Kosovo

Kosovo du 05/07/2017 au 06/07/2017 / Pristina

Promesse a une amie

par Aurélien

          Nous sommes à la gare de Sarajevo (capitale de la Bosnie-Herzégovine) dans le bus en direction de Pristina  (capitale du Kosovo) pour aller retrouver Bardha (une amie kosovarde rencontrée en 2012 avec mon amie Gaëlle lors de notre échange erasmus à Rome). En 2012, je lui avais dis (comme à mes colocataires macédoniens Bessim et Menan), qu’un jour je viendrai la voir au Kosovo. Nous sommes la veille de ce jour.

        Il est 22h tapantes, le bus quitte la gare de Sarajevo. Comme celui de Mostar, il s’arrête seulement quelques minutes après, en dehors de la gare, pour charger d’une voiture d’autres bagages (la poste non officielle). Dans le bus, la fatigue est déjà présente dans l’air, comme si les corps anticipent le manque de sommeil qui les attendent. Nous quittons la capitale bosnienne encore animée dans ses lumières nocturnes. Direction Novi Pazar en Serbie où nous pourrons prendre la correspondance pour Pristina. Le ticket s’achète directement dans le car, ce qui est surprenant c’est que sur celui-ci n’est pas inscrit la destination Pristina.

      Rappelons qu’il y a moins de vingt ans ces deux pays étaient en guerre. Mais les deux gouvernements essaient aujourd’hui d’améliorer la situation. Nous nous enfonçons sur une route sans lumière et qui enchaîne les virages. Quelquefois, nous nous arrêtons à des endroits totalement sombres desquels apparaissent un nouveau passager au milieu de nulle part. Le chauffeur est précautionneux et vigilant. Avec les premières heures, les premières âmes s’abandonnent aux bras d’un morphée agité. Personnellement je ne dors pas, le goût de ces voyages nocturnes me tient éveillé. Petit, avec mon père nous partions au Portugal de nuit, je luttais pour garder les yeux dans les étoiles passantes au dessus de nous. Les lumières criardes des péages étaient des féeries éphémères.

        Aux alentours d’1h40 le bus s’arrête, nous sommes à la frontière avec la Serbie. Nous qui n’avons pas eu de tampons à l’entrée de la Bosnie-Herzégovine on se demande comment cela va se passer. C’est un peu long. Cependant, nous ne sommes pas trop inquiets car nous savons l’immense chance d’être français. Et c’est le cas, un tampon bosnien et nous poursuivons au poste serbe. La douanière nous prend les passeports avec le sourire, pour une fois. Sans encombres, nous avons notre sésame, mais cette fois sur la page avec une petite voiture au lieu d’une petite locomotive (la 1ère fois nous étions arrivés en train). Le bus repart avec cette fois des villages aux lampadaires blancs.

       Moins d’une heure et nous nous arrêtons. Dans un café somnambule, à plusieurs tables enfumées, des hommes du bout de la nuit trompent leurs fatigues avec l’alcool. Sans violences mais avec des discussions franches. La lumière crue creuse encore plus leurs traits tirés. Dehors, le silence d’un village endormi depuis longtemps.

       Retour à la route. Si elle est descendante maintenant, son état se détériore au fur et à mesure de notre avancée. Mais le chauffeur est décidément très attentionné. A chaque passage râpeux de l’asphalte, il ralentit pour que la carrosserie ne gronde qu’en murmures. Nous sommes peu à ne pas dormir. Sur le strapontin à l’avant du bus, le second chauffeur fume discrètement une cigarette. Devant lui, le jour se lève doucement. La campagne serbe peu à peu se réveille, peu à peu se révèle. Les couleurs renaissent de l’obscurité tandis que le sommeil cherche à gagner les dernières paupières résistantes. Oscillations entre sommeil et yeux ouverts pendant que les premières nuances de bleu s’étirent dans le ciel naissant.

       5H30, nous rentrons dans la gare Novi Pazar. Le chauffeur a la gentillesse de nous indiquer le bus pour Pristina, juste celui d’à côté. Nous y chargeons nos sacs, petit passage aux toilettes et nous voilà repartis. Le soleil est déjà éblouissant à travers les vitres sales de ce second bus. Le contrôleur, en belle blouse bleu marine et sandales, vérifie nos billets sur la route. Tout va bien. A l’intérieur, certains passagers ont suivi d’autres nouveaux apparaissent. Leur tenue est un peu vieillotte, pull à grosse maille avec col de chemise qui ressort. Ou alors étonnante comme ce vieux couple : elle au voile blanc, lui à la casquette blanche. A l’extérieur, les villages semblent moins riches que ceux dépassés ce matin, peut-être n’est-ce qu’une impression. Très vite nous sommes à la frontière avec le Kosovo. L’ambiance est détendue, le douanier prend un café en attendant que soit contrôlés les documents de chacun. Pas de tampon, mais nous redémarrons. On longe le lac longiligne de Gazivode qui est d’une belle couleur bleu-vert. Très peu d’habitations sur son pourtour. Nous traversons une série de tunnels étroits sans éclairages ni ventilations.

       Lorsque nous croisons les premières habitations, ce sont de grandes maisons. Pas toujours finies, pas toujours de très bons goûts, elles arborent souvent un drapeau de l’Albanie. Progressivement, on constate que c’est la majorité des maisons qui ne sont pas terminées, le paysage est en quelque sorte un chantier à ciel ouvert. La fin du conflit avec la Serbie n’est intervenue qu’en 1999, c’est encore très récent et c’est certainement là une des raisons. Sur la route, de loin, nous voyons la centrale thermique d’Obilic qui alimente la capitale kosovarde en énergie. A ce que j’ai lu, parfois la demande d’électricité est trop importante et elle ne parvient pas à en fournir assez.

      Il est 7h30, nous arrivons à la gare. Barbara n’a plus de batterie sur son portable et le mien se démène avec une dizaine de pourcents. Nous laissons nos sacs à dos dans une consigne, ce qui nous permet d’exercer pour la première fois notre prononciation de mots albanais (dans chaque pays, nous apprenons quelques mots basiques). Nous le savions, mais c’est quand même à connaître, comme au Monténégro, la monnaie officielle du Kosovo est … l’euro (petite explication plus tard). Passage aux toilettes, en attendant Barbara (pour une fois, d’habitude c’est elle qui m’attend) monsieur pipi me demande d’où je viens. Il me répond « France very good ! ». Un client qui s’intéresse à notre conversation mi-albanaise mi-anglaise mi-gestuelle confirme la belle image de la France dans le pays. J’ajoute un mot en albanais et me voit offrir gentiment une cigarette que je décline poliment.

      Nous nous installons à un café, pour la première fois de notre voyage le thé est moins cher que le café. Avec le wifi, je reçois un message de Bardha qui nous invite à rester dormir chez elle ce soir (elle vient juste de déménager avec son amoureux). Malheureusement nous ne pouvons pas rester car nous devons rejoindre Skopje (capitale de la Macédoine) aujourd’hui. Mon portable n’a plus que quelques pourcents, je demande à la sympathique serveuse si elle peut brancher le téléphone « No energy, sorry ». D’abord nous ne comprenons pas, mais en voyant les réfrigérateurs à glace éteints et remarquant que la télévision est éteinte, on comprend qu’il n’y a plus d’électricité à la gare.

      On se décide à aller au centre. La fatigue du trajet en bus est lourde dans nos corps, on accuse le coup. Je remercie Barbara de faire cet effort pour moi, je suis heureux qu’elle rencontre Bardha tant c’est une personne adorable et intelligente. Pour rejoindre le centre pas de bus mais le taxi nous dit-on, j’en aborde un qui nous dit 5 euros. Déjà que je suis mauvais en négociations, la fatigue fait que j’accepte bêtement alors qu’il est évident que c’est le double du prix. Nous nous disons qu’il va falloir rapidement être vigilant sur ces « arnaques » courantes, et très vite apprendre l’art de la négociation (dire que j’ai déjà vu ma grand-mère négocier dans une grande surface…). Par la fenêtre les constructions sont partout. Elles s’enchaînent sans qu’on y décèle une organisation urbaine, cela semble être fait dans la précipitation. A la sortie du taxi sur l’avenue mère Thérésa, on comprend mieux lorsque Bardha nous parlait d’une chaleur terrible. D’autant plus que c’est bétonné. Du ciel à sous nos pieds, c’est la fièvre estivale.

      Pour nous repérer nous cherchons l’office de tourisme pour obtenir une carte de la ville. Hormis un kiosque « Tourism information » fermé et couvert de gribouillis, on ne trouve rien. On demande à un hôtel d’extérieur chic mais il faut acheter la carte dans la boutique à souvenir. On passe devant un théâtre, nouveau semble-t-il. Barbara va essayer des shorts dans le dernier bâtiment austro-hongrois de la ville, ce qui nous permet aussi de nous rafraîchir. J’arrive à capter un réseau wifi, avec mes deux derniers pourcentages de batterie j’envoie un message à Bardha. Elle peut nous rejoindre. On s’installe à une terrasse, car il est l’heure de manger, pour l’attendre. Je suis si heureux, la fatigue se dissipe. Là voilà qui arrive, avec son sourire si amical : « Je n’en reviens pas, vous l’avez fait ! Vous êtes arrivés à Pristina ! ». Instantanément nous nous tombons dans les bras, notre accolade est presque familiale, comme si Bardha était pour moi une cousine lointaine. Et surprise, elle parle superbement bien français. Elle maîtrise si bien la langue de molière que nous échangeons presque exclusivement de cette manière.

      Nous parlons de tout un tas de sujet. Forcément on pose des questions sur le pays, elle est étonnée de la coupure de courant de la gare, qui normalement n’arrive plus (le soir, Pristina sera sans courant aussi). Elle nous apprend que le régime de Tito n’a pas était trop favorable au Kosovo. Car à ce moment là, le Kosovo était sur le territoire serbe, ces derniers les considérant comme citoyens de « 2nd catégorie » ne leur faisaient pas bénéficier des avantages de la Yougoslavie. Cela a été une des raisons pour laquelle le Kosovo a voulu son indépendance. L’autre raison importante est que le pays est composé à plus de 90% de l’ethnie albanaise (d’ou les nombreux drapeaux). Ce qui explique leurs différences culturelles avec la Serbie. Aujourd’hui, si le voisin serbe ne reconnaît pas encore officiellement le Kosovo, les dirigeants des deux pays se rapprochent positivement. Seuls des serbes restés dans la ville de Kosovska Mitrovica (dans le nord) continuent d’agir dans le but d’envenimer les relations (exemple le scandale du bus avec l’inscription Ici c’est la Serbie fin 2016). Par ailleurs, elle nous explique qu’à la fin du conflit en 1999, il coûtait trop cher et était trop compliqué pour le Kosovo de mettre en place une monnaie, ils ont en conséquence adopté l’euro en même temps que nous (ça nous ne l’avions pas appris sur les bancs de l’école). Le temps passe et Bardha doit déjà repartir travailler. Elle s’en excuse, mais nous nous ne lui en voulons pas et sommes grandement reconnaissants d’avoir pris autant de temps pour nous. Je suis si heureux que nous ayons pu nous revoir, cela remplit le cœur de forces pour la suite. Nous dormirons la prochaine fois que nous reviendrons. Merci de ta gentillesse et des réponses à nos questions, le Kosovo a de la chance de te compter dans ses rangs tant tu es engagée à faire évoluer les choses.

       Nous visitons la ville malgré la chaleur qui nous écrase. Nous voyons l’Université, au sein de laquelle une église orthodoxe inachevée trône au milieu d’herbes hautes. Aussi, la bibliothèque qui selon Bardha a été élue par des architectes comme le monument le plus moche du monde. Certes ce n’est pas hyper élégant, mais ce n’est pas non plus à s’arracher les globes oculaires. L’église Sainte-Thérésa est entourée d’échafaudages. Nous ne faisons pas le musée ethnographiques faute de temps et de la fatigue. Sur notre chemin, nous traversons un petit quartier aux maisons plus basses plus mignon. Avec le soleil qui ne nous lâche pas, on se met en quête de nouveaux couvre-chefs. On trouve, Barbara un nouveau chapeau, pour ma part un béret. Nos têtes à nouveau protégées, nous filons à la gare prendre l’avant dernier bus sur le conseil de Bardha. Cette fois on ne se fait pas arnaquer, c’est 2euros50. Une mini statut de la liberté semble nous dire à la prochaine.

     A la gare routière, nous récupérons nos sacs, achetons nos billets pour Skopje (capitale de la Macédoine) et attendons. 16H45 on se présente sur le quai, c’est un mini bus déjà plus que rempli. Barbara prend place sur un strapontin qui se replie à chaque coup de frein, moi je me glisse sur la dernière place étroite entre une famille de quatre kosovars (maman avec la fille et papa avec le fiston) et un macédonien. Nous partons avec un peu d’avance. Grâce à la couverture de mon carnet de bord (génialement bien pensé par mes deux petites sœurs Elodie et Jessica), dans lequel je relate le voyage, je montre à mes quatre voisins serrés ma famille en France. C’est quelque chose que j’aime bien faire. Dans ces moments là, pas besoin d’autres mots que nos sourires complices. Gagné par la chaleur, le jeune garçon s’endort dans les bras de son père qui lui s’endort sur mon bras. Chaleur et promiscuité. J’entame alors en anglais la conversation avec mon voisin macédonien d’une cinquantaine d’années. Il me relate les difficultés du pays, pour la jeunesse et le temps regretté de la Yougoslavie de Tito. On parle aussi de la folie du projet « Skopje 2014 ». Des premières impressions avant de traverser notre 3ème frontière du jour, notre quatrième pays en moins de 24h.

ps: merci à Monique pour la relecture 🙂