Fractus V – Sidi Larbi Cherkaoui

FRACTUS V

de Sidi Larbi Cherkaoui

Le 17 juin 2017, nous avons été voir le spectacle Fractus V, chorégraphié par Sidi Larbi Cherkaoui, à la Maison de la Danse à Lyon.

             Sidi Larbi Cherkaoui a écrit ce spectacle en se questionnant sur la faculté de jugement du citoyen (car noyé dans la densité d’informations et de médias qui l’entourent). Le chorégraphe s’appuie sur le livre de Noam Chomski : La fabrique du Consentement . Dans son programme, il s’interroge sur « l’opposition entre la propagande (médiatique) et une approche plus objective des faits » et « dans quelle mesure notre réflexion est-elle encore neutre ». Autrement dit comment le citoyen parvient-il à mener une réflexion de la société dans laquelle il vit, à s’accepter en tant qu’individu singulier dans cette marée sociale et collective ?

          Une grande qualité des spectacles de Sidi Larbi Cherkaoui est la qualité des mouvements dansés. Dans ce spectacle, les questionnements énoncés passent par le corps des danseurs. Au début du spectacle les interprètes en demi-cercle chantent à capela, au milieu un danseur recule difficilement, alternant mouvements de spasmes et de presque chutes. Une fois rejoint le groupe, ils vont s’asseoir au fond de scène. Une métaphore de l’accaparement (la destruction?) de la singularité au nom du groupe. Suivent des chorégraphies d’ensemble, jouant sur la dualité du groupe face à l’un, de la dualité des danses (flamenco contre hip-hop) témoignant de l’aliénation de l’individu par le nombre. Et inversement, le groupe perturbé par un. Les chorégraphies se contaminent entre les corps, les gestes se suivent. Quelques gestes résistent, se différencient. Le corps comme résistance tout au long du spectacle.

          Exemple cette scène où un homme « sur-puissant » domine tous les autres qui l’assaillent. La scène est dansée au ralenti, les sons en musique directe. Tous les assauts échouent malgré les attaques du nombre, qui revient encore et encore. Les attaques sont repoussées d’une facilité déconcertante. Cette fois la dualité est inversé, le pouvoir (reconnaissable à son costume) seul ne rompt pas face à la multitude luttant.

        Les mouvements sont d’une très grande fluidité (marque de fabrique du chorégraphe). Comme si les gestes des danseurs coulaient, glissaient et s’enchaînaient sans fin. Il y a aussi plusieurs passages assez fascinant, où, les danseurs utilisent leurs bras pour créer ensemble des rythmes et même des visages. Que ce soit au niveau des « formes géométriques » corporelles, de la dualité entre groupe et individu, les chorégraphies et les danseurs sont d’une très grande virtuosité.

            La scénographie bien que minimaliste est d’une grande finesse et très poétique. C’est notamment une des qualités de Sidi Larbi Cherkaoui, sa capacité à métamorphoser l’espace scénique avec peu de choses, par le mouvement de blocs, de formes, de lumières, à créer de la poésie par les pleins et vides en mouvements. La scénographie joue un rôle moteur, influence l’espace et le comportement. Dans Fractus V, la scène est composée de deux plateaux en longueur de chaque coté du centre, sur lesquels se trouvent les différents instruments de musique. Au fond, neuf chaises, une pour chacun des interprètes. La deuxième image du spectacle, où ils sont tous assis dans le fond sur les chaises et la dernière image du spectacle sont les mêmes. Au centre, un ensemble de triangle blancs de différentes tailles sont posés au sol. Ils forment un grand espace qui tranche avec les côtés et le lointain sombres. En outre, ils font grâce à la lumière des clairs/obscurs sur les interprètes.

           Les danseurs créent et défont de nouveaux espaces de danse tout au long du spectacle, en déplaçant les triangles. Comme ce 8 dessiné au sol sur lequel tournent en boucle les danseurs. Ou ce grand espace qu’ils réduisent progressivement alors que danse « librement » un danseur jusqu’au dernier petit triangle.Ou même crée des formes géométriques en hauteur. Comme les gestes, les déplacements des triangles sont effectués avec fluidité, sont chorégraphié pour amené une nouvelle séquence de danse.

           La musique est aussi une composante essentielle du spectacle, à plusieurs niveaux. Premièrement il y a la présence de chanteurs et musiciens, qui accompagnent le rythme du spectacle. Alternant avec chants à capella, musique ou silence pour laisser entendre les corps des danseurs. Ainsi que leurs souffles. Les danseurs d’ailleurs font même des percussions corporelles (se frappent le corps en des endroits différents pour obtenir différents son). Les musiciens ont un rôle prépondérant tout au long du spectacle.

         Le seul petit bémol que nous avons tous les 2 trouvé, c’est que la répétition de danses plutôt similaires qui nous perd au fur et à mesure du spectacle. Notamment nous perdons petit petit le propos du spectacle et le lien avec La fabrique du consentement. Mais Fractus V est un spectacle de très grande qualité et d’une poésie singulière.

Si vous souhaitez, voici un interview du chorégraphe :

http://www.telerama.fr/sortir/sidi-larbi-cherkaoui-je-suis-arabe-blanc-homosexuel-et-vegetalien-quoi-que-je-fasse-c-est-politique,158939.php

Pour plus d’approfondissement, nous vous conseillons de lire le livre “La fabrique du consentement” de Noam Chomski. Souvent décrit comme un livre d’auto-défense intellectuelle.

P.s : Les photographies du spectacle ne sont pas de nous.

Source : http://www.east-man.be/fr/14/72/Fractus-V