sur le sable, que la lumière apparaît. L’étendue désertique s’irise de couleurs, à chaque minute qui passe la lumière gagne imperceptiblement l’espace. Tels une braise qui reprend vie, les nuances safranées s’illuminent dans le clair-obscur. Les aspérités étalent leurs ombres difformes. Le soleil peint devant nos yeux ébahis son tableau quotidien. Rêverie chatoyante soudainement interrompue par les cris d’un groupe parvenu au même endroit. Guidé par des rangers australiens, ces derniers les encouragent à pousser des cris pour entendre l’écho de leurs voix dans le canyon. Chacun y va de son beuglement comme autant de déchirure dans la toile du paysage. Sonneries de réveil brutales, nous plions nos affaires et nos imaginaires.

          La Nature est ici spectaculaire. Les roches ont d’incroyables couleurs et formes qui fascinent nos regards. Entre les passages dans la roche qui s’ouvre sur des replats, les points de vue, les géométries minérales. Un panneau nous informe que des kangourous sont présents dans le canyon, mais qu’ils se cachent la journée pour sortir généralement à la tombée du jour. Plus loin, il y a un point d’eau naturel surnommé le « Jardin d’Eden », bien plus grand que celui d’Uluru. Nul doute qu’il est une oasis de vie pour la faune. En continuant notre promenade, plus avancé que Barbara, Aurélien est pris par surprise. Le pelage gris clair contrastant superbement avec l’ocre de la pierre, sautillant dans sa démarche iconique, un kangourou fend le paysage en remontant la pente. Le temps d’interpeller Barbara que l’animal a disparu. C’est allé si vite, une éclipse de la vie sauvage. Dans l’espoir, nous laissons passer les groupes de touristes, nous patientons à l’écart sur le Gilles Tracks (qui a l’air super à parcourir). Nous furetons. Aurélien a l’incroyable chance d’en revoir un en contrebas, mais l’instant est si bref. Le temps d’un clignement d’œil qu’il a disparu. Il commence à faire très chaud, avec un brin de déception de n’avoir pas pu partager ces aperçus succincts, nous terminons la randonnée. Les paysages sont une belle consolation.

          Sur la route du retour, ces mêmes questions, où vont toutes ces pistes rouges qui quittent la route. Qui a choisi de vivre ici ? Quels sont leurs visages ? … Nouvelle halte à la station essence. Dans la fournaise du centre rouge australien, des ouvriers coulent de l’asphalte sur un tronçon abîmé de la route. Impensable. La chaleur est si accablante. Le Mont Conner apparaît à nouveau au loin, cette fois nous décidons de tourner sur la piste de gravillons qui va vers lui, sans savoir jusqu’où nous irons. Finalement nous nous stoppons en légère hauteur. L’air est à la fois sec, poussiéreux et cuisant. C’est certainement la première fois que nous expérimentons une telle chaleur. Entre le froid négatif hivernal de Sibérie et le feu désertique du Centre rouge, nous aurons connus de drôle de températures pendant ce voyage. Instants photos que nous n’aurions jamais pensé réaliser un jour, seuls au milieu d’une piste de l’Outback. Quand nous repensons à l’aller en avion, la géographie du paysage prend une autre dimension les pieds au sol. Paysages à fois fascinants et effrayants. Le Mont Conner nous captive, grand solitaire qui l’est. Souvenirs du bout du monde qui se gravent dans nos mémoires.

Le Mont Conner

         Nouvel arrêt sur le retour vers Ayers Rocks, nous nous installons sur les maigres ombres d’arbres qui y sont. Mais un étrange reptile approche, par méconnaissance de l’animal nous nous décidons de finir le repas dans la voiture. Le reptile est sous le véhicule, nous attendons pour repartir de crainte de l’écraser. La route est aussi captivante qu’à l’aller, les mêmes courses de nuages au-dessus de ce décor où le regard s’égare. Petites courses, prise de la chambre et nous filons pour un dernier coucher de soleil sur Uluru. Le revoilà, le monolithe endormi. En cette fin de journée, les nuages sont venus nombreux eux aussi assister à la fin du jour. Dans de beaux habits cotonneux blancs et gris, ils fardent le ciel de leurs belles formes, lui conférant un relief bienvenu. Entre les nuées, le soleil couchant joue le poursuiteur sur les couleurs de la pierre. C’est un merveilleux jeu de lumières qui caresse la surface d’Uluru, les ombres furètent à fleur du roc orangé, le plongeant quelquefois dans la pleine obscurité, lui donnant d’autres fois une allure de portrait photographique du studio Harcourt. C’est un tableau mouvant où chantent les nuances, qui nous rend sourds aux diatribes des brésiliennes qui s’égosillent pas très loin. Enfin, un nuage plus grand que tous ses congénères embrasse l’horizon crépusculaire. Rideau. Ce soir il n’y aura pas de lumières rougeoyantes. En lieu et place, fondant à petites teintes vers la nuit, Uluru se drape d’une nuance indigo. Vision magique.

        La nuit est courte, réveil à 4h30. Une dernière fois nous voulons profiter des lumières de l’aurore, mais cette fois du point de vue du coucher de soleil. Assis au même petit rondin de bois, dans l’obscurité et la fraîcheur de la nuit. Le silence est quelquefois coupé par le passage d’une voiture. Quelques étoiles veillent encore sur la silhouette d’Uluru. Celui-ci est une énorme masse noire, son profil se dessine sur les premières lueurs du jour. On croirait un iceberg égaré. Le bleu nocturne s’étire progressivement entraînant dans sa course un bel orange couleur feu. Les nuages ont les joues qui rosissent d’un tel spectacle. A contre-jour dans cette heure entre chien et loup, la silhouette d’Uluru se précise. Avant que le soleil ne soit trop haut, nous prenons la voiture pour rejoindre Kata-Tjuta, que nous avons affectueusement renommé les molaires rouges. Petite halte pour savourer la surface de la pierre rougir de ces premières lumières. Sur la ligne d’horizon, ses couleurs détonnent avec les couleurs ternes du ciel. De l’autre côté, Uluru se détache nettement sur la ligne d’horizon. Les couleurs sont sublimes, le ciel a des faux-airs d’une toile de Turner.

         Devant nous, peu de temps, nous rejoignons Kata-Tjuta pour parcourir un bon tiers de la Vallée des Vents. La surface des rocs est striée régulièrement, laissant aisément deviner le sens du vent. Le chemin sinue entre ces géants arrondis. Les nuages couvrent le ciel, ternissant les couleurs. Mais il est déjà l’heure de rejoindre l’aéroport. Nous mangeons un sandwich et c’est déjà l’heure d’embarquer pour notre dernière destination australienne : Melbourne. Nous sommes tout chanceux d’être une nouvelle fois du bon côté du hublot pour saluer Uluru. Ses couleurs, ses reliefs, nos impressions restent en nous. Quel lieu unique ! Le paysage redevient une immensité rouge.

            Melbourne apparaît. Depuis le bus qui nous amène vers le centre, la ville nous semble bien plus grande que Sydney. Aussi plus culturelle avec ses architectures, ses sculptures et ses affiches de festivals. Sensation confirmée une fois à pied, la ville est très différente de Sydney. Nous rejoignons l’auberge de jeunesse après un autre bus et un tramway. Cela nous fait bizarre de nous retrouver à nouveau en auberge. Surtout en Australie où il y a un certain manque d’organisation entre tous. Aurélien passe des appels pour ses arrêts de travail, le remboursement de ses frais médicaux qui n’ont pas encore été pris en charges, qu’il doit gérer avec les assurances australiennes du travail. En effet, avec l’intensité de la haute saison il a déclenché des tendinites à chaque poignet, terminant de travailler au restaurant en alternant les jours de travails et les séances avec un physiothérapeute. Il est en « procédure » pour faire reconnaître ses tendinites comme accidents du travail. Nous préparons également nos sacs pour la Nouvelle-Zélande.

        Premiers pas dans Melbourne, dont nous comprenons avec le Victoria’s Market pourquoi il est admis que la ville a un côté plus européen. Il y a également les halles que nous pourrions aisément imaginer en Espagne ou en Italie. Il y a une fausse-semblance aux accents australiens. En fait, là où l’impression est la plus forte c’est avec les très nombreux cafés, leurs terrasses où les groupes de gens prennent le temps de siroter une boisson autour d’une conversation. A Sydney il y avait moins de café de la sorte, moins d’espace pour se poser si ce n’est pour faire la fête. Il nous semble aussi entrevoir plus de théâtre. Mais hormis cela, les taxis jaunes nous rappellent immédiatement que nous ne sommes pas en Europe, tout comme les hauts-building. La très belle bibliothèque semble sortie d’un film américain. En fait Melbourne est architecturalement hétéroclite, il y a de nombreux graffitis mais nous n’avons pas spécialement de coup de cœur à y déambuler. Nous sommes déjà tournés vers la Nouvelle-Zélande.

       Par contre nous sommes très impatients de retrouver deux visages familiers qui y ont récemment aménagés. Pauline et Hugo, nos chers amis ardéchois que nous retrouvons autour d’une bière bienvenue. Quel plaisir de les revoir, d’entendre qu’ils ont réussi leur installation dans la ville, de discuter avec eux avec le même plaisir que nous avions à Buckingham Palace. C’est une vraie bolée de bonheur que nous prenons autour d’un dernier repas vietnamien. Entre nous il y a cette simplicité et cette superbe bonhomie, nous les adorons. Cela nous a encore plus fait du bien qu’au retour à l’auberge, la musique battra son plein jusqu’à deux heures passées. Après le petit-déjeuner, nous postons les cartes postales écrites la veille. Nous peaufinons les derniers détails de la Nouvelle-Zélande, dernière étape de De soie et de Scène, tout impatients que nous sommes de découvrir ce dernier pays. Aurélien passe ses derniers appels aux assurances, Barbara s’occupe du taxi. Le chauffeur né en Erythrée nous explique son parcours, passé par la Lybie et les Émirats Arabes Unis. Melbourne défile sous nos yeux, mais nos pensées sont dirigées de l’autre côté de la mer de Tasman. La Nouvelle-Zélande, dernier pays sur la liste des pays parcourus, dernière étape d’un voyage inoubliable. Les souvenirs se pressent à nos mémoires au moment de faire notre embarquement. Heureusement car nous n’avons aucun hublot à côté de nous. L’avion se positionne sur la piste, nous nous regardons affectueusement. Nos sourires rayonnent de tous nos souvenirs, de ce beau voyage dont nous nous apprêtons à découvrir le dernier chapitre. L’avion s’élance, avec lui notre désir impétueux d’arpenter la Terre du Milieu.