Myanmar – 2ème partie

Du 15/05/2018 au 26/05/2018 Myanmar (anciennement Birmanie) : Trek de Kalaw au Lac Inle – Rangoon – Hpa-An

Sur les pas des myanmarais-es

             Le Myanmar nous a demandé un petit temps d’adaptation, mais très vite nous nous sommes accoutumés aux sourires et au rythme local. Les décorations des temples sont des attraits permanents, Bagan restera parmi les plus beaux jours du voyage. De retour à Mandalay, nous prenons cette fois la direction sud du pays.

              Aujourd’hui 15 mai 2018, c’est jour de poste. Chaque pays a sa réglementation, chaque fois c’est un nouveau jeu du « Ok / Not ok ». Le bureau de poste de Mandalay est assurément le plus atypique dans lequel nous soyons rentrés. Dans la grande pièce bleue défraîchie où se promène notre regard en attendant notre tour, un seul ordinateur avec un vieil écran cathodique. Tout le reste des opérations s’effectuent à la main, avec registres et papiers. Comme chaque fois, malgré nos efforts d’emballage, nous devons tout défaire pour que le contenu soit contrôlé. Nous sommes contraints de conserver plusieurs souvenirs, comme les cahiers d’exercices de calligraphie chinoise considérés comme documents. Nous y passons une heure. Le soir, une dernière fois nous savourons cette assiette aux quatre saveurs dont nous ne nous lassons pas. De plus, le lendemain (le 16 mai 2018), cela fera un an que nous sommes partis. Le temps passe tellement vite. Nous en profitons pour fêter l’événement en trinquant avec des bières méritées. Barbara s’offre même un cocktail de fruits frais. Il est délicieux ! Nous disons au revoir à la famille qui nous reconnaissait maintenant, avec leurs sourires nous ponctuons affectueusement la page de Mandalay.

            La marche et la nature nous manquent paradoxalement. Notre voyage nous amène souvent de ville en ville, rarement vers des villages. Au centre du Myanmar, il y a un trek reconnu de trois jours qui part de Kalaw et rejoint le lac Inle. Nous nous laissons tenter en souhaitant qu’il ne soit pas trop touristique non plus. Pour rejoindre Kalaw, afin d’être en forme pour les trois jours de marche qui nous attendent, nous nous sommes permis un bus un peu plus haut de gamme (il y a des écrans personnels et même une hôtesse). Arrivés, nous partons poser nos sacs là où nous dormirons le soir, puis revenons au centre de Kalaw pour chercher une agence (comme beaucoup, nous choisissons Jungle King qui nous fait une meilleure impression). Ensuite nous flânons, un stupa brillent de mille éclats reflétant la lumière solaire. Elle est ornée de mosaïque géométrique en miroir. Cela nous rappelle l’intérieur des palais iraniens. Des jeunes nous demandent de photographier leur bonhomie. Il y a le marché, où les poissons crus et les viandes fraîches attendent leurs acquéreurs à l’air libre, pour le grand plaisir des mouches gourmandes. Nous achetons quelques fruits et des nouilles instantanées pour le soir, décidément un plat qui nous suit. Comme le sac peut être acheminé séparément à l’arrivée, que les repas et couchages sont pris en charges, nous préparons un sac plus léger pour les 3 jours. Randonner nous a manqué, nous sommes impatients.

          Après le petit-déjeuner, nous rejoignons l’agence où nous quittons nos sacs. Nous rencontrons Julie qui sera la guide, Vanessa et Paul un couple allemand avec qui nous cheminerons. Avec ses deux ronds de tanaka sur les pommettes, son sourire amicale, nous sentons que Julie sera une guide avec qui nous allons pouvoir échanger. Pour l’anecdote, nous constatons qu’elle est la première femme que nous croisons qui ne porte pas de longyi mais un pantalon. Elle a une tenue orange pastel. Nous voilà en chemin, traversant l’ancienne voie de chemin de fer pour sortir de la ville. Une terre orangée se déroule sous nos pieds, contrastant fortement avec l’intensité verdoyante de la végétation. Cela grimpe rapidement par un petit chemin qui aboutit à une route terreuse plus large. Les premières discussions se font, nous apprenons que nos compagnons allemands sont en « pause » de 3 mois en Asie (en attendant de commencer des nouveaux postes).

             Avec Julie, Aurélien essaie de poser des questions sur la situation des Rohingyas. Elle nous dit qu’elle n’a pas de réponses à nous donner, qu’elle ne comprend pas nos questions. Le sujet est évidemment très sensible, il est préférable de la laisser nous en parler si elle le ressent. Alors, nous parlons de la France, de ses problèmes sociétaux et religieux. Elle nous demande si nous sommes croyants, elle nous explique qu’il y a 80% de bouddhistes dans le pays, à peu près 20% d’hindouistes (dont elle fait partie). Le reste sont des chrétiens et musulmans. La discussion s’interrompt car elle aperçoit une fleur au très beau rose, très charnue. Elle l’appelle « malapu »( après le voyage, nos recherches nous ont permis de découvrir qu’il s’agit de la fleur du Curcuma Longa), elle la cueille en nous disant que nous en mangerons ce soir au dîner. Nous sommes impatients de goûter ces belles couleurs. Après ce bel intermède floral, notre conversation reprend. Julie nous apprend que le pays comporte plus d’une centaine d’ethnies avec de nombreuses langues différentes (ainsi que les alphabets). C’est une richesse incroyable mais qui implique un certain manque d’unité entre les ethnies et les territoires, qui ne sont pas toujours au fait de ce qui déroule au niveau national. A ce propos, nous n’arrivons pas à savoir s’il y a une langue nationale.

           Autour de nous, les paysages sont magnifiques. Rarement nous avons marché au milieu de telles couleurs. Quelquefois nous débouchons sur des panoramas qui s’ouvrent vers le lointain où s’étendent les rizières. Alors le vert emplit l’espace des vallées. En chemin, nous croisons des troupeaux de buffles menés par des femmes. Nos « Mengalabar » (bonjour), déclenchent un petit sourire qui répond à notre salutation. Les grands chapeaux et les manches longues sont la meilleure protection adoptée contre le soleil par les locaux, que nous adoptons également à l’exception de nos couvre-chefs moins larges. Onze heures, c’est le déjeuner. Au menu nouilles aux légumes. Le lieu est un petit baraquement, les tables ont les pieds inégaux, les assises sont des bancs de bambous bidouillés. A quelques tables, une vielle myanmaraise la tête accoudée sur son avant-bras ridée fume le cigare. Chaque volute est une hypnose envoûtante qui éloigne le tumulte de la journée. Elle semble un tableau vivant. La finesse des plissements de sa peau maintes fois dorées par le soleil contraste avec les aspérités du mur de parpaings derrière elle. Elle a le visage émacié dont la douceur des traits témoigne de la bienveillance. Nous partagerions volontiers une tasse de thé à écouter son récit de vie, à laisser les sonorités langagières nous imprégner son parcours.

               Il nous faut attendre 14h car un autre groupe bien plus nombreux arrive guidé par un homme. Julie doit aider pour le déjeuner. Est-ce que la raison est parce qu’elle est une femme ou qu’ils sont nombreux ? Impossible d’être certain. Ce temps nous permet de mieux faire connaissance avec Vanessa et Paul, avec qui nous retrouvons des valeurs européennes. Puis, nous reprenons notre randonnée. Parfois rythmée par la discussion, parfois dans la légèreté du silence. Julie poursuit la cueillette de la fleur malapu, qui ne cesse d’intriguer nos papilles curieuses. Doucement, le chemin continue de monter. Nous traversons des champs de gingembre, de piment, de riz rouge des montagnes. Dans les villages, les maisons sont montées sur pilotis (est-ce à cause des inondations ?). Souvent les murs, mélanges de bois et de feuilles tressées, la toiture en tôle ondulée sont accompagnées de panneaux solaires. Il y a également des maisons en dur. Il y a les outils en bois, comme les charrettes qui attendent au soleil leur prochain départ. Julie ne salue pas les villageois que nous croisons, peut-être est-ce malpoli de le faire ? Les panoramas ponctuent notre cheminement, les rizières paraissent des écailles irrégulières de carapaces de tortues géantes végétales. De notre hauteur, les buffles dans les champs ne sont plus que de petits points qui mouchettent la verdure resplendissante de soleil. Les stupas s’élèvent ci et là marquant ainsi les hameaux.

              Vers les 17h, nous arrivons dans un village. Il y a une publicité pour un shampoing alors que l’eau courante ne semble pas disponible dans toutes les habitations. Julie nous conduit vers une maison. La suivant, nous nous déchaussons dans le petit vestibule d’entrée, grimpons un escalier qui mène à l’intérieur. Dans la grande pièce principale, il y a quatre couchages alignés au sol. Nous dormirons ici ce soir. Elle ajoute que le repas à lieu à 18h, puis elle repart sans nous avoir introduit aux propriétaires de la maison. Nous sommes un peu décontenancés, mais dans ces situations il est important de faire confiance. Dans la pièce qui jouxte, d’où s’échappe la fumée d’un brasero, les contours d’un vieux monsieur accroupi se dessinent à contre-jour. La fumée bleutée imprègne l’instant d’une suspension impressionniste. Il surveille le feu sur lequel mijote une petite marmite. Au-dessus, suspendue, une autre attend. Il tourne son visage vers nous, son expression amicale est constellée de sillons de vie. Un grand sourire irrégulier parfait son portrait. Puis il retourne à la cuisine. Alors apparaît debout, dos à nous, une femme. Elle rajoute des ingrédients pendant que lui accentue le feu. Un turban orange vif aux motifs en traits noirs entourent leurs têtes, nouvelle ethnie dont nous ignorons le nom. Nous nous décidons à faire un tour dans le village, où les habitants arborent les mêmes couleurs. Un cigare accompagne la fin de journée de certains d’entre eux. Les visages ont des traits de calligraphies, gracieux, harmonieux, mystérieux.

             En cette fin de journée, pendant que certains terminent leur labeur, d’autres commencent la préparation du dîner. Il y a aussi la douche des plus petits, avec l’eau d’un réservoir en béton. Chaque maison en dispose. Comme eux, nous utiliserons un sceau d’eau pour nous mouiller et nous rincer après nous être savonnés. Les villageois sont peu souriants, c’est que chaque jour ils doivent voir des touristes comme nous. D’ailleurs le second groupe arrive, ils sont très bruyants. L’italienne photographie tout ce qui l’entoure, sans rien demander, frontalement et avec une proximité qui nous dérange. Son comportement nous met mal à l’aise particulièrement, sa manière de se positionner parfois à moins de 50cms des gens sans un mot ou un sourire comme si elle photographiait un objet. Nous préférons profiter des derrières lueurs du jour pour nous laver. Les toilettes sont une cabine au fond du jardin, dans lequel on glisse un sceau d’eau en guise de chasse d’eau manuelle.

            C’est l’heure du repas, le vieux monsieur nous amène une petite table basse autour de laquelle nous nous installons. Chacun a droit a une assiette de riz, il y a du keylan à partager, du concombre, mais le meilleur est la salade de Julie. Elle a mélangé la fleur avec de la cacahuète, c’est succulent. Malgré notre insistance elle ne reste pas manger avec nous, ni le vieux monsieur. Les allemands nous disent qu’en Thaïlande leur guide faisait pareil. En y réfléchissant, nous nous demandons si Julie et nos hébergeurs ne parlent pas la même langue ? Ce qui expliquerait qu’ils ne se parlent pas. Toujours est-il que le repas est délicieux. Nous sommes contents d’être avec Vanessa et Paul avec qui nous nous entendons bien. Ensuite c’est l’heure du brossage de dent, dans un village sans lampadaires, nos frontales aident nos amis allemands. Plongés ainsi dans la nuit noire, le ciel nous offre son incroyable cadeau oublié : un magnifique ciel étoilé. Devant nos yeux ébahis scintillent des innombrables poussières d’étoiles, autres ailleurs insoupçonnés… Le ciel a ce soir une telle profondeur, la voie lactée est chatoyante. Les constellations se dessinent clairement, quelques étoiles filantes s’échappent entre elles. Quel beau spectacle que nos quotidiens citadins nous ont fait oublier. C’est là un présent universel. Nos couchages sont plus que confortables, le sol souple en bambou aidant. L’orage éclate dehors, la pluie ricoche sur la toiture ondulée. L’air se rafraîchit, la nuit peut lentement nous entraîner dans son sommeil.

              Au petit matin, des fruits et une sorte de pain/gâteau accompagne notre petit déjeuner. Le vieil homme veille sur la marmite comme la veille, un verre de thé et un cigare en plus. Sa silhouette en clair-obscur à laquelle se fond les sinuosités dansantes de la fumée refait naître notre fascination. Avant de reprendre la route, Julie applique du tanaka sur les visages de Vanessa et Barbara. Les voilà avec des silhouettes de Mickey jaune ocre sur les joues. Le ciel est bien plus nuageux qu’hier, le soleil sera moins fort. A nouveau nous traversons de nombreux champs dans lesquels les myanmarais paraissent bien peu nombreux en comparaison de la taille des surfaces. Julie nous montre une plante dont les feuilles se rétractent quand on les touche, puis s’ouvrent à nouveau quelques secondes ensuite. Lors d’une pause, elle nous propose de goûter à une feuille Bouddha. Comme nous savons qu’il s’agit de bétel, une drogue douce, nous déclinons. A l’inverse Vanessa et Paul se laissent tenter mais recrachent presque instantanément à cause de l’amertume. De peur que leurs dents restent colorées de rouge, ils se rincent abondamment la bouche (Vanessa est dentiste). Pour Julie, par contre cela semble avoir son petit effet positif à voir son petit sourire détendu. Notre cheminement se passent dans la bonne humeur, la vie dans les villages bat sa pulsation quotidienne.

 

               Pendant la pause déjeuner, le ciel se déchire dans un orage soudain. La pluie tombe à flot. Autant dire que nous prenons le temps pour déguster l’omelette qui accompagne nos nouilles aux légumes bien à l’abri de la pluie. Le soleil réapparaît et avec lui le rythme de la vie. Après avoir traversé des ponts en bambous, nous rejoignons un cours d’eau dans lequel une famille baigne ses buffles. Nous en profitons pour faire trempette. Il y a de nombreuses libellules. Leurs couleurs brillantes vertes et bleues égayent les abords terreux. Nous reprenons le chemin, Julie nous en apprend plus sur le Myanmar. Le pays est encore très rural comme nous le constatons. Il est également peu « moderne » avec ses nombreuses charrettes de trait en bois. Les buffles sont essentiels dans la vie myanmaraise, ils sont considérés comme « des sœurs et des frères », des êtres à part entière. Souvent, les enfants jouent à l’ombre des arbres côtoyant les champs. Pendant ce temps, les parents pieds nus, travaillent la terre sous le soleil écrasant, mettant en exergue l’étonnant rouge qui colore parfois le sol (sûrement que la terre est ferreuse). Au loin, le monastère où nous dormirons ce soir, quelques deux heures de marche nous en sépare. Julie nous demande alors si nous aimons le football, car les enfants y jouent tous les soirs. En route, dans un champ, des jeunes adolescents construisent les paniers que les adultes endossent ensuite dans les champs pour les récoltes. Nous voudrions poser des questions, mais Julie ne connaît pas leurs dialectes.

           Après une longue montée, des cris se font entendre. Ce sont les jeunes moines qui jouent au foot dans la cour du monastère. Tous crânes rasés, de rouge ou d’orange drapés, ils courent pieds nus après le ballon. Nous dormirons dans la salle de prière, un drap séparant nos couchages de l’espace commun. Après un brin de toilette, nous allons à la petite épicerie acheter une bière. Nous nous asseyons sur un banc à l’extérieur du monastère avec Paul et Vanessa pour partager nos bières et papoter. Le repas du soir est une nouvelle fois un délice. Un peu plus tard nous finissons par nous mêler à l’autre groupe de randonneurs, décidément très sonore. Leur guide est à leur image, en plus celui-ci nous propose d’aller voir une cascade avec supplément (car il faudra payer ensuite le bus jusqu’à notre destination). Les allemands hésitent, mais en parlant avec eux, nous nous mettons d’accord pour poursuivre à pied à travers champs et profiter de la vie rurale.

           Le chant des apprentis moines nous réveillent à 5h du matin précisément. Après le petit-déjeuner, c’est une route ascendante que nous empruntons. Une chienne se joint à notre groupe. Elle est adorable. Julie nous dit que souvent elle l’a rejoint quand elle fait ce chemin. Elle nous apprend qu’il est interdit à un moine de se droguer, fumer, boire de l’alcool, toucher une fille. D’ailleurs Julie ne boit pas d’alcool non plus, juste une bière en fin de journée rectifie-t-elle. Elle nous interroge sur nos pratiques vis-à-vis de ces consommations. Elle nous dit que la région est officieusement productrice de marijuana et d’opium, qu’il serait très facile de s’en procurer à Kalaw. A ce sujet, le Myanmar serait le deuxième producteur mondial d’opium (notamment la région nord fermée au tourisme) créant de nombreux problèmes d’addictions. Constatant que notre conversation est plus poussée que les jours précédent, nous lui demandons ce que pensent les myanmarais d’Aung San Suu Kyi. Elle ne l’aime pas car elle « est pour les islamistes ». Poursuivant, elle nous dit qu’elle n’aime pas les Rohingyas car elle les trouve barbares. Respectant son point de vue, nous l’invitons à continuer. Elle répond qu’en plus de manger des vaches, animal sacré considéré comme « sœurs et frères » par les bouddhistes, chaque année les Rohingyas organiseraient une fête où ils tuent de nombreuses vaches de façon hallal. Peut-être parle-t-elle de l’Aïd-el-Fitr (la rupture du jeune après le Ramadan). Son dégoût est lisible sur son visage. Elle rajoute que pour les bouddhistes qui sont végétariens (ou quasiment pour certains), il ne faut pas faire de mal aux animaux. La chienne qui nous accompagne n’a cure de tels problèmes. Son bonheur aujourd’hui est de gambader avec nous, se coucher à nos pieds pendant nos pauses à l’ombre.

           Le soleil est très dur pendant cette journée, il fait extrêmement chaud mais la marche est merveilleuse. Les paysages sont extraordinaires. La terre devient de plus en plus rouge au fur et à mesure de notre progression, nous traversons même une sorte de canyon. Julie a choisi de nous faire passer par cet itinéraire rarement emprunté par les groupes. C’est son préféré. Il coupe à travers champs et passe dans des endroits désertiques magnifiques. Les couleurs sont absolument incroyables. Un mélange étonnant de teintes vermeilles, rouge, ocre. Une terre de feu.

           Plus loin, à l’ombre des arbres, nous faisons une pause à côté de quatre femmes Pa-O. Nous cherchons un endroit pour donner à boire à la chienne. Elle aussi doit avoir soif. Aurélien verse de l’eau dans un creux pierreux pour quelle puisse boire. Gourmande, celle-ci lape directement à la bouteille l’eau qui s’écoule ce qui entraîne le rire de tous. Il essaie ensuite de demander aux femmes si la sangle du panier s’appuie sur leurs têtes ou autour de leur épaule. Amusées par notre curiosité, elles nous montre leurs cueillettes du jour. Puis Aurélien demande à Julie si elles acceptent qu’il les prenne en photo. Julie dit ok sans demander, il insiste pour avoir leur autorisation. Julie traduit la requête aux quatre femmes. Certaines rigolent, Julie nous traduit qu’elles ne sont pas « apprêtées ». Elles n’ont pas de tanaka sur le visage. Une semble réticente, mais se laisse convaincre par les autres. Les sourires disparaissent pour prendre des poses avec des mines sérieuses, exceptées la vieille dame au cigare.

           Nous repartons, les terres vermeilles se transforment en rizières verdoyantes. Les pieds des semis de riz trempent dans l’eau, les champs sont séparés par des canaux où des buffles se rafraîchissent. Nous arrivons sur les abords du lac Inle, ce qui signifie que nous approchons déjà du terme du trek. Nous sommes très heureux d’avoir choisi de faire ce trek, c’est un des meilleurs souvenirs de notre périple. C’est le cœur gros que nous remercions Julie qui aura été une super guide.

           Après un nouveau déjeuner très bon, il est temps d’embarquer. A la file indienne, nous prenons place dans une barque longiligne légèrement concave. A l’arrière, le pilote démarre le moteur depuis lequel il barre. Sur cet étroit ru au reflet limoneux, nous avançons à faible allure, passant quelquefois sous de frêles ponts en bambous. Puis, les rives s’élargissent et deviennent de foisonnant parterres de verdures. Nous voilà au milieu de cultures hydroponiques qui bordent le lac Inle. Ce sont des potagers baignés par l’eau du lac. L’illusion est telle que nous croirions qu’ils flottent. Dans leurs belles robes violettes, quelques aubergines échappées dérivent ci et là. Les maraîchers s’affairent à travailler les cultures, chargent leurs barques de récoltes ou de mauvaises herbes. Le long des rives, des baraquements s’élèvent, certainement des greniers d’entreposages. Au loin des montagnes se dessinent dans les traits flous du lointain. Ce cheminement sur l’eau nous éblouit par son originalité. Paisiblement, des volatiles perchés sur des bambous observent la vie qui s’écoule. En débouchant sur le lac, nous mesurons l’étendue du lac et son importance. La pétarade du moteur bat alors son plein, nous prenons de la vitesse. Les locaux ont tous d’immenses chapeaux pour parer au soleil qui irradie la journée. Les barques sont le moyen de transport local, pour nous des instantanées d’altérités. Il y a les bus fluviaux colorés de beaux vêtements de différentes ethnies (quand les personnes ne se couvrent pas de parapluie à cause des éclaboussures de l’eau), les barques familiales avec des sacs qui cachent le mystère de leurs contenus, il y a la barque de travail avec des monticules d’herbes. Sans omettre les nombreux pêcheurs qui remontent leurs filets, mais les oiseaux qui rasent le fil de l’eau semblent plus heureux dans l’exercice. Pour l’exotisme capitaliste, tenus par deux bambous au milieu de l’eau, il y a une affiche publicitaire de la bière nationale.

            Des bâtiments au loin se dessinent, nous approchons du port d’arrivée. En remettant le pied à terre, nous récupérons nos sacs à dos et filons à l’hôtel où nous dormirons deux nuits. Des petits tracas (fenêtres cassées, ménage oublié…) nous oblige à changer de chambrée. Après trois jours de trek, nous en profitons pour nettoyer nos affaires et nous reposer. Aussi pour travailler sur notre voyage. Il y a une piscine, Barbara en profite pour s’y rafraîchir. Le soir nous allons chercher à manger dans le centre de la ville, accompagné d’une succulente mangue. La fin du jour décline, des petits lézards blancs tachettent les murs. Leurs petits cris aigus sont le chant des cigales de notre soirée.

              Le lendemain nous en profitons pour nous ressourcer. Le soir nous retrouvons Vanessa et Paul dans un très bon restaurant indien, où le patron nous fait étalage de son amour pour le rap américain. Ces deux journées nous font le plus grand bien, nous avons fait le plein de mangues à chaque repas, nos affaires sont propres, nous voilà prêts pour le bus nocturne en direction de Rangoon. Malgré tous les kilomètres depuis notre départ de Lyon, tous les types de surfaces carrossables empruntées, ce soir là la route cabossée de montagne ne cesse de jouer des hauts de cœur à Aurélien. A l’inverse Barbara garde un bon souvenir de ce trajet où deux repas étaient inclus. C’est là aussi le charme du voyage, l’expérience de la longueur du temps en circonstances inhabituelles. C’est vers 6h du matin et quelques heures de sommeil manquantes que nous arrivons à l’ancienne capitale du pays. Depuis une gare routière extérieure, il nous faut prendre un autre mini-bus pour rejoindre l’auberge de jeunesse au centre. Dans les premières clartés du jour, les nombreux immeubles, ses routes goudronnées, la population très éclectiques qui enluminent les rues décrépites témoignent de l’importance de Rangoon. La ville frissonne de vie à une heure pourtant si hâtive. A la sortie du mini-bus, in medias res la moiteur de la ville drape nos corps. Notre auberge est située entre le quartier indien et chinois que nous voyons se mettre en place. De même, nos nez sont assaillis de senteurs plurielles inévitables. C’est un mélange de déchets qui dorment au soleil depuis trop de jours sous leurs sacs plastiques avec des odeurs d’épices exotiques enivrantes, le tout alourdit par la pollution et l’humidité. Puisqu’il nous faut payer un supplément pour accéder à la chambre prête, nous petit-déjeunons des nouilles instantanées (toutes les circonstances sont bonnes). Un groupe de la langue de Cervantes arrive une demi-heure après nous, eux peuvent accéder à la chambre sans frais. Nous ne comprenons pas, encore moins quand nous est présentée la « chambre », ou le placard profond attenant à la pièce commune dans lequel est disposé un matelas. Finalement un autre employé vient pour nous dire que notre chambre serait bloquée par des chinois… Avec la fatigue, nous aurions vraiment préféré une bonne chambre calme, propre et confortable… Nous préférons laisser nos sacs et sortir dans la ville.

         Les corps fatigués par le trajet nocturne, Rangoon est elle pleinement réveillée cette fois. Les rues sont des concerts discordants des cris des vendeurs ambulants, des négoces de rues qui s’étalent là où il y a de place, des pétarades des moteurs, de la vie qui fourmillent de vies de milliers horizons. La chaleur prend ses aises sur tous les corps, mêmes les murs semblent suffoqués de ce trop-plein. Dans ces conditions les parapluies sont un allié de choix contre la pluie diluvienne des rayons solaires. Rangoon est clairement un carrefour des cultures asiatiques, les visages viennent de différents lieux dont nous ignorons tout. De loin, nous apercevons le Karaweik et sa réplique d’une barge royale reposant sur deux sculptures de canards dorés. La chaleur a raison de Barbara qui préfère retourner à l’auberge où elle part se reposer. Sur les trottoirs gris, il y a les tâches rouges des crachats de bétels. Avec la fatigue Aurélien s’égare, mais la flânerie hasardeuse est toujours prometteuse. De nombreuses mosquées s’élèvent, d’ailleurs parmi les visages, nous avons reconnus de nombreux musulmans dans les rues (hommes et femmes reconnaissables à leurs coiffes). Rangoon est un concentré du Myanmar, de son étonnante diversité ethnique.

            Finalement, Aurélien arrive au temple Ngahtatgyi. Après avoir enlevé ses chaussures, il arpente le temple. Il n’y a pas grand monde, quelques croyants qui prient et font leurs offrandes. Devant eux, le grand bouddha assis, la peau nacrée d’une douce blancheur, coiffé et vêtu d’or ciselé. Malgré tous les échafaudages le bariolant, le Bouddha est très beau à observer. Les boiseries l’entourant sont merveilleusement ouvragées. Derrière le divin, il y a également une peinture qui se joint à des sculptures physiques. Un homme maigre et âgé lit consciencieusement. L’endroit est une oasis de calme et fraîcheur dans la bouillonnante Rangoon, une halte où le silence est le secret présent. Alors, c’est un peu surpris quand plus tard, en ressortant que des chiens errants aboient avec véhémence Aurélien. La ville aspire l’énergie de tous, épuise les souffles de vie. Dans cette jungle urbaine, tout le monde essaie de survivre, êtres humains comme animaux. Car pour certain-e, survivre apparaît déjà comme une victoire quotidienne. Cela se voit aisément aux rares sourires, à la dureté des regards. Tous les autres chiens errants croisés dans le pays étaient amicaux ou désintéressés, là les aboiements trahissent la détresse. Comme partout, il suffit de se tenir bien droit, d’élever la voix avec des gestes strictes du bras bien tendus. Dans la jungle, bêtement le plus fort est souvent celui qui a le plus gros aboiement.

             Plus loin la pagode Chaukhtatgyi apparaît sous la forme d’un grand bâtiment. Croyant être à la bonne entrée, Aurélien passe par le côté arrière où résident les moines. Plusieurs têtes de jeunes se lèvent. Sur le point de faire demi-tour, un vieux moine assis récitant une prière incline sa tête pour lui confirmer qu’il peut emprunter l’escalier, qu’il est sur le bon chemin. En haut, un bouddha allongé est là. Les couleurs et les dessins de ses plantes de pieds sont superbes, rappelant les peintures de sables achetées à Bagan. Un homme suit Aurélien dans sa découverte du Bouddha. Celui-ci brise le silence dans un très bon anglais. Il a 45ans, ni femme ni enfants car à 60ans il aimerait devenir moine. Pour l’instant il ne peut pas car il n’arrive pas à céder à la tentation de manger l’après-midi. S’il est là, c’est aussi parce qu’il prend soin de son oncle, le moine doyen du monastère qui a 91ans, qui a souvent des problèmes de santé. Il propose à Aurélien de le rencontrer. Réticent pour le comportement indécent de nombreux moines, suspicieux du comportement de l’homme, Aurélien accepte malgré tout car il ne s’agit de ne pas juger hâtivement. D’autant que c’est une belle occasion de rencontrer un homme qui a consacré sa vie à une religion.

             Le neveu du vieil homme explique que le monastère abrite 300 moines, que le bâtiment a été récupéré à l’Indépendance du Myanmar. Entrant dans une salle qui semble un cabinet de curiosités désordonné, l’homme explique qu’il s’agit d’objets récupérés des anglais. Il y a aussi des petits pots avec de l’eau pour qui veut puisse boire. Puis, il introduit Aurélien dans la petite chambre du moine. Assis dans une position pareille à Bouddha, il est loin de paraître son âge avancé. Il ne dit pas grand-chose, le neveu dit (plutôt insiste) à Aurélien qu’il peut le prendre en photo. Il ajoute qu’il peut le bénir. Sans avoir le temps de l’interrompre pour lui expliquer son refus, l’homme agenouille Aurélien avec lui l’enjoignant de répéter un psaume (quelques choses comme « Iiii-ssaa-dou »). Au tour du vieux moine d’apposer sa main droite sur la tête d’Aurélien en récitant à demi-murmure une prière. La situation est très incongrue. Quand le moine termine, le neveu attache un bracelet orange fluo autour du poignet d’Aurélien en garantissant que maintenant il le pouvoir de son oncle, sa bénédiction, sa protection pour lui et sa famille, son commerce…

           Malgré le malaise de la situation, Aurélien remercie le monsieur. Le neveu ré-insiste pour une photo tous ensemble. Pour le clou de la scène, en expliquant les nombreux allers et retours à l’hôpital, le neveu ouvre un livre de prière en demandant à Aurélien de faire un don. Outre l’aspect indécent d’un billet dans un livre sacré, Aurélien refuse, déçu car il soupçonnait que cela arriverait, mais avait laissé le bénéfice du doute. Mais une idée lui vient, puisqu’il s’agit d’un don, il se ravise et dépose un billet de 200kyats (le plus faible est 100 et le plus fort 10000, avec environs 1000 nous mangions) pour tester si un don quelque soit sa valeur est accepté pour sa valeur de geste de foi, et non pas pour sa valeur économique. Réaction du neveu, ce n’est pas suffisant, le voilà qui essaie de mettre sa main dans le portefeuille d’Aurélien. La limite est franchie, Aurélien rétorque qu’il n’a jamais demandé une telle bénédiction, expose sa non-foi en aucune religion. Son don sera de 200 uniquement par respect pour les autres croyants qui font des dons. Après quelques échanges, Aurélien se lève pour partir. Le vieux moine referme le livre de prière avec le billet pour le bénir.

           Sortant du monastère, le neveu insatisfait poursuit Aurélien. « Quoi encore ? », « Évidemment j’attends un don pour moi aussi ». C’est un comble de la situation, dans la jungle les serpents s’enroulent à leur proie. Alors sans méchanceté car comment en vouloir à cet homme qu’Aurélien ne connaît pas, mais d’une voix autoritaire « Écoutez, j’ai donné à votre oncle. Cela s’arrête là. ». L’homme s’apprête à répondre, mais de la même voix calme et sévère, main sur l’épaule, Aurélien lui coupe la parole « Vous savez, je suis persuadé que vous serez un excellent moine. Merci pour la visite et au revoir. ». La relation entre l’argent et le bouddhisme est définitivement difficile à éprouver, à accepter exposée de manière aussi frontale. Sur le retour, il y a l’immense pagode dorée Nanung Taw Gyi. Avec les sentiments mélangés, il y a l’hésitation à la visiter. Sur l’escalier de son entrée, de jeunes moines jouent sur leurs smartphones. A quoi jouent-ils ? Quelles vidéos regardent-ils ? Piochant dans leurs sacs d’offrandes différentes gourmandises, ils rigolent bruyamment entre deux bouchées. En face d’eux, à quelques marches, devant le portail d’entrée, des enfants d’une dizaine d’années essaient de vendre des sacs plastiques aux visiteurs (pour y mettre leurs chaussures pendant la visite). Les croyants les ignorent sans un égard, les mains pleines d’offrandes nourricières qu’ils déposeront au pieds des statues dans le temple. Ce sont ces situations sans nuances, où les mondes se font face avec toute la violence nue et brutale. Les contrastes crus de l’incohérence humaine. Les moines ne sont pas sensés manger l’après-midi (ni fumer pour en avoir vu aussi), mais qui être pour juger de telles situations encore une fois ? Il est temps de rentrer se coucher dans notre placard-lit. Rangoon, première journée incomprise.

           Le 23 mai au matin, Aurélien part chercher nos billets de bus pour le lendemain. C’est presque une heure de marche après qu’il arrive ruisselant de sueur écumer les comptoirs. Pendant ce temps le propriétaire s’excuse que nous n’ayons pas dormi dans le dortoir où nous étions sensés dormir et de l’oubli du petit-déjeuner du matin. Pour l’après-midi, nous décidons de visiter le musée National. Nous y découvrons l’incroyable richesse ethnique du Myanmar. Il y a de nombreux habits (même la tenue de Julie), des objets d’arts comme de très belles marionnettes, de beaux portraits photographiés. C’est une visite à la fois instructive et incitative à la rêverie. Comme ce portrait de femme au visage entièrement tatoué.

          Sur le retour, nous nous imprégnions de l’ambiance des rues. Nous remarquons que chacun se déplace à l’ombre un maximum. Les couleurs des bâtiments languissent du trop de soleil, elles s’écaillent sur toutes les façades. Les rues de Rangoon sont un éblouissant et sempiternel mélange de couleurs, senteurs, formes, sons. C’est désorientant tant nos sens sont sollicités. Entre étales et boutiques, entre langues incomprises et bruits de la ville, entre cuisines fumantes et fruits odorants, entre les sourires et les regards éberlués, entre des apostrophes à la volée et des négociations désaccordées, entre la chaleur étouffante et la promiscuité des rues, entre les couleurs de mille et une teintes et les ombres bienvenues, entre les déchets qui trainent au sol et les parapluies qu’il faut éviter, entre l’Asie recroquevillée dans des rues étroites et nous, pour quelques heures nous nous laissons porter par les courants contraires de Rangoon. Pour quelques heures, nous goûtons cette fièvre de chairs et de bétons qui animent la ville. Pour quelques heures seulement, avant de rentrer à l’auberge où nous récupérons un lit dans le dortoir. Où le raccommodage de nos affaires de voyage nous offre une fuite hors de tout le tumulte extérieur.

           Le lendemain, il nous faut réclamer la promesse du propriétaire du « petit-déjeuner traditionnel », mais nous ne sommes plus à ça près. Nous récupérons nos billets, allons à la gare routière et partons en direction de Hpa-An, une escale au milieu de pics karstiques avant la Thaïlande. Nous avons quelque peu modifié notre fin d’itinéraire myanmarais, nos corps réclament du repos, un peu de sédentarisation sur une ou deux semaines. Pour cela, nous pensons aux conseils d’Eric (rencontré en Chine) à propos de la Thaïlande. En plus, nous n’avons jamais bien mangé à Rangoon. En attendant, les trajets en bus conservent leurs charmes de voyage dans le voyage. Entre de plates rizières qui s’étendent vers le lointain, les monticules karstiques dodelinent le paysage. Mais c’est en descendant du mini-bus que l’effet de surprise est plus fort.

           Nous avons l’impression de débarquer dans une espèce de village western myanmarais. Dans cette ville poussiéreuse, depuis leurs perrons, bouddhistes et musulmans nous dévisagent outrageusement, suivant nos pas minutieusement. C’est vrai que nous ne croisons aucun autre étranger (pourtant nous pensions la ville un peu touristique). Il y a des personnes errantes que la folie a isolé de la société et dont personne ne prête attention aux paroles. L’accueil de la chambre d’hôte est chaleureux, la chambre bien pensée, ce qui nous soulage. La fatigue des kilomètres est de plus en plus pesante, cette fois là il était important d’être bien logés. Pour la première fois nous évoquons l’idée de faire une pause estivale en France auprès de nos proches. Nous aimerions nous reposer quelques temps. La Thaïlande recèle d’endroits idylliques pour cela mais la saison des pluies commence. Pluies, moustiques… Pas très reposant. Nous n’oublions pas qu’un de nos objectifs est de travailler en Australie pour acquérir un niveau d’anglais courant. Arriver épuisés serait peut-être une erreur. Nous y réfléchissons.

             Le soir nous trouvons difficilement un restaurant (plus de nouilles instantanées…) car presque tout est fermé. Du western inquiétant nous basculons au village fantôme. Les deux endroits que nous trouvons ne nous inspirent pas confiance, mais il nous faut manger. Installés, la crasse sur les mains du cuisinier-père de famille renforce notre inconfiance. Nouilles aux légumes pour Barbara, rôti (galette de pain) au curry pour Aurélien. Nos estomacs sont solidifiés par le voyage, et puis nous sommes encore si fatigués de Rangoon qu’à peine rentrés nous nous endormons. Au réveil nous sommes barbouillés et aussi épuisés qu’au coucher. Alors nous prenons la journée à nous reposer, à rediscuter d’un éventuel retour en France après plus d’un an sur les routes eurasiennes. Le mini-bus pour la Thaïlande ne part que demain, nous en profitons pour acheter quelques longyis et rentrons vite. Faute d’avoir trouvé une épicerie alimentaire, nous remangeons au même endroit que la veille.

            Le 26 au matin, cette fois nos estomacs n’auront pas encaissé un deuxième écart de route. Nous voilà tous les deux malades. Bienheureusement notre pharmacie vagabonde dans laquelle nous avons si peu pioché nous aide finalement. Nos états nous empêchent d’avaler quoi que ce soit au petit-déjeuner. Dans le mini-van qui devait être un mini-bus où nous sommes serrés (Aurélien ne peut pas se tenir droit), nos crampes stomacales sont renforcées par une route de mauvaise qualité, très souvent en cours de construction. Par chance, le chauffeur est précautionneux, notamment sur tous les passages délicats. La chaleur vient s’ajouter à nos crampes exponentielles. La tourista est un combat désobligeant et malaisant au possible. Après un trajet qui nous a semblé long de plusieurs jours, la frontière est en vue.

             En sortant, la lourde chaleur charge nos corps de son fardeau. C’est beaucoup pour Barbara qui est de moins en moins bien. Elle doit sacrément lutter. Heureusement le passage de la frontière est un des plus faciles qui nous ait été donné de traverser, très vite nous nous retrouvons sur le pont de l’Amitié qui enjambe la rivière Moeï et lie des deux pays. La chaleur nous écrase à chaque pas, nos crampes nous assaillent à chaque respiration. Le poste frontière thaïlandais est en vue, c’est la première fois que nous arrivons en aussi mauvais état dans un nouveau pays. Derrière nous le Myanmar qui un des plus beaux pays que nous ayons visité de tout le voyage, qui nous a permis de nous remettre en question, qu’il nous a tant offert.