Chine – 3ème partie

Du 20/04/2018 au 04/05/2018 République Populaire de Chine : Zhangye – Leshan – Gorges du Saut du Tigre – Lijiang – Dali – Kunming

Merveilles naturelles et culturelles Au sein de l’Empire du milieu

              La prolongation de nos visas chinois acceptée, nous pouvons faire durer notre plaisir à parcourir cet immense pays. Après un cheminement entre différentes villes chinoises d’hier et d’aujourd’hui, nous souhaitons à nouveau nous orienter vers des lieux plus naturels et moins urbains. Nous prenons la route vers l’ouest. Mais dans l’immédiat, il nous faut rejoindre promptement la gare pour prendre le train de notre première étape : Zhangye.

           Il ne suffit pas d’être prêt pour bien démarrer. Notre parcours des prochains jours est décidé, nous avons préparé les informations sur les trains (numéro, horaire, classe) afin de pouvoir acheter les billets en avance car beaucoup de trains sont pleins. Seulement, nous ne pourrons pas le faire à la gare de Xi’an, d’où nous partons, car le train que nous souhaitons prendre part très bientôt. De retour du PSB (voir partie 2), nous avons à peine un petit temps pour réserver une chambre à Zhangye qu’il nous faut partir de l’auberge. Le délai est court. Sortis du bus, à l’entrée de la gare, c’est le refrain du contrôle d’identité, des sacs et corps aux rayons X. Sauf que cette fois, le sac d’Aurélien retourne dans le tunnel à rayons. L’agent nous fait signe de nous mettre sur le côté et d’attendre. Instantanément nous soupçonnons ce qui se passe. Nous voyageons avec des couteaux pliables, habituellement nous les positionnons dans nos sacs de manière à ce qu’ils apparaissent sur la tranche aux rayons X (donc moins visibles), cette fois avec la précipitation, l’étui dans lequel est le couteau a dû bouger en posant le sac. Le jeune agent, pas très à l’aise visiblement, demande si Aurélien parle chinois. Non. En lui désignant le sac, il dit « knife » (couteau). Le temps défile, il faut décider en une fraction de seconde. Aurélien n’a pas envie de se faire saisir son couteau. Tentant de ne rien laisser paraître, il ouvre la poche sommitale de son sac à dos, de l’étui où se trouve le couteau il en sort la spork en titane (c’est une cuillère et fourchette à la fois, avec un côté dentelé sur une des fourches extérieures pour faire office de mini couteau à pointe carrée). Au culot et calmement, il lui montre la spork : « knife ? ». Éberlué, l’agent prend l’objet, se retourne vers sa collègue devant l’écran, qui lui dit un truc dans un demi-rire de gêne que nous traduirions par un « débrouilles-toi, c’est tes affaires maintenant ». Ne sachant quelle décision prendre, l’agent conclut par un « ok ».

            Nous trouvons le guichet pour nos tickets. Dans la file, nous préparons nos petits papiers écrits en sinogrammes. La dame du guichet prend nos petits papiers et comme le sac d’Aurélien nous les retourne. Nous ne sommes pas à la bonne gare de départ ! D’ici partent seulement les trains de nuit pour Zhangye ! Mince ! Il nous reste 45minutes avant le départ, à peine le temps du trajet en métro. En voiture, il y a un très maigre espoir. A la hâte, Aurélien suggère le taxi, Barbara désapprouve. Mais il faut décider vite, sans trop y croire, nous embarquons dans un. Le chauffeur demande si nous sommes pressés ? – Oui !!! Petit tour sur l’autoroute où il joue du klaxon. La gare se présente, il est 25 (le train part à 40) quand le taxi s’engouffre dans la file interminable de ses compères. Il se retourne pour nous demander 50 dollars américains. Nous refusons, il menace d’appeler la police. Quand les contretemps s’accumulent… Encore une fois, nous la jouons à l’expérience, nous lui donnons la somme indiquée par le compteur en lui rappelant que s’il appelle la police, c’est lui qui sera en tort car en contradiction avec le prix de la course. En courant, nous rejoignons la gare. Un bâtiment démesuré. Trop grand pour le peu de temps que nous disposons. Nous cherchons le guichet. L’espoir s’amenuise. Il est 35, le train va partir. Nous trouvons les guichets, les files d’attentes sont immenses. Le train est parti. Faux départ.

           Après une petite prise de tête entre nous, nous nous calmons pour reprendre le départ du bon pied et de la bonne gare cette fois. Le retour en métro est d’un coût modique. Par chance, à midi il y a du wifi, nous écrivons à l’hôtel pour déplacer les dates en expliquant notre situation. Souhaitons qu’ils comprennent. Retour à la case départ. Nous retournons à la gare de ce matin pour prendre finalement le train de nuit. Une heure avant le début du train, c’est toujours le moment où la file se constitue devant le dernier contrôle de ticket. Voilà le train. A l’intérieur, le samovar est devenu familier pour nous au point qu’il nous manquera très certainement à notre retour en France. Nous y prenons l’eau chaude nécessaire à la préparation de notre dîner habituel, des nouilles instantanées dont la saveur est toujours une surprise. Aux ondulations des roulis, nous nous couchons. Ce sont des nuits que nous chérissons, les trains de nuits sont des lits de premiers choix pour les âmes voyageuses.

           Au matin, la lumière du jour et les petits sons de mastications de nos voisins nous réveillent. A leur menu, des pieds de poules et soupes de nouilles accompagnent une conversation de bonne camaraderie. Autour de nos mini-brioches et nouilles, nous découvrons les paysages. De longues étendues arides bordées par des chaînes de montagnes dont on croirait les faces faîtes de papiers froissés. Instantanément, ces décors convoquent nos souvenirs d’Iran et d’Ouzbékistan. C’est une Chine bien plus rurale vers laquelle nous nous dirigeons. Sur ce grand territoire aux couleurs terreuses, des petits points de couleurs apparaissent. Parfois rose fluo, tantôt vert éclatant, bleu azur. Ce sont les voiles ou les grandes coiffes des femmes qui travaillent au champs, guidant un troupeau ou transportant à mobylette du matériel. En Chine les femmes sont à l’ouvrage autant que les hommes. Soudain, une surprise apparaît, puis plusieurs. Tout recouvert d’épais lainages, nous apercevons des chameaux ! Ces magnifiques paysages aiguisent notre désir d’un jour parcourir le Xing Giang (ça ne sera pas pour ce voyage) dont les écrits d’Ella Maillart nous ont tant fait rêver. Au son de la conversation de nos voisins, devant nos yeux se peignent les souvenirs des récits de la voyageuse suissesse.

          A la sortie de la gare tous les chauffeurs de taxi nous interpellent, mais nous faisons demi-tour au guichet pour acheter nos tickets de nos futurs voyages. Seulement pour le tronçon nocturne Zhangye-Chengdu il reste une seule place en couchette dure (2nd classe), celle que nous prenons habituellement. Aurélien est ravi, il voulait voyager au moins une fois en troisième classe (siège dur) – Barbara l’ayant déjà expérimenté lors de son premier voyage. Nos tickets en main, nous repartons de la gare en ignorant les taxis et fonçant vers le premier bus public. Logiquement il rejoint le centre ville. Très vite nous constatons que nous sommes loin de la Chine moderne de la côte. Par exemple, par la fenêtre du bus les passagers jettent leurs emballages plastiques, que nous retrouvons ensuite dans les rues. La ville est tel un visage austère au maquillage modernisant. Les regards se tournent sur nous. En cherchant l’hôtel, nous nous trompons d’établissement. L’homme semble inquiet de notre présence, peut-être est-ce un hôtel réservé seulement aux chinois comme il y en avait beaucoup avant. Au bon hôtel, personne ne parle anglais mais ils ont bien reçu notre courriel pour déplacer les dates. Aussi, nous constatons que seules les chambres de « luxes » étaient disponibles à la réservation. Le style est très différent des chambres où nous avons dormi jusqu’à présent en Chine comme par exemple le coin thé au bord d’une fenêtre panoramique d’où nous voyons les toits de la ville. Nous nous rafraîchissons avant de ressortir pour manger. Au hasard nous choisissons un restaurant. Nous utilisons la technique de Barbara quand il n’y a pas de photos, que rien n’est traduit et que nous n’avons pas de langue commune, nous regardons ce que mangent nos voisins et commandons comme eux. Le plat qui arrive est inédit, une soupe de nouilles épaisses et courtes avec du fenouil et des émincés d’une viande. Comme très souvent en Chine, c’est absolument délicieux.

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             Le matin du 21, nous nous levons pour prendre le bus public qui part une fois par heure et passe devant le Parc National coloré de Danxia. A noter que nous avons obtenu les heures de départ mais pas réussi à avoir celles de retour. Peut-être qu’elles seront disponibles au Parc, ou alors nous attendrons au bord de la route. Nous aviserons (il y a 30kms). Nous prenons place dans le mini-bus. Sur le trajet nous remarquons qu’il y a de nombreuses cimenteries qui côtoient les champs maraîchers dans lesquels travaillent femmes et hommes. Elles ne semblent pas être en activité, est-ce parce que nous sommes samedi? Aussi, nous ne savons pas non plus où se situe précisément le parc et à quel arrêt descendre. C’est un lieu touristique, nous faisons confiance aux autres passagers du bus pour descendre en nombre, signe que nous y serons. C’est même plus simple, c’est la contrôleuse qui nous avertit que nous y sommes. Heureusement car le peu de touristes chinois qui descendent n’auraient pas été un signe évident. Sûrement que nous sommes hors saison, nous découvrons que le parc ferme à la fin du mois. Deux backpakers sur le parking optent pour un taxi pour leur retour. A la caisse, la dame ne parle pas anglais, impossible d’avoir des informations sur les bus de retour. « Toilet , restroom? » Elle ne comprend pas non plus. C’est alors qu’Aurélien se souvient des mots de vocabulaire enseignés par Miki à Xi’an. « Tseu touâ ? » Cela fonctionne ! Avec sa richesse des manières d’exprimer les sons, le chinois est si peu facile à exprimer que lorsque nous parvenons à nous faire comprendre, nous en sommes plus que contents !

            Le Parc National coloré de Danxia est un trésor de l’Humanité, un des ces rares lieux où l’Histoire géologique de la planète a façonné sur des millions d’années un paysage (le parc fait au total plus 500kms2). Ici, ce sont 24 millions d’années de grès et minéraux déposés par les vents et les pluies, qui seraient issues de la lente orogenèse de la chaîne himalayenne (notamment de sa plaque tectonique), qui confère aux paysages leurs couleurs si particulières. Sur la carte du parc, l’espace est divisé en différentes plateformes de point de vues. Nous comprenons vite pourquoi, un groupe de chinois se fait réprimandé parce qu’ils étaient montés sur un monticule pour faire des photos. Ces plateformes sont à la fois là pour admirer le paysage et le préserver de l’action humaine. A noter qu’à l’accoutumée les poubelles sont stylisées aux couleurs du lieu. Pour aller de plateforme en plateforme, un mini-bus se charge des trajets car ils sont trop éloignés pour y aller à pieds. Dès la première plateforme, nous pouvons admirer ces incroyables couleurs, un camaïeu de strates vermeilles et ocres striées de lignes blanches. L’espace d’un instant nous pourrions penser que nous nous trouvons sur une autre planète. Ce sont des tableaux naturels fascinants qui s’ouvrent devant nos yeux ébahis! Il y a des noms pour des points d’intérêts comme « le rocher de l’immense nuage de coquilles Saint-Jaques », ou les « Nuages colorés ». Ce dernier, dont les strates suivent avec une régularité déconcertante l’escarpement des reliefs, ressemble à l’échine d’un animal fantastique. La manière dont les couches de couleurs s’étendent avec exactitude vers le lointain est subjuguant ! Aussi, de telles teintes rosées nous sont si inhabituelles. Notons qu’en plus les plateformes se fondent plutôt bien dans le paysage. Sur la ligne d’horizon, s’élèvent des montagnes terreuses comme des gardiennes silencieuses de cette aire géographique.

             A la plateforme suivante, les couleurs continuent de s’étirer régulièrement sur ces surfaces montueuses comme si la nature avait tracé des lignes colorées sur une feuille de papier. Les strates accumulées sont les écrits de différentes ères de la Terre, les couleurs des minéraux leurs alphabets. Avec les années, les abécédaires ont métamorphosé leurs pigments. Les lignes chromatiques se sont composées avec la lenteur des millénaires pour aboutir à ces panoramas invraisemblables. La variété des teintes est d’une telle richesse que les photos ne rendent que partiellement justice à leurs profondeurs et multitudes. En outre, plus nous avançons dans le parc, plus les couleurs sont vives et distinctes. Quelle beauté cela doit être au coucher du soleil lorsque depuis l’horizon la lumière d’or sublime les surfaces du monde. A la troisième plateforme les couleurs sont d’une telle intensité qu’elles en deviennent irréelles ! Nous étions déjà fascinés, nous voilà envoûtés ! Est-ce possible que ces magnifiques panoramas soient vrais ? Les tracés des couleurs sont si distincts, leur contraste si ahurissant, c’est absolument extra-ordinaire et fantastique ! Parfois, nous croirions la palette de peintures fauves d’un artiste peintre.

           C’est ici qu’il y a un changement de bus pour progresser vers l’est du parc. Cependant, comme nous sommes proche de la fermeture annuelle, le tronçon n’est pas ouvert. Un vieux couple chinois partage notre déception, d’autant que les paysages apparaissent différents sur la carte. Par contre, le point positif est qu’une famille chinoise a amorcé un timide début de discussion avec Barbara. Nous les voyions nous observer de temps à autres, notre stratégie a été de laisser Barbara seule. En Chine et dans de nombreux pays, une femme blanche est plus rassurant qu’un homme mat de peau. Le jeune de la famille, qui a 17ans, a de petites bases d’anglais. Une application de traduction vient en soutien, du moins quand il ne faut pas interpréter la traduction parfois hasardeuse. Mais nous n’avons pas besoin de mots, nous leur montrons la carte de notre voyage. Comme nous attendons le mini-bus de retour, nous comprenons qu’ils nous demandent comment nous comptons revenir du parc vers Zhangye. Comme nous leur répondons que nous ne savons pas, ils nous proposent de nous ramener. Définitivement ce lieu est irréel ! Outre ses paysages, créer le contact avec des chinois est très compliqué. C’est peut-être même les personnes avec qui nous avons eu le plus de difficultés pour cela. Nous avions donc pris l’habitude de respecter une certaine distance. Alors qu’une famille nous adresse la parole, mieux nous offre un moment avec eux et la gentillesse de nous ramener à Zhangye, c’est une belle surprise. Avec un immense plaisir nous acceptons. Nous confirmons qu’ils sont d’accord, ils font signe non de la tête ce qui veut dire oui en chinois ! 

            Les deux dernières plateformes sont fermées par des chaînes alors retour à l’entrée du parc. Entourés par la famille toute souriante de nous raccompagner, nous discutons avec le jeune Xieuxin. Il les présente : il y a ses parents, deux oncles et une tante. Ils sont 6, mais voilà que nous approchons d’une seule voiture. Si nous nous rajoutons cela fait 8 passagers, est-ce que nous avons bien compris qu’ils nous proposaient de nous ramener ? Non pas que nous serrer dans une voiture nous gênerait, mais dans un pays comme la Chine où le contact physique n’est pas commun, nous nous interrogeons. Très vite, le papa dissipe nos doutes. La voiture est un break, il ouvre le coffre d’où il relève tout fier trois sièges. Comme nous sommes les invités, les deux femmes et un oncle se serrent sur cette dernière rangée malgré notre proposition de nous y asseoir. Nous les remercions infiniment pour leur gentillesse, ce à quoi nous répond le traducteur « Merci de nous accorder votre confiance ». Le papa propose que nous allions manger tous ensemble, nous nous assurons que cela ne les gêne pas. Ils sont en sortie de famille pour la journée, ils en seraient ravis, alors nous acceptons avec un grand plaisir. Décidément cette journée avance de surprise en surprise ! Xieuxin nous apprend qu’ils sont partis cette nuit à minuit car ils habitent à 7-8h de route, qu’ils rentreront après manger.

           En arrivant, Xieuxin est chargé de trouver le restaurant le mieux noté de la ville. La voiture garée, nous voilà devant l’établissement aux prix conséquents. Nous pouvons souffler, c’est fermé (il est 15h30). Alors nous prenons les devants en tentant d’expliquer que nous mangeons habituellement dans les petits restaurants, que même les gargotes nous régalent. C’est décidé pour un petit restaurant que nous apercevons, nous les rassurons en leur disant que c’est parfait. Le père en chef de famille prend les commandes. Le papa est directeur d’une société. Les oncles sont amusants. En cuisine ils confectionnent les grosses nouilles de nos soupes. Nous retrouvons le plat de la veille, dont nous déduisons qu’il est le met régional. Il y a un proverbe qui dit que tous les chinois se ressemblent mais que leur gastronomie les différencie (et donc les situe géographiquement). Au moment du repas, plus personne ne parle. Nous prenons soin de ne pas terminer avant le père, ce qui serait impoli. Comme il invite, il doit être le premier à finir. Toutefois il mange si vite que nous ne risquons pas de le rattraper. Nos bols sont à peine vides que la cuisinière revient nous proposer une seconde tournée, comme ils acceptent nous faisons de même. Ce déjeuner au son des mastications de nos hôtes est un moment privilégié que nous savourons pleinement. A la fin du repas, impossible de payer, le père refuse autoritairement. Nous qui voulions leur offrir le repas pour les remercier du retour. Nous n’insistons pas, c’est un cadeau et nous comprenons que cela lui fait plaisir. Après la photo souvenir, une émotion est palpable entre nous, en particulier chez le père. Alors Aurélien lui tend la main, le père la saisit en l’entraînant pour une franche accolade. Merci pour ce beau moment partagé avec votre famille, nous en sommes ravis.

           Après ce moment, nous voilà au centre de Zhangye. Il fait très beau, dans les parcs chinois la vie bat son plein. Les jeunes jouent à des sports collectifs ou du skate, les autres générations se retrouvent autour de jeux de société, les familles s’amusent, des groupes s’essayent à une activité ensemble (dans le coin un groupe de musique dirigé par une femme), les fameux modules de gymnastiques réunissent tous les publics (c’est aussi l’occasion de voir des étirements improbables de 9 à 99ans). Il y a une belle énergie de vie présente à chaque fois. C’est très plaisant. A tel point qu’une jeune fille en communication vidéo nous demande de dire quelques mots à son amie, un petit vieux tout sourire nous fait une tape amicale sur le bras. Par ailleurs nous ne sommes pas loin de la plus grande sculpture de Bouddha couché de Chine (comme toute religion, le bouddhisme aime aussi avoir ses plus que …). Nous hésitons car en Chine les visites sont trop souvent payantes et nous faisons attention à notre petit budget. Nous cédons. Le portail d’entrée est très beau, il est prolongé par un encensoir sur lequel les croyants y déposent des bâtonnets incandescents. Derrière, un très beau bâtiment sans fioritures sur lequel le temps a imprégné le bois de son long passage. C’est ici qu’est abrité le Bouddha allongé d’une longueur de 32,5m. En rentrant, c’est une enchanteresse surprise. Dans la demi teinte d’obscurité de l’embrasure s’étend le grand Bouddha édifié il y 900ans. A moitié recouvert d’une couche de poussière sur son flanc supérieur, ses peintures apparaissent. Le lieu a une raisonnance spirituelle. Nous sommes presque seuls. Le silence règne. Le Bouddha a quelques chose de fascinant, comme si le passé accumulé dans la pellicule de poussière irradiait une énergie indicible. Des piliers sculptés dépeignant des dragons l’entourent. Dehors, d’autres bâtiments sont présents comme un superbe théâtre d’extérieur.

             Sur le chemin du retour, nous faisons une halte à une boutique de calligraphie. Conseillés par un adorable monsieur, nous achetons du matériel pour nous entraîner à notre retour en France. Le lendemain, nous faisons le chemin inverse du premier jour pour rejoindre la gare. Pour la première fois, nous ne ferons pas le trajet en train côte à côte. Nous allons passer la nuit dans des wagons différents. Barbara a la dernière place disponible en 2nd classe couchette dure et Aurélien en 3ème classe siège dur. Chacun y trouve son compte. Barbara très fatiguée est contente de pouvoir dormir et Aurélien voulait absolument faire un trajet en dernière classe. En se dirigeant vers le wagon, une contrôleuse interpelle Aurélien. Étonnée, elle confirme qu’il est allé vers la bonne voiture. La chef de voiture est encore plus interloquée par sa présence, mais elle aussi constate que son siège est là. La 3ème classe est définitivement la manière la moins touristique de voyager en Chine. C’est clairement une autre classe sociale du wagon couchette. Une autre société. Le prix d’achat le signale par son importante différence. La Chine populaire y voyage. A son passage, évidemment les regards sont aimantés par sa présence, grand être chevelu et barbu. Son siège est contre la fenêtre, cela sera plus simple pour dormir. Ce sont deux rangées de sièges de chaque coté de l’allée, une rangée de deux et une de trois. Les sièges sont collés les uns aux autres, sans accoudoir comme une banquette. Ils sont durs et peu larges. Barbara se souvient parfaitement de son trajet de 15h lors de son premier voyage en Chine coincée entre deux hommes, dont un particulièrement corpulent. L’absence d’accoudoirs implique l’absence de séparation physique. La nuit, ceux qui s’endorme se retrouve généralement sur l’épaule de son voisin. La nuit est longue car dormir y est difficile.

            Après un petit temps de suspension, Aurélien brise le silence avec un « Fâ Gôa » (français), la conversation s’enchaîne alors avec son élégant voisin. Whang Chin Chan a 41ans, la rangée voisine se mêle à la discussion bon enfant, notamment Chen Dan Chan qui a 68ans. Ils voyagent depuis la mythique ville Kachgar, à l’extrémité ouest du Xing Giang et du pays. Ce qui explique leurs visages aux traits plus carrés d’Asie centrale. De même leur peau est très foncée. Rythmés par de nombreux rires complices, nous évoquons leurs trajets, nos âges, le temps passé dans le train, nos familles… Entre le chinois et le français, les chiffres arabes deviennent la langue commune. Les dessins des traductions à déchiffrer. Avec les prénoms, nous improvisons un petit atelier de calligraphie au stylo bic. Quand Barbara rejoint Aurélien, elle constate avec un agréable étonnement toute la petite communauté qui s’est groupée autour de son siège. En effet, les autres passagers se sont massés autour de nous pour participer ou écouter. Whang Chin Chan lui laisse sa place à côté d’Aurélien. Au tour de Barbara d’évoquer des anecdotes, particulièrement ses souvenirs de 3ème classe qui amusent tout le monde.

          Aurélien entame l’écriture de son carnet. Impossible avec tous ces regard fascinés de ces étranges signes qui composent notre alphabet. Comme nous lorsque quelqu’un fait de la calligraphie en somme. Alors la conversation reprend, avec toujours plus de complicité, en particulier avec Wang Chin Chan. Nous parvenons à comprendre les indices dessinés de l’autre, les pensées. Alors quand Barbara revient pour que nous allions manger, comme Wang Chin Chan descendra à Wuwei pendant ce temps, c’est une poignée de main sincère d’amitié et d’émotions. Un trait d’union entre les cœurs. En passant de wagons en wagons, tout le monde nous dévisage, parfois nous invite à nous asseoir avec eux. Mais le plus typique, ce sont les sas entre les voitures où nous traversons des nuages de fumées. Les chinois y fument leurs nombreuses cigarettes journalières. Au retour, une voisine a pris la place de Wang Chin Chan. Comme Chen Dan Chan dîne avec sa fille, Aurélien saute sur l’occasion en tentant un « Cheu Ao. Mamane Cheu ! » (Bon appétit, prenez votre temps) (phrase de politesse en Chine). Ce qui les fait rire, s’ensuit une conversation sino-française que seul le bon sens traduira, mais qui nous fait bien rire. Il se frappe le ventre comme en Ouzbékistan quand il rigole. C’est un papy bienveillant et espiègle. A l’inverse la nouvelle voisine n’inspire pas le même sentiment. D’ailleurs très vite, elle essaie l’air de rien de se prendre en selfie avec Aurélien. Il lui propose d’en faire un, elle en fait une dizaine. Il reprend l’écriture de son carnet, elle le filme de près. Définitivement le genre de personne agaçante dont le smartphone est devenu une extension biomécanique de leur corps sans gênes. L’exact inverse de Wang Chin Chan avec qui la relation était de personne à personne (ce qui n’empêche pas une photo souvenir). La nuit vient, mais la lumière reste allumée. Le wagon s’endort. Chen Dan Chan finira même par s’installer un petit carton sous les sièges pour dormir allongé et couvert de la lumière.

           A 5heure du matin, un chinois arrive en face. Voyant qu’Aurélien ne dort pas, il lui parle à la manière chinoise, c’est à dire forte. Mais il n’est pas curieux d’une manière bienveillante, il est intrusif. Plus tard la voisine Xu Li se réveille, avec qui Aurélien lui propose de partager le déjeuner. Puis, il les laisse parler entre voisins. Un troisième voisin arrive Shi Hu Bo. Ils ont tous les 3 la trentaine et commencent à poser des questions à Aurélien. Mais ils ne font aucun effort pour se faire comprendre, par exemple Aurélien leur propose de dessiner leur propos mais ils refusent. Alors Shi Hu Bo sort son smartphone, une application de traduction. C’est un enchaînement de questions unilatérales. L’objet se ballade entre nous avec sa voix mécanique. De la même manière que le chemin est ce qui compte dans un voyage ; dans une conversation de deux personnes qui ne parlent pas la même langue, l’important réside dans l’échange et l’humain. Par la fenêtre, les paysages désertiques du Xing-Giang ont laissé place aux plaines verdoyantes. Nous nous dirigeons vers le sud. Derrière ses lunettes de soleil, le sourire en coin, Chen Dan Chan observe bienveillant la pauvre situation. En plus d’une tape amicale sur l’épaule, d’une salutation souriante, il offre la moitié de son pain plat à Aurélien en descendant du train. Nous descendons à Chengdu. La ville nous apparaît immense ! Heureusement, le métro est clair et bien fait. Après un déjeuner revigorant, nous sautons dans un autre train en direction de Leshan. Nous sentons que la fatigue nous guette car nous éprouvons quelques difficultés inhabituelles à nous repérer. Nous parvenons à la petite chambre d’hôte où la mamie qui nous accueille pourrait être la notre tant elle est gentille à notre égard. La chambre est propre, parfaite pour reprendre des forces. En plus, il y a un petit restaurant de quartier pas très loin comme nous les affectionnons tant. Le chou kale, le tofu, la soupe de tomates/œufs délicieusement cuisinés sont les ingrédients idéaux pour finir de nous remettre en forme.

              Le lendemain, nous nous levons tôt, trop même car nous sommes vingt minutes en avance devant la billetterie. Il paraît que le lieu est très touristique, mais il semblerait que la pluie en est décidé différemment. Ce qui attire les foules, nous mêmes, c’est la sculpture gigantesque d’un Bouddha à même la falaise du mont Lingyun, faisant face à la rivière Min. Assurément un des plus grand du monde dont les mensurations donnent le vertige des mesures : une hauteur de 71m sur 28m de largeur. Sur le chemin qui mène à la sculpture, nous ne voyons aucun autre visiteur hormis un homme âgé et les agents de propreté. Des niches abritent des bouddhas de différentes tailles, il y a des temples également exposant d’autres représentations. C’est seuls que nous arrivons au niveau de la tête de la divinité (haute de 11,98m). Coiffé de mille chignons, le Bouddha présente une expression presque mélancolique. C’est en descendant que nous prenons progressivement la dimension de l’ouvrage qui a mobilisé le travail de trois générations de sculpteurs (dont un arrêt de 70ans des travaux faute d’argent). La pluie s’intensifie alors qu’il faut lever haut la tête pour admirer le colosse religieux. Comment un moine prénommé Haitong eu l’idée vers 713 de tailler dans la montagne ce géant ? Encore une fois, c’est ici un témoignage impressionnant de ce que le religieux engage l’Humanité à créer matériellement. Représenter l’immensément grand qui échappe aux règles du commun. A mesure que la pluie s’accentue, la pierre se détrempe et prend une coloration foncée. D’ici bas, ses yeux plongent dans la rivière Min apaisés.

            Ensuite, il y a un mini parc à visiter avec des temples. Dans ces belles bâtisses en bois, il y a de nombreuses sculptures bouddhistes. Elles ont souvent ce contraste fort entre le foisonnement du mouvement, des couleurs et détails d’une part, d’autre part la simplicité dépouillée des visages. Comme si le visage n’était pas le siège de l’expression, ou alors son but. Plus loin, un musée éclaire par une super animation la façon dont le Bouddha a été construit. A flanc de montagne, l’ouvrage a débuté par la tête, ensuite ce fut le buste et ils terminèrent par les jambes. Hai Tong n’aura pas vu l’œuvre aboutie. Nous y découvrons également comment ils entretiennent ce monument que la mousse semble décidée à recouvrir régulièrement. De retour de notre visite, nous bouclons nos sacs. Pause déjeuner à l’excellent troquet du coin et nous revenons sur Chengdu. Avec le métro, nous changeons de gare pour aller prendre notre dernier train de nuit et continuer vers le sud. C’est un bâtiment bien plus ancien, où l’ambiance y est moins policée que les nouvelles gares des nouveaux trains. A l’accoutumée cela joue des coudes dans la file pour rejoindre le train. Exténués, nous dînons tôt. Nos voisins de couchettes paraissent parler politique, nous nous endormons au son de leur conversation.

        Au matin nous arrivons à Panzihua, d’où nous prendrons un bus pour rejoindre Lijiang. Barbara a lu sur un forum de voyageurs que pour rejoindre la gare routière, il faut prendre le bus 64. Notre présence n’étonne pas la contrôleuse ce qui nous rassure. La qualité des transports publics en Chine est incroyable. L’information était bonne. Nous achetons nos tickets, départ dans 15minutes. Un monsieur s’approche de nous avec 6 yuans en main en nous disant « Lijiang ». Après un temps, nous comprenons que c’était le voyageur après nous qui nous ramenait la monnaie que nous avions oublié de récupérer. Nos sacs prennent place dans une soute poussiéreuse (ce pourquoi nous laissons continuellement nos housses de pluie comme protection). Le mini-bus entame une route principalement montagneuse qui grimpe en lacets. Le paysage est beau, nous pouvons en profiter tranquillement car le chauffeur conduit très bien. En surplombant la vallée, les villages entourant les nombreux champs de cultures apparaissent. En descendant, les piles de bétons sont érigées prêtes à accueillir la future route ou tronçon ferroviaire. La Chine bétonne partout dans le pays.

              Arrivés à Lijiang, nous filons à l’auberge de jeunesse. Le vieux monsieur qui la tient est un aubergiste qui a la passion de son métier. Il est heureux de partager des anecdotes. Le confort y est sommaire (2 petits lits durs et une table de nuit, douche en extérieur) mais l’espace commun est beau, l’atmosphère douce. Nous nous y sentons comme chez nous. Comme demain il fera beau, nous commencerons la randonnée des Gorges du Saut du Tigre, les gorges les plus profondes du monde.

           Dans le bus à 7h50, nous profitons des 2h30 de route pour notre déguster nos petites brioches en guise de petit-déjeuner. Nous avons laissé nos gros sacs à dos à l’auberge. Nous partons pour 2 jours de marches, nous avons pris nos petits sacs avec le strict nécessaire. Une fois sur place, il faut acheter des tickets à un petit chalet qui fait office de tourisme. Étonnamment, nous sommes les seuls du bus à entamer la randonnée par le début. Nous ne sommes pas sûrs de la direction du départ de la route, mais le sourire d’une vieille dame nous en assure. Un peu plus loin nous devinons un chemin à flanc de montagne, c’est là. Une marchande est devant ce qui confirme également notre intuition. Elle vend des fruits, des boissons et du cannabis. Nous optons pour une pomme et un petit sac de noix. Elle nous propose d’acheter un bâton chacun mais nous déclinons.

           La quinzaine de kilomètres de la randonnée peut commencer, elle le fait sans préambule. Sur un chemin étroit, pierreux et poussiéreux, cela monte franchement en lacets. Le soleil haut dans le ciel annule nos ombres dans sa lumière. Des petits cairns ou des flèches rouges nous corroborent le tracé du chemin. La végétation est sèche. Pendant le trajet en bus, nous avons vu de nombreuses cimenteries dont certaines sont sur le versant opposé. Nous le ressentons dans l’air que nous respirons et cela ajoute de la difficulté à l’ascension, bien que nos jambes supportent facilement l’effort. En contre bas, le Jinsha s’écoule dans une robe boueuse. Peut-être aurions-nous dû acheter un bâton pour soulager la montée. Qu’importe, la joie d’être à la montagne, de marcher simplement, nous infuse à mesure que nous grimpons. A un premier palier, un homme attend avec un cheval si d’aventure nous voudrions un transport pour nos sacs ou nos corps. Plus loin d’autres en proposent à nouveau et de la « ganja » (surnom du cannabis). Il est facile d’en déduire d’une part qu’il y a des randonneurs qui requièrent les services des équidés, d’autre part qu’ils sont nombreux à acheter de l’herbe. La beauté des paysages nous suffit. En continuant sur nos deux pattes le sourire aux lèvres, apparaissent au loin de majestueux sommets. Enneigés ci et là, ils culminent à plus de 5500m d’altitude. Le nom est aussi rêveur que la vue, la montagne du Dragon de Jade. Même les nuages s’arrêtent à la pointe de leur hauteur pour admirer le paysage. Nous passerions notre journée à observer ce jeu de cache cache entre la puissance minérale et la nuée légère.

 

             Le premier village se présente en contre bas, tout vert de chlorophylle des champs arrosés. Même ici, en approchant du bourg, le tintement des cloches signalent la présence des animaux. A la chambre d’hôtes où nous nous arrêtons, nous retrouvons des allemandes du mini-bus. Elles ne voulaient pas endurer le premier tronçon, alors le mini-bus les a déposées ici (beaucoup optent pour cette option). Le midi est délicieux, le riz aux légumes et la soupe sont parfaits pour reprendre des forces. La cuisinière avec son large front, ses petits yeux et sa peau beige teintée de rouge évoque le physique des tibétains. Géographiquement, nous sommes proches de sa frontière. Avec le thé nous prenons un temps de détente, de contemplation des montagnes lointaines. Puis, entre deux groupes, nous repartons. Les « 28 lacets » à la réputation difficile nous attendent. Raison pour laquelle beaucoup évitent le premier tronçon. Ce qui nous agace immédiatement est que le chemin est bétonné. Ce qui est désagréable à la fois dans le retour d’énergie de la marche et visuellement immonde. Heureusement, plus tard, le béton disparaît au profit du chemin de montagne et notre plaisir de la montée. Si nous ne savons pas si finalement ce second tronçon est plus ardu que le premier, il est clair que l’air pollué par les cimenteries reste gênant. Alors nous prenons de grandes rasades des panoramas qui nous bordent et nous émerveillent.

            Des chinois bloquent un point de vue, il faut payer, nous continuons. Nous ne ferons pas leur fortune. Quelquefois nous revoyons le tumultueux Jinsha qui se manifeste au détour d’une lèvre de la gorge. Avant un petit hameau, des chèvres font leur apparition avec leurs curiosités inébranlables. Nous nous arrêtons pour un thé. Ensuite, le chemin regrimpe. Il est très haut, par endroit. Parfois en contrebas, nous voyons les femmes et hommes au travail de la terre. Ici, les cimenteries n’ont pas colonisé les versants. Ceux-ci sont trop raides. Les roches sont belles, leurs géométries nourrissent nos imaginaires, tel cet escarpement dessinant un profil de visage. Tranquillement nous arrivons à l’auberge de mi-parcours où nous dormirons. Les groupes parviennent petit à petit. Nous sympathisons avec Woodin, un élégant et chaleureux israélien. Une partie de sa famille est iranienne mais à cause des relations diplomatiques entre les deux pays, il ne peut pas les voir. Notre lien se crée instantanément. Nous poursuivons notre conversation jusqu’après le dîner. De sujets légers à des plus sérieux, d’anecdotes de voyages à nos visions du monde, nous prenons un immense plaisir à échanger avec lui. C’est une âme libre. Avec la beauté du paysage en toile de fond, sur les versants des montagnes du Dragon de Jade fondent les raies déclinant à travers les nuages. La soirée est une exquise fin d’une belle journée.

           Nous retrouvons Woodin au petit-déjeuner, il s’était levé plus tôt pour faire du yoga. Prêt avant nous, nous lui souhaitons une belle randonnée. Avant de quitter le hameau, nous jetons un œil derrière nous au Jinsha qui serpente vers le lointain. Sur le versant des pentes se dessinent de multiples losanges conséquence des ascensions diagonales des chèvres. Le chemin est plus dangereux que la veille. Plus irrégulier à cause des roches, il est aussi est à fleur de la falaise qui descend à pic. De même, la beauté des paysages prend une dimension spectaculaire. Nous ne nous lassons pas d’y perdre notre regard, de contempler la silhouette des montagnes environnantes. A l’inverse, les chèvres se moquent de la physique des pentes pour satisfaire leurs estomacs gourmands. Quelques drapeaux de prières sont parfois présents. Le temps est nuageux, nappant les gorges d’une lumière diffuse, presque onirique. Fascinés par les paysages, nous sommes étonnés d’arriver à midi au dernier village, où nous y attendent deux bonnes surprises. D’un côté nous retrouvons Woodin, de l’autre nous pouvons prendre le bus de 12h30. Ces gorges s’appellent « Saut du Tigre » car à l’embouchure un tigre fuyant un chasseur aurait sauté sur le rocher qui s’élève au milieu du torrent véhément, avant de sauter une nouvelle fois pour rejoindre l’autre versant (nous ne descendrons pas au point de vue payant). Au retour à Lijiang, notre ami prend un lit dans la même auberge. Nous déjeunons et dînons ensemble, toujours avec ce même plaisir que seules les rencontres fortuites procurent.

           Le matin du 28 avril, il est temps de dire au revoir à notre cher ami qui part à Dali. A une prochaine peut-être. De notre côté, nous profitons de l’après-midi pour visiter Lijiang. C’est la ville qui abrite la plus grande ethnie des Naxi. A ce propos, la Chine est le pays au monde qui a le plus d’ethnies différentes. La ville a des faux airs vénitiens aux accents chinois avec tous ses petits canaux. Si elle a été reconstruite suite à un tremblement de terre en 1996, son architecture conserve un charme d’antan mais est très touristique. A la manière de Pingyao, ce sont ces villes qui donnent une idée de l’histoire urbaine de la civilisation chinoise, qui sont des ponts de projection vers des temporalités plus anciennes. Il y a de nombreuses couleurs, beaucoup de végétation, de nombreux cafés, tout cela agrémentent de vie l’atmosphère des rues. Néanmoins, le tourisme tend à défigurer ce tableau. Pour cela il faut éviter de regarder les boutiques qui vendent trop souvent les mêmes articles (comme des djembés), où les vendeurs yeux rivés sur leurs téléphones ignorent le passant.

Petit-déjeuner

 

Toutefois, malgré les nombreux touristes, nous prenons plaisir à nous hasarder dans les rues parallèles où nous achetons du nougat en guise de dessert. Le lendemain, nous avons la surprise de découvrir que la femme de l’aubergiste parle un excellent français. Elle a vécu à Lyon durant 7ans. Revenir au français est toujours une douceur que nous goûtons. Elle nous donne tous les détails pour rejoindre le village de Shaxi.

            En suivant ses conseils nous rejoignons Jianchuan pour prendre un mini-bus vers Shaxi. Instantanément le village nous fait forte impression, comme si nous nous retrouvions un court instant dans la Chine médiévale avec ses bâtisses basses, les murs en torchis, les peintures défraîchies. D’ailleurs notre auberge du soir est une ancienne écurie de ce village où autrefois faisaient halte les caravanes et commerçants. Sur la place du village, le théâtre est somptueux. Le midi ternit un peu la visite car la vieille dame rajoute de la sauce pimentée alors que nous lui avions demandé sans. On ne peut pas toujours se comprendre. Les couleurs du village sont de beaux ocres, rouges terres et oranges foncés. La poussière ambiante est comme un sel à ces accords de teintes. Les visages des locaux reflètent sourdement leurs vies. Notre auberge est aussi un très beau lieu. C’est bien la première fois que nous dormirons dans une étable ! Nous y recroisons Céline et Denis, un couple d’Amiens rencontré à la fin de notre randonnée dans les Gorges du Saut du Tigre. Le soir, l’auberge a la très bonne idée de proposer un dîner à partager avec tout le monde.

  

         Après un dernier tour dans le village la matinée suivante, quelques emplettes à une vieille dame, nous revenons sous la pluie à Jianchuan. Nous y mangeons dans un boui-boui, où chaque fois nous nous posons la même question : pourquoi les tables et tabourets sont-ils si bas à chaque fois ? Les genoux hauts, le ventre plié, ce n’est pas la plus agréable des manières pour manger les nouilles frites dont les légumes ont disparu. Nos voisins ont laissé plus de 3/4 de leurs plats pleins pourtant c’est délicieux. Qu’importe, nous prenons le bus en direction de Dali. Le parking des célèbres trois pagodes de la ville crée un immense bouchon. Ou plutôt c’est le début d’une semaine de congé chinois. Après plus d’une heure de blocage, nous ne sommes toujours pas arrivés. Nous descendons pour rejoindre la ville à pieds pour ce qui reste de kilomètres. Par hasard, nous revoyons Céline et Denis attablés à un restaurant à la cuisine occidentale. Nous en plaisantons. Par contre ils nous avertissent que premièrement ils ont eu d’énormes difficultés à trouver un bus disponible pour Kunming (mais nous avions anticipé le train), d’autre part que la ville est saturée d’une foule de touristes (nous en avons eu un aperçu). Effectivement, la petite ville paisible des souvenirs de Barbara est aujourd’hui grouillante de monde et de boutiques. Beaucoup d’hôtels sont pleins comme nous l’indique notre première tentative. Nous nous dirigeons au second de notre liste, la responsable à tellement de monde qu’elle n’hésite pas à nous baisser le pris de plus de 40 % quand nous lui disons que c’est trop cher. Surprise, nous retrouvons Woodin dans la cour de l’auberge avec qui nous terminons la journée autour d’une conversation.

          Le matin du premier mai, c’est un français d’une cinquantaine d’années qui vit en Chine depuis 10ans avec qui nous parlons. Son récit est très intéressant. Avant il était simple de venir s’installer dans le pays, d’y développer un commerce. Puis les démarches se sont compliquées, notamment pour le visa à actualiser annuellement alors qu’il était marié avec une chinoise. Venant de divorcer, il a aujourd’hui un visa étudiant pour rester dans le pays (comme beaucoup). Il nous dit aussi que la petite sympathique ville qu’était Dali dans le passé est devenue un monstre touristique. Les choses ont changé, lui ne sait pas quelle direction prendre. Woodin débarque avec son sac à dos, nous le saluons chaleureusement. Qui sait où nous nous recroiserons la prochaine fois ? En attendant nous expérimentons les bains de foules touristiques chinois, parfois c’est compact, parfois nous parvenons à nous extraire. Il y a des boutiques de friandises locales, ce dont affectionnent les chinois pour ramener comme souvenir. Soyons franc, nous ne comprenons pas ce qui aimante les foules plus qu’ailleurs. De notre côté, nous faisons une entorse à notre habitude alimentaire locale en allant manger au même restaurant que Céline et Denis. Le reste de la journée, nos estomacs nous rappellent ô combien nous ne sommes plus habitués à ces plats. De retour à l’auberge, une étrange et une excellente nouvelle nous attendent. La première est qu’en consultant le trajet de notre colis expédié par la sœur d’Aurélien vers le Myanmar (notre prochain pays), le colis se trouverait au Mali… sûrement une erreur. Par ailleurs, la bonne nouvelle concerne Peng (le chinois rencontré le premier jour dans le train, voir partie 1) qui a répondu favorablement à notre message. Il avait insisté pour que nous le recontactions pour le retrouver à Kunming. Ainsi, la boucle sera bouclée.

          Si les halls de gare sont souvent grouillants de personnes, pour notre dernier trajet ferroviaire il y a encore plus de monde qu’à l’accoutumée. Peng n’a pas été très clair dans son message. Nous, qui aimerions tellement avoir la chance de dormir chez lui, découvrir à quoi ressemble les appartements des chinois, ne savons pas si nous pouvons envisager cette hypothèse. Il a dit qu’il s’occupait de tout. C’est flou. Dehors défile le Yunan, une province principalement agricole. Arrivés à la gare, nous nous repérons vite. Nos retrouvailles sont étranges, nous sommes contents, mais avec un sentiment perplexe. Visiblement son métier dans la supervision de fruits et légumes lui rapporte beaucoup vu la belle berline allemande qu’il a. Nous sommes tout gênés avec nos chaussures de randonnée un peu sales. Bien que les chinois aiment les grosses voitures, tout le monde respecte la faible vitesse de circulation. Nous avons un peu de mal à nous comprendre. Ce n’est pas grave. Nous récupérons Fé, sa petite amie qui est originaire du nord est de la Chine. Elle est agente de circulation ou de garde dans le métro. Paradoxalement, son anglais est très sommaire, mais nous sentons chez elle une sincère curiosité malgré sa grande timidité.

           Nous roulons en direction du marché de nuit car il est 20h30, les restaurants de la ville sont tous fermés. Généralement les marchés de nuit en Chine sont des points de restaurations où on mange sur le pouce. Nous entamons par une galette étonnante mais bonne. Malgré que nous insistions pour payer afin de leur offrir, Peng refuse catégoriquement et paye à notre place. C’est gentil. Mais nous n’avons pas terminé qu’il propose que nous partagions ailleurs une grande soupe. Là aussi rien à faire lorsqu’il sort son épaisse liasse de billets, il refuse que nous payons. Idem pour les boissons. Cela en devient dérangeant, car nous avons l’impression de ne faire que de la consommation pour la consommation, d’autant que les sujets de conversations tournent autour des questions d’argent. L’ambiance est bonne, mais nous avons l’impression d’être « achetés ». Les chinois au restaurant commandent souvent trop de plats qu’ils ne finissent pas, c’est un peu l’impression que nous avons, qu’il en faut toujours plus. Assurément cela part d’un très bon sentiment, certainement qu’il est d’usage de recevoir ainsi, mais nous sentons qu’il y a un décalage entre nous. Entre son opulence financière, la fierté de l’afficher, à rebours de la modestie de notre voyage. Il nous demande le prix habituellement de nos chambres en Chine. Enfin nous réussissons à lui offrir une boisson, bien que nos estomacs saturaient déjà. Nous ne dormirons pas chez lui. Pensant bien faire, il nous a réservé un hôtel (trois fois plus chers que nos prix habituels). Trop tard pour faire quoique ce soit. Au moins le confort y est. Inattendue soirée.

         Comme il pleut le jour suivant, Peng, que nous retrouvons à 10h, nous dit qu’il est inutile d’aller voir le lac de Kunming. Nous faisons une halle aux fleurs, dont Peng nous apprend qu’elles sont vendues dans tout le pays, mais le reste de la conversation est compliqué car le lien ne se crée pas. Étrangement, il ne semble pas curieux de nous, ne nous retourne aucune question. La pluie n’arrange rien car nous filons dans un des nombreux grands centres commerciaux pour combler le temps. Quand nous parlons de notre voyage, la majorité des pays lui inspire la même conclusion « Ces pays sont trop dangereux ». Nous ne pouvons pas lui en vouloir de son ignorance, mais si au moins il écoutait notre récit… Nous le remercions pour le midi (encore une fois impossible de payer) et lui disons qu’il nous faut rejoindre notre hôtel du soir. Nous avons pris une chambre près de l’aéroport, car demain nous nous envolerons tôt pour le Myanmar (la frontière terrestre est fermée). Une heure de métro plus tard, nous sortons sous la pluie qui s’est intensifiée. Durant une quinzaine de minutes nous marchons en direction de l’hôtel. Nous y sommes, du moins à l’adresse exacte. Cependant le bâtiment lui n’y est pas ! Euh ? C’est bien la première fois que cette situation nous arrive… Un poste de sécurité plus loin ne se montre pas coopératif, un agent d’entretien nous ignore, aucun hôtel dans les environs. Pendant ce temps la pluie redouble.

         Devant le bâtiment de l’entreprise de construction de l’aéroport, un jeune homme attend avec un dossier à la main. Il nous écoute, il veut bien nous aider. Il écrit l’adresse de l’hôtel sur son téléphone, même point de chute que nous. Nous lui demandons s’il peut les appeler. Ils lui envoient l’adresse. Mauvaise surprise l’hôtel est à plus de 5kms ! La journée commence être pesante. C’est alors qu’arrive le collègue qu’il attendait. Ils parlent de notre situation en finissant par nous proposer de nous y amener en voiture. Une tel geste irradie nos cœurs de soulagement et de joie. Nous traversons une zone très étrange, délabrée, presque en ruine par endroit. C’est par là qu’est l’établissement. Arrivés à l’adresse, encore une fois pas d’hôtel. Heureusement que nous sommes avec nos sauveurs du jour qui les appellent. Enfin nous arrivons.

         Le réceptionniste se confond en excuses en expliquant qu’il nous a envoyé un mail pour venir nous chercher au métro. Nous avions répondu que nous n’avions pas besoin de taxi car à pied cela se faisait bien si l’adresse avait été exacte. Nous sommes en colère de l’information erronée, d’autant que pour demain nous ne savons pas comment nous ferons pour rejoindre l’aéroport qui finalement se situe à 8km. Il nous explique que le trajet est pris en charge dans le prix de la chambre et à l’heure où nous en aurons besoin. Aussi, il baisse le prix de la nuitée. Ce qui n’est pas un moindre mal car il s’agit du pire hôtel chinois où nous dormons (dans le top 5 du voyage!). Outre que l’immeuble soit glauque, le lit est une planche de bois, la vue un mur à trois mètres de distance, le toilette turc fait office de syphon pour la douche… Il est 17h, nous avons le moral dans nos chaussettes mouillées. Bon nous ne nous laissons pas abattre, notre voyage en Chine a été d’une incroyable richesse. Rarement nous aurons vu dans un seul pays des paysages aussi différents, des styles de vies à la fois proches et éloignés, nous régaler de plats succulents. De plus, demain nous nous envolerons pour le Myanmar où nous attendent, nous l’espérons, d’inédits émerveillements. Alors nous nous amusons de cette dernière chambre si différente de toutes les autres. Nous ne prenons pas le risque de sauter sur le lit de peur de casser la planche, par contre nous rigolons de la vue, de l’incongruité de la douche double usage! Ce soir c’est banquet, pour célébrer nos quelques 10 000 kilomètres dans l’Empire du milieu, à l’épicerie du coin nous achetons en plus des nouilles instantanées des chips et une bière. Celui qui se contente de peu s’épanouit de rien !

Comme 10 000kms ça se fête, en bonus, la photo la plus kitsch de notre escapade dans le pays de Mao…