Nouvelle-Zélande – 1ère partie

Du 09/02/2019 au 28/02/2019 – Nouvelle-Zélande : Christchurch / Mont Sunday / Lac Tekapo / Lac Pukaki / Aoroki – Mont Cook / Te Anau (Kepler Track) / Milford Sound/  Routeburn

Les premiers pas en Terre du Milieu

             Melbourne s’éloigne derrière les nuages, la mer de Tasman s’allonge sous l’avion. Longtemps nous nous sommes demandés comment rejoindrions-nous la Nouvelle-Zélande, finalement par le moyen de transport le plus usité et le moins charmant, l’avion. La Nouvelle-Zélande est l’ultime pays de notre voyage De soie et de scène, dernière escale de ce périple de dizaines de milliers de kilomètres. Difficile à réaliser alors que par le hublot, le tracé de sa côte se dessine.

            La Nouvelle-Zélande, l’autre côté de la terre, la tête en bas, diamétrale presque opposée à la France. L’extrême limite qui fera que nous ne ferons pas le tour du monde, que nous nous en tiendrons à notre merveilleux chemin virevoltant sur une moitié du globe. Combien de regards épris de surprise quand nous montrions sur notre carte « c’est là que nous allons », sur ce petit bout de terre scindé en deux. Les expressions d’étonnements et de rires partagés. La Nouvelle-Zélande a été l’écho directeur de notre voyage, l’avion y atterrit à l’instant avec toute notre hâte de nous y fondre sur les routes. Comme en Australie, c’est une borne automatique sans tampons qui nous laisse entrer dans le pays, à notre grand regret romantique de la page tamponnée d’encre, souvenir ineffable pour nos âmes de voyageurs. Un douanier nous approche, il faut jeter notre miel (provenant pourtant de Nouvelle-Zélande) et faire vérifier notre « tite ». Les néo-zélandais prononcent « i » le son « è » et inversement. Nous avions anticipé en nettoyant intégralement notre matériel car le pays tient à préserver sa faune et flore endémique. Un équipement sale sera refusé de passage. Pendant ce temps, nous achetons une carte sim pour nous déplacer plus simplement dans le pays. Aucun souci avec la tente, hormis qu’il est maintenant 1h du matin. Plus de bus, c’est en taxi qu’il faut rejoindre l’auberge de jeunesse et ses matelas mollassons.

       Sans nourriture, la première étape sont les courses. La nature entoure la proche banlieue de Christchurch où nous sommes. Loin de la vision idyllique, il y a de la mendicité devant le « Super Discount ». Après le déjeuner, nous rejoignons à pied le centre de la deuxième ville du pays. A notre grand étonnement, malgré son rang, la ville est quasiment vide. Est-ce que parce que c’est dimanche ? Ou est-ce que parce que les gens ont quitté la ville ? Les stigmates du tremblement de terre de 2011 sont encore bien visibles (un parking effondré, une église éventrée, des fissures sur plusieurs façades…). En contrepartie, de nouveaux bâtiments très récents donnent à l’architecture une discordance visuelle. Comme pour y parer, les murs arborent de nombreux graffitis aux styles très différents, redonnant un souffle de vie coloré à l’ensemble. Les tramways, avec leurs carrosseries rétros, sont des transports de touristes. Les tours ne doivent pas être longs. Le théâtre est resté dans son style de classicisme anglais. Pour un premier contact, les néo-zélandais nous apparaissent moins excentriques que les australiens, plus calmes et beaucoup moins portés sur l’apparence qu’à Sydney. A 17h, boutiques et restaurants ferment, c’est le temps de rentrer.

           Pour la Nouvelle-Zélande, nous avons pris la décision découvrir le pays plus « tranquillement » logistiquement parlant. S’il est réputé pour être un des plus sympa pour l’auto-stop, nous souhaitons redécouvrir le plaisir du voyage entièrement autonome. Alors, nous nous sommes organisé un itinéraire assez précis et clair, avec quelques flexibilités parce que la météo est paraît-il très changeante. Le voyage en van est notre choix. Le cadre du pays s’y prête parfaitement car c’est le mode de transport privilégié par la majorité des visiteurs, quoi de mieux que d’essayer ce mode de voyage que nous souhaitions expérimenter. Après une année sur les routes, cinq mois de travail, ce sera un peu nos vacances De soie et de scène en Terre du milieu. Comme cela nous reviendrons frais en France. Enfin tout cela à condition que le van que nous avons loué soit fiable, un brin confortable et ne soit pas une carlingue à problèmes (que nous n’avons pas lu sur les forums…).

            Ce matin du 10 février, c’est par conséquent avec quelques doutes que nous partons chercher le van que nous avons réservé. Un nouveau compagnon de voyage. Clairement, après avoir écumé de nombreux témoignages (positifs et souvent négatifs), il n’a pas été simple de concilier notre budget et location de van. Le loueur par lequel nous passons a un site internet semblant daté du début des années 2000, quelques avis faméliques. Mais les prix nous correspondent, le véhicule loin du clinquant colorés des loueurs qui dominent le marché, donne l’impression de proposer le juste nécessaire. Nos échanges nous ont rassuré, Aurélien dit qu’ils sont sponsor d’un club de foot de Londres, c’est qu’ils doivent avoir de l’argent pour entretenir leur flotte… ou leur réputation… Après 1h de bus sur la ligne jaune, nous trouvons enfin l’entrepôt de Car Rental Village. Pour éviter les frais bancaires, nous avons conservé nos comptes australiens (qui sont valables ici). Aussi, nous avons retirés d’importantes sommes de dollars, ce qui nous permet d’éviter les frais de paiement par cartes. Le cash est privilégié dans le pays. L’employé nous amène le van. Il est exactement comme sur la photo, tout blanc, la mine vieillotte, mais propre et avec l’essentiel. Inspection des niveaux de liquides, boîte automatique, moteur sous le siège passager, volant à droite évidemment, pneus très bons. Présentation intérieure, la vaisselle, du « canapé-lit », un camping-gaz et une glacière. Pas d’extravagance, juste le nécessaire. C’est parfait pour nous. En plus, il a un nom qui conquit immédiatement nos cœurs : Vanette. Son surnom sera Vounette. C’est tous les 3 que nous partons arpenter les routes du pays.

          D’abord, il nous faut faire des provisions. Barbara a l’excellente idée d’acheter une boîte de rangement supplémentaire aux dimensions exactes (cela ne trompe pas l’œil d’une régisseuse organisée). Nous en profitons pour arranger l’espace à notre convenance. Top départ officiel depuis le parking du supermarché, cap vers le Mont Sunday. C’est l’endroit où ont été tourné les scènes d’Edoras capitale du Rohan dans la saga du Seigneur des anneaux, célèbre trilogie cinématographique de Peter Jackson basé sur l’œuvre littéraire de J.R.R. Tolkien. Les films ont entièrement été tourné en Nouvelle-Zélande, pays natal du réalisateur, très souvent dans des décors naturels. Les incroyables paysages de la Terre du Milieu ont animé de rêves notre enfance. En ce sens nous avons jalonné notre itinéraire de petites haltes de lieux de tournages. En attendant, la route file droit en dodelinant, principalement bordée d’immenses prairies clôturées où pâturent bovins et ovins, qui sont pour l’anecdote bien plus nombreux sur l’île que leurs voisins humains. La végétation arbore un beau vert, signe que l’eau ne manque pas, malgré l’absence d’arbres sur les collines. Aucune indication du Mont Sunday, nous devons nous y prendre à plusieurs reprises pour trouver l’accès. Il est situé dans un lieu privé, les propriétaires tolèrent les visites tant que ce ne sont pas des tours opérateurs.

          La surprise quand nous nous engageons sur une piste dite en caillouteuse dite en tôle ondulée (crevassée). Derrière nous se forme un épais nuage de poussière, c’est parti pour une trentaine de kilomètres à petite allure pour mieux absorber les irrégularités de la piste et les petites roues qui chassent quelques fois. Ce n’est nullement une contrainte tant le paysage a changé. Les herbages jaunis ondulent vers le lointain où se dressent à contre-jour les silhouettes bleutées de montagnes. Les couleurs s’accordent harmonieusement, comme une invitation à la contemplation. Après un dernier petit village, la piste continue. Au sommet d’une montée, la vallée s’ouvre soudainement à nos yeux s’enfuyant vers les montagnes qui l’entourent tel un écrin minéral, parcourue de cours d’eau aux reflets d’argent. Le Mont-Sunday s’élève tel un trône déchu dans la beauté du paysage dont le drapé des nuages teinte l’ensemble d’une touche presque ésotérique. Nos regards sont fascinés d’une telle beauté simple et brute.

         En sortant du van, nous comprenons mieux pourquoi celui-ci chancelait. La force du vent est incroyable. Passé le portillon, nous marchons dans son frouhaha le corps penché. Parfois il nous faut tourner le dos quand une bourrasque plus forte que les autres décollent quelques gravillons sur son passage. Le lieu est chargé de l’énergie des grands espaces, ce merveilleux mélange de splendeur paysagère et d’immensité. S’ajoutent nos souvenirs cinématographiques. Nul besoin que soit présente physiquement la citadelle du Rohan. Alors que nous imaginons Gandalf chevauché Gris-poil avec les musiques des films chantonnant à nos oreilles, des visages noirs nous regardent indifférents. Des black angus (race de bœufs) broutent leur repas quotidien. En grimpant sur le Mont Sunday, le paysage devient encore plus exaltant, un panorama à 360° extatique qui exhorte à la chevauchée fougueuse. Les herbages jaunis plient sous les incessantes rafales venteuses pareilles à des ondées océanes, les prairies s’étirent en longueur comme un doux susurre de liberté. Mêlé à nos souvenirs d’enfance des personnages du Seigneur des anneaux, que nous imaginons parcourir les étendues. Avec l’énergie débordante du vent jusqu’à plus soif, nous sommes à cet instant comblés de bonheur. Il est facile de comprendre pourquoi ils sont venus tourner ici, le lieu est empreint de magie et de beautés.

             Le temps passant, descendant des montagnes dans leurs voilures légères, il nous semble deviner des nuages pluvieux qui se déplacent dans notre direction. Un dernier regard et nous rebroussons chemin. Les gouttes nous pourchassent, éclatent au-dessus de nos têtes à l’instant où nous nous mettons à l’abri dans Vanette. Sur le retour nous faisons halte au lac Clearwater, qui n’a pas usurpé son nom avec l’étonnante translucidité de l’eau, où il est possible de dormir. La pluie a vite cessé, chacun a sa tâche pour définitivement organiser l’espace de Vounette, faire un coup de propre. Première cuisine accompagnée de ce plaisir du vagabondage en van. Nous mangeons assis sur la bâche, un arc-en-ciel s’est dessiné sur un coin du lac. Puis nous regardons la lumière aurifère de fin de jour disparaître derrière le relief de la rive opposée. Une pluie délicate s’échoue timidement, les gouttes paraissent d’éphémères perles de lumières. La nuit ne tarde pas à tirer un incroyable ciel étoilé. Le confort des matelas est suffisant, chacun dans son duvet, première nuit dans Vounette. Nous nous endormons le cœur épris d’aventures.

 

         Après le petit-déjeuner, nous prenons encore nos automatismes pour le rangement. Puis c’est le départ, direction le lac de Tekapo. En route nous faisons une pause essence. Nous nous en doutions, Vounette est gourmande malgré la limitation à 100km/h (même si nous roulons en dessous). Les paysages changent très rapidement. Des prairies, nous roulons ensuite au milieu d’une vallée verte ondulante, puis retrouvons les étendues d’herbages jaunies. Les paysages sont beaux, il y a peu d’infrastructures humaines qui les enlaidissent. Sur le bord de route, comme des auto-stoppeurs qui attendraient une voiture, des boîtes aux lettres quelques fois colorées signalent qu’une ferme se cache quelques part plus loin. Nous nous sommes éloignés de la route principale pour essayer d’observer un autre lieu de tournage, sans grand succès. Reprenant la direction, le lac Tekapo se révèle dans sa robe bleue exquise. Un lagon turquoise où il ne manque plus qu’une paillotte, un palmier et du sable fin pour se croire sur les bords d’une île paradisiaque. Quelle couleur dont le soleil fait ressortir l’éclat. Nous déjeunons devant, observant l’ombre des nuages glissaient à la surface de l’eau.

         Forcément l’immense joyau attire les foules. Nous nous promenons sur les rives de pierres grises. Plus nous contemplons sa belle couleur, plus elle nous paraît un plaisir surréel tant elle est intense. Une petite église de pierre se tient là avec son charme des petits lieux. D’ailleurs des mariés asiatiques sont venus pour réaliser leurs photos de mariage dans ce cadre idyllique. C’est amusant d’ailleurs comment les groupements de touristes se tiennent aux mêmes endroits, ce qui donne l’avantage de s’en éloigner facilement et de savourer tranquillement l’endroit. Un peu plus tard, nous montons à pieds vers le Mont John, où il y a un observatoire de l’espace. En effet, le lac Tekapo est une « réserve lumineuse », à entendre comme faiblement polluée par la lumière artificielle. Nous nous engageons sur le sentier poussiéreux qui sinue à travers la futaie. De là-haut, où sont perchés les observatoires, la vue est prodigieuse. De l’autre côté, le paysage s’échappe à perte de vue, toujours avec cette invitation murmurée d’y venir le parcourir. Quelques cairns ont été dressés, alors nous y déposons également une pierre en souvenir.

     Après être redescendus, nous choisissons finalement de rester au camping qui borde le lac. Emplacement sans électricité (la prise des sanitaires suffira) mais avec douche chronométrée. Sinon il faut payer un autre jeton, c’est pour limiter le gaspillage, ou le business, selon le point de vue. Pendant la soirée nous nous promenons au son des petits clapotis du lac. Les étoiles se chamaillent pour briller plus que la voisine, nous distinguons aisément la Bételgeuse, Sirius, les constellations du gémeaux. Quel spectacle ! Aurélien adorateur des étoiles depuis son enfance décide de retourner au sommet du Mont John. Mais dès les premiers pas sur le sentier, pleins de petites étoiles scintillent entre les herbes ! Ce sont les yeux des chats en chasse qui reflètent la lumière de sa frontale… Arrivé là-haut, les mots manquent pour qualifier la beauté du ciel. C’est la première fois qu’Aurélien voit la Voie Lactée aussi nettement, la vision en est touchante. Tous ces ailleurs qui scintillent, toutes ces nuits qui ont inspiré l’Humanité des mythologies et des arts. Minuit passé, la lune, comme pour rappeler qu’elle est la première soliste nocturne, apparaît dans une intense clarté, d’une robe étonnamment orangée. Comme un soleil au milieu de la nuit. Ce soir, les astres rivalisent d’ingéniosité pour captiver les regards.

           Le lendemain, nous partons en direction d’Aoroki / Mont Cook, le plus haut sommet du pays avec ses 3724m d’altitude. La Nouvelle-Zélande a conservé les noms Maori des lieux. Sur la route, les paysages sont toujours aussi fabuleux. Ce n’est pas le lac Pukaki, aussi incroyable que le Tekapo qui nous fera démentir. D’autant qu’en toile de fond de sa surface turquoise s’élève le sommet enneigé d’Aoroki, comme si la Nature s’était aménagée une belle toile murale. En arrivant au camping, nous ne pensions pas qu’il y aurait autant de monde. C’est la cohue des véhicules à l’entrée. Barbara descend afin d’avoir des informations pendant qu’Aurélien patiente à l’extérieur avec vounette. Après un temps, il la rejoint. Le fonctionnement du camping est différent de ce que nous sommes habitués. Il faut remplir le petit formulaire, le glisser avec le montant adéquat dans l’enveloppe et mettre le tout dans l’urne des Rangers of Departement of Convenience. Ces derniers récupèrent plus tard les enveloppes, puis font un tour du campement pour s’assurer que les véhicules garés ont bien payé leurs emplacements.

           En rentrant dans le camping, nous nous apercevons qu’il reste plein de places libres de choix (qui vont vite disparaître avec l’avancement de la journée). Comme nous sommes encore le matin, nous pouvons en essayer plusieurs, car il est important d’avoir un sol plan pour bien dormir. Un nuage cache le sommet du glacier, comme pour mieux nous réserver la surprise (espérons) des jours suivants. En fonction de la météo nous organisons les prochains jours. Nous tirons un fil à linge pour notre lessive qui sèche en un rien de temps avec le vent. Des petits lapins furètent entre les véhicules de la nourriture perdue. Il y a vraiment tous types de voyageurs et tous types de véhicules, vounette est assurément une des moins sophistiquée de toute la flotte. Elle a un air de jouet et cela nous va bien. En fin de journée, le sommet apparaît comme pour nous souhaiter bonne nuit.

        Au lever du jour, Aoroki a la tête dans les nuages. Nous nous sommes décidés pour le chemin de la Hooker Valley car de la pluie est attendue dans l’après-midi. Le sommet apparaît un bref instant, comme un signe pour dire « venez maintenant ». Certains partent en t-shirts, nous avons pris nos capes de pluie en plus de nos vestes coupe-vent. Le vent souffle à plus de 90km/h mais sans parvenir à déplacer les lourds nuages qui sommeillent encore dans le ciel. Le chemin est très facile, bien balisé. Le ciel bas confère au paysage une atmosphère dramatique, en faisant ressortir le gris clair de la moraine et ombrageant les herbages. Quand la lumière perce enfin, c’est comme un souffle de vie et de couleurs. Le vent nous balance des murs de poussières, l’eau est tumultueuse dans les torrents. Le chemin se raidit gentiment, le paysage devient de plus en plus minéral. Le lac Hooker apparaît pareil à un papier cresson gris clair qui ne cesse de se froisser. Au milieu de ses vagues que le vent encourage, il y a des blocs de glaces de différentes tailles et couleurs. Certains s’échouent dans d’étonnantes formes translucides. Sur la rive, le vent est sans filtre, déchaînant sa pleine puissance, soulevant une brume à la surface de l’eau, nous arrosant d’eau et de poussières. Notre patience est récompensée, l’espace d’un court instant les épais nuages dissimulant le sommet s’éloignent. Un bref instant pour quelques photos souvenirs mémorables. Nous y voyons un autre clin d’œil d’Aoroki. Puis d’autres nuages arrivent, c’est qu’il faut repartir. En retour, une pluie légère apparaît par épisode. Elle gagne en consistance au fur et à mesure que nous approchons de vounette. Il y a un abri commun où nous cuisinons pour aujourd’hui et demain. Le reste de la journée, nous restons au chaud dans nos duvets à écouter les rideaux pluvieux pendant nos lectures.

          Réveil tôt un peu frileux car la météo annoncée n’est pas très sûre, or en Nouvelle-Zélande il est possible de connaître les quatre saisons en une seule journée paraît-il. Le sommet d’Aoroki encore mielleux des lumières de l’aurore est complètement dégagé. C’est le signe de son approbation. Aurélien charge de poids son sac pour s’entraîner pour les randonnées à venir. Le chemin qui mène au refuge Mueller commence par des marches raides. La fraîcheur matinale est vite remplacée par notre transpiration, accentuée par les nuages descendant de la montagne et qui nous enveloppent dans leur humidité. L’ascension est merveilleusement récompensée par une superbe mer de nuages qui cavalent des pentes environnantes pour s’étendre dans la vallée. C’est une sensation magique de se retrouver au-dessus de cette nuée blanche mousseuse, comme si nous étions dans un paradis perdu fantastique au milieu du ciel. De l’autre côté de la vallée, la pointe du sommet d’Aoroki semble nous saluer. Mais nous ne sommes pas encore à mi-chemin, alors nous nous remettons en marche.

          Après une autre petite halte à un tarn, les marches ont laissé place à une trace dans pierrier pentu. Cela zig-zague entre les cailloux de toutes tailles. Pendant ce temps-là, la marée nuageuse à filer au-dessus du lac Pukaki. Sur les autres montagnes, les glaciers aux reflets bleutés luttent sous le soleil pour rester accrocher aux versants. Les déclivités sont un dégradé de gris éclatant sous la lumière du jour. Le dénivelé s’accroit, les pierres dégringolent sous nos pas. Avant de prendre l’impulsion, il faut assurer les appuis. Nos bâtons sont une précieuses aides. Soudain un grondement surgit du vent froid, sur les montagnes grises dévale une avalanche d’un des glaciers. De si loin, le mouvement impétueux est lent, pourtant le son traduit sa force phénoménale. Le refuge Mueller apparaît, immanquable dans son rouge délavé. Nous le rejoignons au moment de la pause du midi, impeccable. Pour la digestion, nous poursuivons jusqu’au sommet. Clairement cette portion est davantage de la semi-escalade. Nous sommes concentrés car les pierres manquent souvent de stabilités. Enfin nous y parvenons, un panorama à 360° comme cadeau s’offre à nos yeux. Des reflets turquoise du lac Pukaki au sommet d’Aoroki en passant par le lac Hueller. Contraste de couleurs, paysages si proches et pourtant si différents. Derrière, ce sont les pentes grises avec les glaciers comme collerettes. Une belle offrande que nous savourons à pleins poumons. Le pic du Mont Aoroki se couvre, signal pour redescendre avec un vent plus froid. Les marches retour finissent de nous épuiser les jambes.

            Au moment du départ le lendemain, Aoroki se dévoile à cet instant. Nous le remercions de ces beaux souvenirs et prenons la route. Comme des adieux difficiles, il reste dans notre rétroviseur plusieurs kilomètres. C’est au tour du lac Pukaki de nous éblouir de sa splendeur. Rouler en Nouvelle-Zélande est fantastique, les paysages changent rapidement, différents mais à chaque fois splendides. Nous ne cessons de répéter « C’est tellement beau ! ». C’est une sensation incroyable, grisante. Des abords du lac turquoise, la route serpente à présent au milieu de prairies jaunies surveillés par des montagnes. Les vaches et les moutons n’ont que l’embarras du choix dans ces immenses espaces, qui disparaissent quelques instants plus tard au profit de vignobles. Nous faisons une petite pause au-dessus d’un torrent, bleu turquoise lui aussi, où a été tourné la fuite des nains dans des tonneaux dans le Hobbit. Plus loin, il y a le tronçon  de la scène où la communauté de l’anneau passe au milieu des gigantesques statues des anciens rois (ajouté en 3D dans le film) dans le premier film. Il y a aussi le Kawarau bridge, là où ont été effectué les premiers sauts à l’élastique commerciaux du monde. Nous regardons quelques téméraires s’élancer et repartons.          Nous traversons Queenstown, la ville des attractions à sensations fortes de l’île du sud. Puis, c’est le lac Wakatipu plutôt très foncé, avec des reflets presque émeraude. Quand l’eau sera assumée pleinement comme or bleu, la Nouvelle-Zélande occupera le haut du classement. Nous faisons halte à Mossburn dans un camping privé bien aménagé. A l’accueil, le propriétaire nous donne des petits sacs pour aller nourrir les alpagas. La tonte de leurs lainages a été récente, ce qui n’enlève rien au charme éberlué de leurs frimousses. Aurélien part courir dans les environs. Nous restons la journée suivante pour nous reposer, faire nos lessives que le vent sèche en un rien de temps, mais qui requiert de la surveillance pour ne pas qu’il emporte les vêtements qu’il décroche. Les batteries rechargées, nous rejoignons la ville de Te Anau. Nous nous promenons jusqu’à son lac pour nous délasser les jambes, faisons quelques emplettes de la laine mérinos locale (gants et chaussettes chaudes). Nous profitons de la cuisine du camping pour préparer nos repas pour les trois prochains jours, où nous partirons randonner sur la Kepler Track. La météo annonce pluie pour le premier jour, soleil pour le second jour (journée où il faudra en découdre avec le dénivelé) et troisième à nouveau sous la pluie. La Nouvelle-Zélande et sa météo qui n’aime pas les habitudes.

         La météo s’est réveillée avant nous, la pluie est déjà tambours battants sur vounette. Sur l’emplacement du parking, un écriteau rappelle qu’il y a parfois des vols, nous nous rassurons en nous disant que vanette n’a rien pour attiser les curieux. La meilleure des protections contre la pluie, c’est la double protection. Une première couche goretex (ou softshell) pour couper du vent, assurer le transfert d’humidité du corps, et une couche externe avec un poncho de pluie. L’avantage de ces derniers est qu’ils protègent également les sacs à dos. Le Rainbow Bridge n’a de couleurs que le nom tant la météo ternit le paysage. Dans trois jours nous devrions le retraverser. Le chemin s’enfonce au milieu d’une forêt où la pluie crépite sur les feuilles. Nous croisons des randonneurs avec seulement une veste goretex saturée en eau. Si nos capes verts acide ne riment pas avec style, le confort de marcher sous la pluie oui. Assurément nous sommes au sec. Il y a beaucoup de mousses, signe que l’humidité est présente, si jamais nous ne nous en étions pas rendu compte. Le chemin est bossu, quelques fois en faux plats, mais toujours au-milieu de cette forêt encore toute verte alors qu’elle sort de l’été.

              Pause pipi au premier refuge, mais nous continuons vers notre objectif qui est un abri plus loin. 13h, toujours aucun abri. Nous commençons à penser qu’il n’existe pas et qu’il va falloir se résoudre à manger sous l’eau. 14h passe, le voilà qui apparaît. Un couple canadien sur le départ nous annonce la couleur, la pluie va s’intensifier. Un danois et un israélien arrivent et mangent à côté de nous. Un petit tatouwai (oiseau endémique) vient jouer son petit numéro racoleur. Le déjeuner nous fait un grand bien. Finalement le soleil s’efforce pour se montrer, la pluie s’amenuise. C’est le moment de faire l’effort jusqu’au refuge. Peut-être aurons-nous la chance de planter notre tente au sec. Des tatouwais et leurs mimiques nous accompagnent de temps en temps. La pluie est revenue alors que nous sortons enfin de la forêt, le chemin poursuivant vers une vallée. De part et d’autre, de magnifiques pentes montagneuses sombres se dressent, des longs desquelles s’étirent des cascades blanches. La pluie prend sa revanche sur le soleil disparu et gagne en intensité.

         Enfin le refuge Iris Burn apparaît. Mauvaise nouvelle, comme nous avons réservé un emplacement tente, interdit pour nous de nous réchauffer ou cuisiner à l’intérieur. La Ranger, après un certain temps, nous renseigne qu’il y a eu des annulations donc potentiellement de la place. C’est cher, nous en discutons mais la fatigue brouille notre compréhension l’un de l’autre. De retour à l’extérieur, il y a un abri composé de juste un toit où nous suspendons nos affaires pour qu’elles sèchent et nous nous posons pour réfléchir. Le vent s’est joint à la partie, il tombe des cordes. Il faut agir. Barbara a la très bonne idée de monter la tente sous l’abri puis de la déplacer au dernier moment pour mettre les sardines. Mais par manque de lucidité, l’emplacement que nous choisissons se révèle vite une cuvette (nous n’avons pas eu le temps de creuser des rigoles latérales). Nous nous débattons avec le vent pour finir de la monter, la pluie nous trempe et pénètre la tente avant même que nous ayons le temps de placer le toit. Rien ne tourne comme il faudrait. Vainement nous essayons de tirer un poncho comme abri supplémentaire, mais cela ne fonctionne pas. Rien ne va, la tente est déjà couverte d’éclaboussures de boue. Les éléments ont raison de la patience de Barbara. Le froid la gagne, ses pieds sont glacés, ses mains sont blanches car elles n’ont plus de sang à cause du froid et de l’humidité. La pluie bat son plein.

          La ranger vient à notre rencontre, elle nous dit que deux places sont disponibles puis repart. Nous dînons en silence, chacun dans ses pensées. Deux places restantes, c’est tentant. En discutant, nous finissons par accepter en décidant de laisser la tente montée, en croisant les doigts que les sardines ne se décrochent pas ou qu’autre chose ne lui arrive. Nous attendons un temps interminable devant le refuge pour que la Ranger Jane nous fasse signe d’entrer. Par chance nous avons deux lits en hauteur sous la toiture, nous tirons un fil à linge entre eux pour étendre quelques affaires. Le reste au bord du poêle. Les chaussures doivent restées dehors, attachées par deux pour empêcher que les kéas (perroquet endémique de l’île, considéré comme un des oiseaux les plus intelligents du monde) ne les volent (par deux elles sont trop lourdes pour eux). Pas géniale pour que les chaussures sèchent, mais c’est mieux pour préserver l’intérieur. Jane nous raconte les facéties des kéas, comme par exemple de trouer des toiles de tentes. Advienne ce qu’il adviendra. Nous regrettons d’avoir dîner tôt, mais nous nous préparons une boisson chaude pour se réchauffer de cette longue journée de 22kms sous la pluie. Nos duvets en plumage ont cette douce chaleur réconfortante comme un feu de bois en hiver.

         La pluie ne cesse vraiment qu’aux alentours de cinq heures du matin, nous nous levons l’heure suivante. Les vêtements sont frais, mais ce n’est rien en comparaison de l’humidité froide des chaussures. La tente n’a rien, hormis qu’elle est détrempée. La pluie a au moins éloigné les kéas. Nous la plions ainsi, nous profiterons du soleil pour la sécher en journée.

           Dès les premiers pas, le dénivelé est franc pour grimper sous la canopée des arbres. Des fois, la vue se dégage sur la vallée, nous voyons une partie des kilomètres parcourus la veille. Le soleil est là pour nous encourager à le rejoindre au sommet, à travers quelques rayons qui percent ci et là. La montée est longue mais au moins il ne pleut pas. Comme une promesse que nous rêvions la veille, en bout du chemin la lumière solaire apparaît. Nous sortons des sous-bois. La caresse du soleil est une douche de lumière et de tiédeur sur nos peaux. Nous sommes comme des panneaux voltaïque qui se recharge à son contact. Quelques pas plus loin, c’est le sommet, avec ce cadeau en panorama inoubliable. Les forêts peuplent les versants montagneux qui sont séparés par une rivière sereine. Le tracé de la randonnée suit la ligne de crêtes au milieu des herbages safranés. Nous avons l’impression de nous répéter, mais que les paysages sont beaux ! Y marcher en décuple la saveur. Nous ne nous lassons pas de ces présents de la nature. Nous qui étions en manque de randonnées pendant le voyage, la Nouvelle-Zélande nous comble de ravissements. Un sentiment de liberté nous éprend à suivre ce chemin, parfois des marches prennent le relais, une ligne prodigieuse entre deux décors incroyables. C’est tellement beau ! C’est assurément une des plus belles randonnées que nous réalisons.

        De ligne de crête en ligne de crête, le fjord dévoile progressivement sa robe bleue profonde sur notre gauche, à droite des montagnes majestueuses. Parfois le chemin devient très pierreux, défiant les articulations avec leurs irrégularités. Un magnifique point de vue nous invite à dresser la table du déjeuner. Il n’y a rien à rajouter à cet instant parfait depuis cette légère avancée qui offre un tableau superbe du fjord. Nos sens se régalent. En poursuivant, le chemin devient de plus en plus minéral, s’ouvrant de plus en plus sur le lointain du paysage. Dans la descente nous faisons halte au refuge, pour le séchage de la tente. Nous la nettoyons, la suspendons à nos bras pour que le vent et le soleil la sèche.

           Souvent, il y a des tronçons semblables à des petits pontons de bois pour préserver des zones fragiles. Le chemin continue de descendre cette fois sous l’ombrage des arbres. Nous rejoignons la forêt de l’aller. Le lac apparaît comme une délivrance de cette vingtaine de kilomètres de la journée. L’eau est trop froide pour envisager une quelconque trempette, de toute façon nous préférons monter la tente. Signalons que les toilettes chimiques n’ont pas dû être vidé de l’été, l’odeur est forte à chaque passage. Nous dînons en compagnie de Laura, une allemande. L’air est frais, parfait pour s’endormir après une si belle journée.

       La pluie tapote sur la tente, nous avalons le déjeuner dans la fraîcheur matinale et plions le campement – sans se tremper cette fois même si nous rangeons la tente humide. Comme nous le savions, la pluie croît en intensité au fur et à mesure que nous avançons. Forcément nos pieds ont fait quelques ampoules que nous écrasons à chaque pas. Le chemin est une longue bande boueuse à travers la forêt qui retarde les retrouvailles avec vounette. C’est avec grand plaisir que nous retrouvons enfin le Rainbow bridge, sous la pluie comme le premier jour comme pour mieux boucler la boucle. Vanette n’a pas été ouverte pour notre grand soulagement. Nous filons au même camping, même emplacement. Au déjeuner, nous mangeons une purée instantanée achetée quelques jours plus tôt. Son onctuosité nous charme à la première fourchette. Sa chaleur réchauffe nos corps endoloris. Les meilleurs repas sont parfois les plus simples. Nous faisons traîner le moment du café/thé à l’intérieur de la salle commune quand la pluie cesse, laissant la place à un soleil timide. Il ne faut pas laisser passer ce genre de fenêtre, nous lavons nos affaires, déplions la tente et dépiautons nos chaussures pour les faire sécher. Le soir, la fatigue a le goût du devoir bien fait.

           La journée suivante est une journée de repos, où nous flânons dans la ville pour souffler. Le soir, nous nous accordons un restaurant au Fat Duck. Barbara prendra du bœuf, Aurélien une viande de gibier. Nos assiettes sont excellentes, les viandes et les légumes d’accompagnements sont savoureux. En plus nous sympathisons avec nos voisins de tables, des écossais d’une cinquantaine d’années de bien bonne humeur. Un excellent moment pour les papilles et d’égayement partagé. Bien reposés, nous reprenons la route pour les Milford Sound (les fjords Milford), qui sont un bout de bras de mer tout au sud du pays. Encore et encore, toujours avec cette extraordinaire fascination, nous sommes ébahis par les paysages qui entourent la route. Et de répéter « c’est trop beau ». D’ailleurs nous nous arrêtons plusieurs fois pour savourer ces cadeaux de la nature. En plus, la météo magnifie ces ensembles de clairs/obscurs avec les raies de lumières qui échappent aux nuages, des petites touches de sfumato dans les lointains montagneux avec des brumes pluvieuses, des jeux de perspectives dont la route est une ligne directrice facétieuse. Si la bande bitumineuse n’était pas là, nous croirions à une nature intouchée. Plus nous avançons, plus la route plonge, plus nous nous sentons petits au milieu des pentes abruptes au milieu desquelles nous serpentons.

          Juste avant un tunnel, où nous devons attendre le feu vert pour passer, il y a un cirque au loin. Nous le notons pour le retour, là nous sommes contraints par l’horaire du bateau avec lequel nous visiterons les Milford Sound. Une petite file s’est formée devant le tunnel, très bas de hauteur. La pluie nous tombe dessus. Quand nous passons enfin, la route descend immédiatement, les parois sont celles de la montagne qui ruissellent, peu de hauteur. Ce n’est pas le type d’infrastructure que nous sommes habitués, cela fait son petit effet en le traversant. A la sortie, la pluie a disparu.  Puis la route sont des lacets qui s’étirent vers les Milford Sound. En y arrivant, nous sommes soulagés en voyant que la compagnie que nous avons choisie (Mitre) a le bateau le plus petit de la flotte. A l’inverse des autres, nous ne sommes pas excessivement nombreux, en plus le capitaine se montre rapidement un homme à l’enthousiasme contagieux. Nous sommes chanceux car ce matin il pleuvait, ce qui est normal ici car c’est une des régions les plus pluvieuses du monde, mais au moment de notre départ sur l’eau, le temps est au beau fixe.

           L’île du sud de la Nouvelle-Zélande nous surprend une nouvelle fois avec un paysage extraordinaire et si différent de ceux qu’elle nous a offert jusque-là. Un nouveau trésor qui prend cette fois la forme de fjords abruptes, couverts d’arbres sur une pierre cassante et parcourus de nombreuses cascades qui se jettent furieusement de diverses hauteurs. Tout est ici de grandes tailles, donnant à l’ensemble une atmosphère majestueuse, presque spirituelle. Des temples végétaux. Le capitaine a la délicatesse de distiller quelques informations très intéressantes, tout en laissant les moments de contemplation silencieux. Il nous invite à être attentif. Coupant les moteurs, il laisse dériver l’embarcation vers un rocher où dorment des phoques. Claquant leurs nageoires sur les mouches de sables envahissantes, ils sèchent de la baignade. C’est la première fois que nous en voyons à l’état sauvage. A faible allure nous repartons pour ne pas les déranger plus longtemps. Au bout de la baie s’ouvre la mer de Tasman, d’où émerge légèrement sur la ligne d’horizon la côte de l’île de Tasmanie. La mer de Tasman qu’il y a encore peu nous contemplions de l’autre côté depuis l’Australie. Le paysage dégage quelque chose de très sauvage, au point qu’il serait facile d’imaginer qu’il n’a pas changé depuis des centaines de milliers d’années. Et que peut-être, le vol d’un ptérodactyle fendrait le ciel, sans que cela ne soit surprenant. Sur le retour, le capitaine s’approche d’une des cascades les plus hautes que nous ayons vu. Sensations fortes et douche d’éclaboussures pour Aurélien resté à l’extérieur du bateau pour la photographier. A croire que nous sommes décidément chanceux, le capitaine d’une voix tout enjoué nous invite à regarder à bâbord. Un manchot Gorfou nage tranquillement, plus d’un an que le capitaine n’en avait pas vu. Deux heures se sont écoulées sans que nous ayons les mots justes qui exprimeraient l’extraordinaire des Milford Sound, c’est avant tout un magnifique paysage qui se ressent.

           De retour sur la route, nous faisons halte à la Gertrude Saddle, le chemin de randonnée près du tunnel qui rejoint le cirque. Finalement Aurélien y va seul car Barbara préfère se reposer. Le tracé commence par une passerelle en bois à moitié immergée dans un cours d’eau bleu sirène, car la belle couleur chante une invitation à y plonger, alors que sa température est un piège froid. Très vite, le chemin peu entretenu devient technique, quand celui-ci n’est pas inondé. Il faut se repérer, quelques passages à gué assez larges faussent la piste, mais avec de l’observation cela se fait. Poursuivant à travers un pierrier, Aurélien arrive au niveau du cirque. D’une beauté froide, il semble le rempart d’un monde préservé, sa pente escarpée et grise telle l’armure contre qui voudrait passer de l’autre côté. Le tracé continue raide vers des lacs supérieurs, mais le temps se rafraîchit, laissant présager le retour de la pluie. Aurélien fait demi-tour. Les premières gouttes l’accompagnent alors qu’il rejoint Barbara.

           Nous faisons route à travers un rideau pluvieux jusqu’au campement où nous dormirons. La température a chuté de plusieurs degrés au point que nous rajoutons une couverture à nos duvets adaptés pour 0°. Ce sont les quatre saisons en une journée. Cette nuit la température a basculé sous zéro, nous rajoutons encore des couches supplémentaires.

         Un peu rabougris par les petits pics de froids, nous déjeunons à l’abri dans vanette. Comme nous souhaitons faire la randonnée de la Routeburn, mais que celle-ci est d’un seul aller et non une boucle, nous l’avons fractionné en deux portions allers/retours. Ce matin, nous rejoignons le parking de la première partie. Le froid est encore là, les premiers pas seront bienfaisants. C’est une montée douce sur laquelle nous nous engageons, le sol encore gorgé d’eau est meuble. C’est un tracé à travers la végétation, une forêt merveilleusement verdoyante aux spécimens très différents. Les formes des troncs, tantôt crochus tantôt droits, lui donnent des airs de forêt enchantée, les cris des oiseaux une petite musique qui accompagne la fantaisie ambiante. Quelques fois, des tatouais téméraires s’accrochent à un arbre pour observer le mystérieux bipède qui traverse son habitation. Nous nous arrêtons alors, à regarder ces oiseaux adorables. Puis de plusieurs sautillons, jeu de regards et de petits cris, de s’approcher. Certains osent même le contact en se perchant sur nos chaussures et repartent en un battement d’aile, certainement faute de n’avoir trouvé une quelconque nourriture en offrande.

 

        De loin nous entendions son bruit sourd gronder, une immense cascade apparaît. Après en avoir observé de loin au Milford Sound, être si proche est fascinant. Des dizaines de mètres qui s’échouent abruptement, comme si le contact de la pierre grise et l’eau éclaboussait de craquelures blanches.  C’est impressionnant. Ainsi que l’est le tronçon qui suit, en bord de falaise, offrant un magnifique panorama sur les sommets en face, la vallée qui s’étend paisiblement. Puis le chemin s’engage à nouveau dans la forêt, devenant plus technique avec ses irrégularités rocheuses. Nous gagnons le lac Mackenzie dont la devise pourrait être « havre de paix, de calme et de douceur ». Au son des clapotis pressés par un léger vent, la tiédeur des rayons du soleil nous accompagne pour le déjeuner. En face de nous l’Ocean pic et son faux jumeau prennent également le soleil. Dans quelques jours, nous seront en haut du col pas très loin. Le retour est difficile pour les articulations, nous casse les jambes. Néanmoins, Aurélien insiste pour monter au Key Summit, un point de vue aller/retour annexe. Il faut redoubler d’effort sur la montée mordante. De surcroît le vent se lève, les nuages s’amoncellent. Le détour en vaut plus que la peine, arrivé là-haut c’est un époustouflant point de vue à 360°. Comme le phare d’un îlot au milieu de ces majestueuses montagnes du Fjordland, la vue se perd dans les glaciers qui s’accrochent en face, à la vallée que le soleil baigne sur un côté, à l’enfilade triangulaire des montagnes derrière.

         De retour à vounette, nous faisons route pour Te Anau. Le soir, notre purée adorée réchauffe nos muscles perclus. Le lendemain, nous faisons une promenade à la Te Anau Bird Sanctuary, qui est une volière regroupant des espèces pour aider à leurs préservations. Nous ne les voyons pas tous, mais nous en apprenons sur les perroquets endémiques (kéa, kākā et le kākāpō), les takahēs, les différents canards. Plus loin nous faisons étape à l’ancienne gare de Lumsden, devenue gare à vans de passage. Cent quatre années d’histoire du train qui ont débuté en 1878 pour s’achever en 1982, avec des locomotives qui témoignent de ce passé du rail. La ville a une atmosphère d’antan, avec ces cafés qui attendent les passagers du jour. Il y a une petite boutique d’artisanat. Finalement nous y restons pour la nuit. La journée suivante, nous retrouvons les bords majestueux du lac Wakatipu. Après quelques courses à Queenstown, nous visitons la petite ville historique d’Arrowtown, où subsistent quelques cahutes de mineurs chinois qui étaient venus travailler dans des conditions peu décentes. Comme tout lieu touristique de la modernité, les façades historiques sont des boutiques à souvenirs.

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         Cette fois nous longeons la rive opposée du lac Wakatipu pour rejoindre le parking de départ de la Routeburn (du second tronçon). Les paysages deviennent montagnards. C’est amusant comme nous nous retrouvons souvent seuls au milieu de ces immensités. La pluie se montre quelques fois. Après nous être garés, nous partons nous dégourdir les jambes dans la forêt qui jouxte le campement. En revenant à vanette, deux arcs-en-ciels se dessinent au-dessus d’elle, comme pour rajouter de la magie à cet environnement somptueux. Nous discutons avec un couple américain quinquagénaire qui a décidé de tout vendre pour voyager, vivre leurs rêves avant la retraite où ils craignent de ne pas être suffisamment en forme. La nuit a été fraîche, comme en témoigne la gelée sur les tables du petit-déjeuner. Mais le soleil est là, c’est une belle journée qui commence pour partir randonner.

         Le début du chemin longe un très beau court d’eau turquoise, jouant sa mélodie. La forêt a des allures enchantées comme à l’aller, les toutouwais se montrent une nouvelle fois joueurs. Le chemin grimpe tranquillement. Après le premier refuge, le paysage change complètement. Derrière, nous laissons la forêt pour les herbes sèches d’un plateau dépourvu d’arbres. Le relief est cassant, le ciel est bas, il y a à la fois une impression de gravité et de magnificence. C’est à nos yeux la plus belle partie de la Routeburn, elle nous fascine. Le chemin de pierre passe le long d’un lac noir comme nous n’en n’avons pas encore vu. Il y a une atmosphère incroyable, c’est très beau une nouvelle fois. Les couleurs rappellent aussi la saga du Seigneur du anneaux. Nous rejoignons le refuge du Harris Saddle où nous ferons la pause comme beaucoup d’autres. Nous ne descendrons pas jusqu’au lac Mackenzie, nous préférons prendre du temps au retour pour nous arrêter contempler ce paysage dépeuplé, et pourtant rempli de sensorialités.

          Nous n’en revenons pas de la diversité et de la beauté que l’île du sud nous offre jusque-là. Le soleil décide à se montrer et donner un peu plus de contraste aux couleurs. Sur le retour nous croisons le couple américain, qui s’est arrêté au premier refuge, nous nous disons que nous sommes heureux de pouvoir profiter de ces beautés de la Nature en pleine forme. De retour au parking, il y a une horde de keas qui s’affairent à dépiauter les véhicules. C’est la première fois que nous en voyons d’aussi près, ils sont costauds. Les véhicules neufs semblent leurs mets de choix. Vanette ne les a pas appâté. Nous repartons au camping pour y passer la nuit. Dès le lendemain, nous roulerons vers la côte ouest.