Du 29/03/2018 au 20/04/2018 – République Populaire de Chine – Shanghai – Beijing (Pékin) – Grande Muraille – Pingyao – Xi’an
Cités chinoises
Dix jours que nous sommes en Chine, tout nous semble aller très vite. Les premiers trésors naturels du pays nous ont éblouis, nous nous sommes déplacés sur des milliers de kilomètres rapidement. Sur la route de Shanghai, nous sommes impatients d’y retrouver notre amie Élise pour des retrouvailles inattendues et un petit goût de France !
Traverser les pays avec des transports en communs était le choix de s’approcher des modes de vies et des cultures. Dans ces espaces exigus de transportations, les codes culturels et les habitudes quotidiennes s’expriment sans filtres. La plupart du temps pour le meilleur mais occasionnellement pour le pire. Minuit est passé dans le train qui nous mène vers Shanghai, un couple et leur fils prennent la place des occupants des couchettes du bas. L’expérience de la promiscuité chinoise commence au volume des voix : les chinois parlent généralement fort. Ce n’est pas l’heure tardive qui changerait quoique ce soit. La mère, en cheffe de famille, organise le foyer : les couchettes, le dîner, le coucher. C’est au son des coups de feux d’une série policière et des lamentations d’un soap opéra chinois sur leurs téléphones portables que nous essayons de nous rendormir. Il n’est pas encore 7h du matin que la voix de la femme nous fait sursauter de notre sommeil. De la même manière que la veille, elle parle à son compagnon comme s’il se trouvait à une dizaine de mètres, de l’autre côté de la voiture. Nous souhaitions découvrir les habitubes des locaux, nous sommes toute à fait gâté par ce réveil. L’odeur du petit-déjeuner s’élève à nos couchettes supérieures. C’est toujours un moment d’étonnement et privilégié du voyage, cet instant précis où la première sensation d’éveil du corps est inhabituelle, où la première respiration du jour a une senteur d’ailleurs. Les sons de mastications à bouche ouverte du petit-déjeuner meublent les courts moments de pause sonore, ou l’arrière fond de la conversation. Ils allument leurs téléphones, signe que nous pouvons nous attabler pour commencer notre petit-déjeuner. Les mêmes séries sur leurs écrans résonnent, les pistolétades font échos aux plaintes énamourées. Le gamin délaissé geint plusieurs fois, alors lui aussi a droit à un téléphone pour des bip-baps-boums de jeux. Les écrans ont conquis le quotidien du monde entier. Pour conclure ce petit moment, le garçon renverse maladroitement la bière du papa sur Barbara. L’arrivée à Shanghai se fait désirer.
Les villes se succèdent avec leurs constructions infinies en série. A l’origine, nous avions fait le choix de ne pas visiter Shanghai pour nous reposer ces deux jours, mais notre amie Élise nous a récemment écrit. Elle rend visite à sa sœur cadette qui est en échange à Shanghai. Nous ne pouvons manquer une telle occasion. Cela nous avancera dans notre itinéraire vers Pékin. Arrivés à la gare, nous sommes surpris de la banalité du bâtiment, de la ville autour de nous. Nous nous dirigeons vers le métro, d’une propreté exemplaire, pour descendre à la Place du peuple (lieux de rencontre pour les familles pour arranger les mariages des jeunes générations). Soudainement, Shanghai est à la hauteur de sa réputation de ville monde. Des hautes tours qui grimpent vers le ciel, des architectures originales qui rivalisent de courbes, une population plus cosmopolite. Nonobstant, Shanghai conserve le parfum chinois avec les petites échoppes en tout genres. A l’auberge nous retrouvons les ambiances de dortoir, de la vie en commun. Une douche, une lessive et une bonne sieste après cette nuit courte et agitée. Quand nous ressortons, la nuit est calme, très illuminée. Nous longeons un canal et ce sont les retrouvailles ! Fermer les yeux un instant nous ferait croire être en France, quelle joie de revoir Élise ! Très vite nous nous installons autour d’une bière. Élise avait travaillé avec Barbara. Lorsque nous sommes partis, elle a pris notre suite au Cabaret où nous travaillions. Elle nous raconte les dernières nouvelles, comment les choses changent dans ce lieu magique. Tout n’est pas rose, certaines nouvelles nous font sacrément grincer les dents, d’autres nous amusent. Il y a de tout, cela change vite. La conversation se poursuit dans une épicerie, autour de nouilles instantanées et de Tsing Taos. Nous continuons à écouter les nouvelles et à parler de notre voyage. Tranquillement, ensuite nous nous dirigeons vers la rive du Bund (la vue la plus connue de Shanghai). Nous nous donnons rendez-vous demain soir. La discussion avec Élise a réveillé le manque de nos métiers dans le spectacle vivant. Nous nous endormons en pensant à nos amis artistes.
Pour commencer cette journée du 30 mars, nous revenons vers le Bund. La ville est à l’image de la mondialisation, un espace commun où nous circulons entre d’extrêmes inégalités – sans aller jusqu’à la misère ici. Les vieilles maisons cohabitent avec de hautes tours vitrées, les voitures de luxes sont bordées d’une myriade de scooters. Les affaires respirent à chaque coin de rue, tout le monde fait commerce de quelque chose. La différence est le costume et le portefeuille. Notons encore une fois que les rues sont très propres. Du Bund, qui est la rive opposée au quartier des affaires, les grattes ciels se serrent en différentes formes architectoniques. La tour Shanghai est la seconde plus haute du monde, celle de la télévision ressemble à un boulier vertical, il y en a une dorée. Une rivière nous sépare comme une symbolique. Le beau temps nous invite à la promenade, les chauffeurs de tuk-tuks essaient de nous interpeller à coup de « moto, moto ». Étonnamment, véhicules et piétons respectent scrupuleusement les feux de circulations. Nous rejoignons le Chenghuangmiao (temple du dieu de la ville) qui a été édifié au XVième siècle. Si on excepte toutes les boutiques qui se sont installées, la beauté du monument donne une idée du passé urbain de la ville.
Au retour, nous nous arrêtons pour manger dans un petit boui-boui. Ceux qui donnent à la Chine ses lettres de noblesses culinaires, l’équivalent d’une boulangerie délicieuse chez nous. Dans moins d’une quinzaine de mètres carrés, avec quelques tables sur lesquelles on se serre, deux personnes dont les rides indiquent un grand âge cuisinent et servent. Quand nous nous installons, la dame nous montre la carte en sinogrammes pour nous demander notre choix. Elle comprend très vite que c’est inutile et nous invite à la suivre sur le bord de la cuisine (dans la même salle). Là nous lui montrons de la main (pas du doigt, c’est malpoli dans certaines cultures) nos ingrédients. Ensuite elle nous désigne les casseroles pour que nous indiquions le type de nouilles. Très bien, nous pouvons nous rasseoir. Un instant plus tard, elle réapparaît avec des bols fumants et repart. L’homme vient à son tour nous déposer les cuillères avec un sourire complice. C’est divinement bon. Nos papilles se délectent de chaque bouchée. Les autres clients s’amusent positivement de notre présence. Comble du tout c’est très peu cher. Nous sommes ravis, la mamie nous sourit en retour du nôtre quand nous nous levons pour partir.
Encore ce soir, les rues sont désertes, comme s’il était prohibé d’être en extérieur la nuit tombée. Nous retrouvons Élise une nouvelle fois dans un bar. Sa sœur lui a expliqué qu’à cause du coût très élevé de la vie en ville, les étudiants ont une énorme pression de la part de leurs familles. Le soir, ils travaillent… Nous mangeons dans une cantine du coin et retrouvons sa sœur dans une rue anodine. Pourtant la forte présence d’expatriés indique qu’il y a quelque chose. Nous passons une porte basse quelconque d’une façade quelconque, nous voilà dans un lieu de fête éclairé aux tubes fluorescents ! C’est un dj français qui mixe alors nous sommes entourés majoritairement de français ! L’ambiance est bonne enfant, cela danse, s’amuse, se bécote. C’est une planque comme seules les villes en recèlent. A la sortie, nous évitons les taxis garés devant avec leurs prix démesurés. Une ou deux rues plus loin nous en hélons un qui nous déposera entre nos deux auberges. C’est le cœur gros que nous nous disons au revoir. Quelle joie que nous t’ayons revue, nos conversations avaient la saveur des terrasses parisiennes.
Un dernier midi dans le petit boui-boui que nous affectionnons, puis nous prenons la direction d’une des gares de la ville. Pour rejoindre Pékin, nous n’emprunterons pas le train grande vitesse CHR, mais le Fuxing. Il s’agit de la ligne commerciale de train la plus rapide du monde. Ce qui nous saute aux yeux (hormis le prix conséquent), c’est le confort, l’agencement de l’intérieur, la tenue façon hôtesse de l’air des agentes. En moyenne le train roule à 350km/h sans que nous n’en ressentions les secousses. Les bouteilles sur nos tablettes ne bougent pas d’un centimètre, c’est incroyable. Plus loin nous voyons comme un épais nuage, ou plutôt un brouillard qui se démarque. Nous ne tardons pas à le rejoindre pour nous y engouffrer. En une fraction de seconde, nous passons de la clarté de la journée à une journée en demi-teinte. Comme si un voile flou embrumait l’espace. Le ciel n’est plus visible, les rayons du soleil pas assez puissants pour traverser cette couche brumeuse. Plus nous approchons de Pékin, plus la densité du brouillard s’épaissit. C’est la pollution, tellement concentrée qu’elle est visible et rend invisible le reste. Nous avons quitté Shanghai lumineuse pour rejoindre Pékin ombreuse. La nuit approche en plus, réduisant aussi la luminosité. Pour la première fois de nos vies de passagers, nous arrivons en avance sur l’heure prévue d’arrivée. Nous réveillons même notre voisin qui s’était endormi, qui nous offre une cigarette pour nous remercier. Gentiment nous déclinons. Le métro est plus âgé que Shanghai, mais tout aussi fonctionnel. En sortant par contre, nous mesurons l’environnement polluant. L’impression est similaire à un fumoir sans aération. L’air est à ce point difficilement respirable, qu’il faut faire un effort pour contraindre nos corps à respirer, car refusant cet air nocif. Nos gorges piquent, nous ne sommes pas habitués à un tel niveau (pourtant nous vivions à Paris…). Nous déambulons dans un hutong (quartier traditionnel composé de petites ruelles) en recherche de notre auberge. Nous y voilà. En sortant, nous achetons des masques. Barbara est très gênée. Très rapidement nous mangeons, faisons un court tour avant de rentrer.
Ce premier avril, la nuit aura été rythmée par des cauchemars, est-ce lié aux difficultés de notre organisme pour respirer ? L’Indice de la Qualité de l’Air est à 180 de moyenne (à Paris, un pic de pollution c’est à partir de 120-130). Un couple de français rencontré au petit-déjeuner nous apprend que la situation s’est améliorée, à leur arrivée une tempête de sable du désert de Gobi s’était abattue sur la ville, l’air était jauni et l’IQA à 999 paraît-il… Nous sortons, mettons des masques anti-pollution. Nous visitons un grand hutong central, encore en rénovation, avec une brique de couleur grise. De nombreuses statues de scènes du quotidien rythment les rues remplies de touristes. Nous avons un bel exemple de reconstruction à des fins touristes de quartiers populaires. La plupart des hutongs ont été détruits pour faire place aux grandes avenues et aux immeubles. Mais le quartier où nous déambulons ne sert pas au relogement. Il est constitué de boutiques souvenirs et restaurants, attractions touristiques qui rapportent beaucoup d’argent.
Le lendemain nous nous rendons à une des gares routières de la ville, comme beaucoup de lieux de ce genre, le glamour n’y est pas loi. Néanmoins en Chine, il y a une différence majeure avec tous les pays que nous avons traversés jusque là : les toilettes. C’est une expérience à part entière, un voyage dans le voyage. Si Barbara est toute terrain sur ce sujet, Aurélien a besoin d’un peu plus de confort princier. La première règle à connaître est qu’un chinois ne ferme jamais le loquet de la porte. Ouvrir une porte de toilette, c’est prendre le risque soit qu’elle revienne plus violemment sur ses doigts, soit de se retrouver face à un chinois en train de, soit rarement cela sera libre. Chez les femmes c’est plus simple, la plupart du temps elles laissent les portes ouvertes. Ça ce sont les quelques cas où il y a des cabines, sinon c’est une tranchée commune dans le béton, dans laquelle s’écoule un filet d’eau trop ténu pour les petites et plus grandes affaires. Quelquefois, des parapets « séparent » l’espace, mais comme ceux-ci est à peine plus haut que la hanche, le voisinage n’est jamais loin. Bien entendu les odeurs et les bruits sont des agréments majeurs de ces doux moments en collectivité. Nous passons les détails sur la malpropreté qui à chaque retour des toilettes alimente nos conversations pendant des heures. Ce matin là, ce sont des toilettes de gare routière.
Après, nous trouvons le bus que nous cherchions. Le but de la journée est de rejoindre Huang Hua Cheng, une portion bien moins connue de la Grande Muraille de Chine, où Barbara était venue il y a huit ans. Au trois quart du trajet, le bus s’arrête, des hommes montent pour dire que le bus n’ira pas plus loin. Il faut descendre, c’est le terminus… au milieu de nulle part ? Bizarrement il s’adresse à nous, avec quelques mots d’anglais. Maintenant nous sommes expérimentés. En observant l’indifférence des passagers chinois, leur calme et le fait qu’ils ne bougent pas, nous faisons de même, nous ne bougeons pas. Après 5 bonnes minutes, les quelques hommes redescendent et le bus repart. C’était des chauffeurs de taxi. Le manège reprend cette fois au vrai terminus où des chauffeurs nous disent qu’il n’y a pas le prochain bus, et bla bla bla. Un nous suit jusqu’au petit restaurant où nous nous arrêtons déjeuner. Barbara hausse la voix pour qu’il disparaisse enfin. Le couple de chinois musulmans qui nous accueille a le regard bienveillant, le déjeuner est délicieux une nouvelle fois (c’est décidément un plaisir gustatif de visiter le pays). Nous avons plus de mal a trouver l’arrêt de l’autre bus, nous effrayons les locaux à demander des renseignements. Comme souvent, c’est un papy qui nous le désigne, une mamie à l’arrêt nous confirme que nous sommes au bon endroit. Le bus public passe une fois par heure, alors le chauffeur de taxi revient à la charge avec son taxi et il nous faut à nouveau élever la voix…
Depuis le bus, nous constatons que nous avons petit à petit quitté l’épais nuage de pollution. C’est un bus local qui traverse les villages environnants où le travail de la terre domine les activités. Puis, la Grande Muraille de Chine commence à apparaître, ligne hirsute le long des crêtes des montagnes. Le terminus est proche, nous descendons entre les deux derniers villages. Le premier est à un peu plus de 1km, le second environ 3kms. Indécision qui anime notre discussion. Barbara ne se souvient plus exactement le nom du village où elle était venue. Nous tentons le plus proche qui ressemble mais nous découvrons un village touristique entre deux saisons, où la muraille est hyper rénovée, où tout le monde nous regarde avec des yeux incongrus. Pas le choix, nous faisons demi-tour sur une route déserte, où s’envolent des brins de blé. Nous marchons sur la route. Nous suivons une voiture qui passe sur un chemin rejoindre un établissement, mais le prix et la localisation au milieu de nulle part nous décourage. Un peu plus loin, même résultat dans un lieu à flanc de route et en travaux. Nous ne désespérons pas, la marche a ce bienfait d’entraîner l’espoir dans son mouvement. En arrivant au village le plus éloigné (qui était notre première intuition), une famille charge sa voiture. Calmement nous nous présentons avec une salutation en chinois, puis nous leur mimons que nous cherchons un lieu où dormir. Ils nous désignent la direction à suivre. Soudainement Barbara a un flash, elle reconnaît l’endroit, la forme du bâtiment rouge lui revient en mémoire. C’est ici qu’elle était venue il y a huit ans dormir ! En nous avançant, une nouvelle surprise, la logeuse est la même personne. Le petit bébé du passé est devenue une petite fille pleine de vie. Comble du tout, il y a de la place et le prix est abordable. Nous tentons d’expliquer le souvenir de Barbara, mais ce n’est pas simple avec des gestes. Pendant le moment du dîner, nous retrouvons la photo sur l’ancien blog de Barbara lors de son premier passage. Ça y est la logeuse comprend ! Elle reconnaît Barbara (qui avait les cheveux très courts à l’époque), elle se souvient qu’elle l’avait conviée à manger avec sa famille, qu’elle avait dû la faire dormir dans la chambre de la dame de ménage parce qu’une classe d’école avait réservé toutes les chambres. Le papa croit que le bébé sur la photo est le fils, la maman lui explique. C’est beau à voir leurs sourires de joie, partager ces émotions simples qui nous relient. Un peu plus haut, la Grande muraille s’évapore petit à petit dans l’obscurité de la nuit au son de nos rires.
Soupes de nouilles au petit-déjeuner, bonnet sur la tête pour parer au froid, nous voilà prêts à rejoindre la Grande Muraille. Nous payons l’entrée non-officielle car il s’agit d’un tronçon qui n’est pas officiellement ouvert au public malgré son très bon état de conservation. La Grande Muraille c’est plus de 6000kms de constructions sur plusieurs siècles, large de 5-7mètres de moyennes, haute de 5-17mètres, consolidée avec du riz gluant dans le mortier. Autrement dit, c’est l’ouvrage architectural le plus grand et massif construit dans l’Histoire de l’Humanité (qui a aussi engendré le plus de morts parmi ses ouvriers). Aujourd’hui certaines parties sont effondrées, voir englouties sous terre, d’autres restaurées. C’était un mur de défense militaire contre l’Empire Mongole qui nous rappelle combien les temps ont changé. C’est avec beaucoup d’émotions que nous faisons nos premiers pas sur ces pierres chargées d’Histoire. De notre point de vue, nous voyons sa ligne ondulante suivant la ligne de crête et s’enfuyant dans l’horizon. Il y a des virages, des pentes vertigineuses, de nombreuses tours de guets (distante de 75mètres il paraîtrait). Incroyable est un mot bien faible. Les mongoles ont sacrément dû les effrayer… Par chance nous sommes seuls alors que nous commençons notre ballade. Nous avons l’impression d’arpenter l’échine d’un immense dragon de pierre endormi. C’est fascinant. A travers la crénelure de la muraille, nous projetons nos regards au loin vers un ennemi qui n’arrivera pas. Le chemin suit les rondeurs du relief, à tel point qu’il nous faut parfois monter en zig-zag pour affronter ses raideurs. Voire utiliser nos mains quand les étroites marches ont subi la dégradation des âges. Comment faisaient-ils pour s’y déplacer en armure ? Le chemin est en excellent état, moins les créneaux et certaines tours de guets. Par contre, par endroits des abrutis de toutes nationalités ont marqué la pierre de leurs passages. Le temps se refroidit très vite, nous sentons que la météo change alors nous faisons demi-tour en arrivant à un tronçon bien plus détérioré. Sur le retour, la neige fait sont apparition, légère et volatile. Déjà que le parcours était somptueux, il devient magique. A travers les flocons, nous nous croirions dans une boule à neige.
Le matin suivant, nous nous décidons pour l’autre versant de la Grande Muraille. Cela commence par une pente raide, très raide même et longue. Prendre ainsi de la hauteur nous donne mieux à voir le tracé que nous empruntions la veille, fait naître en nous le désir de parcourir cet édifice sur plusieurs jours (le premier soir au coucher, nous avons vu une lumière dans une tourelle…). Cela doit être une sacré aventure tant certaines portions doivent être isolées et le nombre exubérant de kilomètres. Ce côté est bien plus restauré, ce qui attire inévitablement les groupes de touristes. Tout vêtus de couleurs criardes et bruyants, ils détonnent avec le calme du lieu. Alors nous n’allons pas plus loin, revenons en arrière pour nous arrêter et dessiner cette incroyable échine de pierres endormies. Les groupes s’arrêtent, nous prennent en photo sous tous les angles et en rafales. Assis sans un mouvement, nous devenons l’attraction malgré nous, alors nous partons aussi. Sur le retour le cache de l’objectif photo d’Aurélien se défait, tombe au sol. Le voilà qui dévale sur la tranche la pente retour comme dans un dessin animé. Nous le retrouverons en bas. La Grande Muraille est à la hauteur de l’Homme, à la fois fascinante et inutile. Une vieille dame essaie de nous vendre ses noix dans la bonne humeur, nous déclinons. Nous rigolons bien avec elle. Nous récupérons nos sacs, c’est le temps de dire au revoir à la logeuse. Il y a un brin d’émotion, peut-être qu’un jour Barbara reviendra à nouveau. Nous allons à l’arrêt de bus, la même vieille dame revient avec ses noix. Les noix ne semblent qu’un prétexte pour essayer une conversation, d’échanger ce qui nous lie et qui n’a pas de mots. Ces histoires qui naissent dans nos imaginaires en regardant le visage de l’autre. Ce voyage instantané d’une expression. D’ailleurs c’est elle qui fait arrêter notre bus de retour. Nous échangeons un dernier sourire, une dernière bienveillance silencieuse.
A la correspondance pour l’autre bus, nous mangeons au même petit restaurant. Le retour à Pékin est sous les nuages. En y arrivant c’est un manteau de froid avec un mélange de neige et de pluie qui nous accueille. Notre auberge est située dans un hutong à l’Est de la ville, elle ressemble à une maison traditionnelle avec de belles lanternes rouges. C’est joli. Par contre notre petit dortoir est séparé de la douche et des toilettes, qu’il faut rejoindre en traversant la cour intérieure (non couverte), c’est une bise d’hiver à chaque sortie de la chambre. Le lendemain, la pluie a disparu mais le froid est resté. Nous hésitons, peut-être que le temps éloignera quelques groupes de touristes car nous nous décidons à visiter la Cité Interdite. Étrangement nous nous accoutumons des entrées de métros et trains où il nous faut présenter à chaque fois nos passeports, sacs au rayons X et une brève fouille. Devant la cité interdite, le dispositif policier est impressionnant. Sur le mur d’entrée de l’enceinte impériale est présents un immense portrait de Mao. Nos passeports feront office de tickets (pour les chinois c’est leur carte d’identité). Nous optons pour les audio-guides. Il y a beaucoup de monde, mais cela pourrait être bien pire. La Cité Interdite est une succession de très grandes cours et de différents bâtiments. Nous soupçonnons qu’elle ait subi de nombreuses modifications avec le temps, surtout du fait qu’elle soit très bien entretenue (l’audio-guide étant de piètre qualité fonctionnelle et informative). En plus de nombreuses pièces et intérieurs sont inaccessibles. Les bâtiments sont de différentes tailles et géométries, avec des sculptures d’animaux (lions, paons, dragons…). Est-ce le froid ? La foule ? Peut-être la fatigue de la Grande Muraille, mais nous ne parvenons pas à nous projeter dans l’historique du lieu, à ressentir cette vibration insondable que le temps laisse secrètement dans les murs malgré les différentes beautés évidentes. Car oui le lieu est fascinant, comme cette sculpture de dragon en pente, ou ces différents plafonds peints. Après avoir mangé des raviolis, nous profitons de la venue du soleil pour nous promener à travers des hutongs. Nous trouvons encore de nombreux vélos dans la ville, dont les pistes cyclables favorisent la pratique. Barbara retourne à l’auberge pendant qu’Aurélien pousse la balade. Pékin est une mégalopole chinoise aux apparats occidentaux. Elle a aussi des hautes tours à l’architecture singulière alors que dans la rue nous trouvons encore les carrioles ambulantes de restauration. En ressortant le soir, nous sommes tout heureux de trouver un restaurant comme nous les adorons en Chine. C’est une sorte de self-service où il faut choisir tous les ingrédients (de très nombreux légumes et bizarreries culinaires) pour composer une soupe de nouille. Il faut placer tous les ingrédients dans le bol, la caissière envoie le bol en cuisine qui revient cuisiné. ça ne coûte pas grand-chose et c’est délicieux. Cela nous redonne de l’énergie.
Le 6 avril, nous allons visiter le Temple du Ciel. Très belle tour à la triple toiture d’un bleu profond surmonté d’une boule dorée. Nous pourrions croire à 3 chapeaux pointus empilés. Comme la Cité Interdite, ce lieu de prière impériale était interdit au peuple. Il est rempli de signification culturelle chinoise dont nous ne maîtrisons pas les codes (notamment autour des 9 paradis). Le temple est magnifique. Le bleu inspire la sérénité. Nous retournons à l’auberge pour nous reposer et travailler sur le voyage. Le soleil réapparaît le jour suivant, nous en profitons pour louer des vélos. Cela nous permet de traverser un peu plus la vie locale, d’autres hutongs (où il y a beaucoup de toilettes publiques signe que toutes les maisons n’en n’ont pas). Nous allons jusqu’à la Colline du Charbon qui offre un splendide point de vue sur l’immense Cité Interdite. D’ici, le mot Cité prend sa pleine mesure, c’est clairement une ville dans la ville, le cœur névralgique inaccessible d’un feu Empire démesuré. Une journée agréable que nous ponctuons en essayant d’aller voir un Opéra Chinois dans le Théâtre de la Guilde du Hunan. Nous ne sommes pas sûrs d’avoir bien compris mais il n’y a pas de spectacle ce soir là. Nous nous réconfortons à notre petit restaurant préféré où notre habitude amuse la caissière et la cuisinière.
Un peu tard, le jour suivant nous visitons le gigantesque (le mot est faible …) Musée National de Chine (gratuit). Dans le hall d’accueil est présente une statue du Général de Gaule. C’est un musée où les galeries se succèdent sans fins, avec toujours plus d’objets d’arts (calligraphies, tampons, gravures, poteries, peintures, bijoux, sculptures…) qui rappellent – si cela était nécessaire – ô combien la Civilisation chinoise est ancienne avec un passé d’une richesse incroyable. Ensuite, nous retentons notre chance au Théâtre de la Guilde du Hunan (que nous avons choisi notamment car il date du XVIIIème siècle). Cette fois il y a spectacle, le prix est exorbitant mais nous y sommes, cela sera aussi peut être notre seule opportunité de voir de l’Opéra chinois. La salle est absolument magnifique, remplie de peintures et à l’architecture si différente des théâtres européens. En toile de fond de scène, un magnifique duel circulaire entre un dragon et un paon. La salle fait penser à une configuration de cabaret avec ses tables et ses chaises. En attendant le spectacle nous nous laissons à imaginer le lieu embrumer de volutes des fumées de cigarettes et de rires du public (qui est ce soir majoritairement occidental). Des cacahuètes et du thé nous sont servis, le spectacle va commencer. L’Opéra chinois mélange le chant (très aigu souvent), les chorégraphies (danse et combat), le mime, le jeu théâtral. Sur des visages grimés blancs, le maquillage est très expressif. Les costumes ont de belles couleurs vives. Le jeu des yeux grand ouverts, pour exprimer différentes expressions et celui des mains sont saisissants. Le jeu repose sur une exagération des actions qui s’appuient sur les effets sonores et musicaux non-diégétiques. Les chants sont typiques du genre avec des voies très aiguës. Le surtitrage n’est pas très bon, sans mentionner les employés du théâtre qui parlent pendant le spectacle. Nous ne comprenons pas la pièce, mais nous sommes émerveillés. Puis, nous filons récupérer nos sacs à l’auberge, manger à notre petit restaurant préféré (nous disons au revoir aux deux jeunes femmes qui y travaillent) et filons à la gare pour un train de nuit.
A la fenêtre du train, l’immense Pékin a laissé place à la campagne chinoise défilante. Tranquillement nous arrivons à Pingyao qui est une ville médiévale préservée. Ou pourrait-on dire, l’équivalent de Carcassonne version chinoise. Il n’y a pas de consigne à la gare, les commerçants sont au fait. Par conséquent nous laissons nos sacs dans une supérette, après que Barbara ait négocié le prix comme il est coutume de le faire. A l’entrée de la ville, des cuisiniers ambulants font frétiller de grandes omelettes dans leurs carrioles, c’est l’heure du petit déjeuner. Nous achetons le ticket d’entrée, passons la muraille d’enceinte. Une longue allée de maisons grises s’ouvre devant nous, auxquelles pendent de vives lanternes rouges et or. Sous l’avancée des toits, les poutres sont ornées de motifs colorés (souvent bleus, verts et dorés). Au dessus des encadrements boisés des façades, en grands sinogrammes dorés sont inscrits le nom de l’établissement. Quelques fois, il y a une scène de la vie quotidienne qui est peinte. Au dessus, l’arrondi des toits convoque immédiatement notre imaginaire de la Chine, avec le chevauchement des tuiles qui aboutissent à des têtes de dragons. Pour le petit-déjeuner, nous nous décidons pour des raviolis servis dans un petit sac en plastique, des gâteaux secs fourrés au riz et aux haricots rouges.
La succession des commerces font écho aux photos que nous voyons dans les lieux à visiter. Commercer, marchander, négocier, ont toujours été des traits forts de la culture chinoise. Encore aujourd’hui. D’ailleurs dans les lieux plus spécifiques, nous y découvrons de nombreux bouliers. Les intérieurs étaient chiches, se réduisaient souvent au nécessaire avec peu de décoration. Sans que l’inconfort soit méprisé (les lits étaient chauffés par de la braise placée sous la caisse qui les surélevaient). Également nous y découvrons des pousses-pousses d’époques, des scénettes sont reproduites, des objets d’intérieurs (éventails, poteries…). L’architecture est un régal des yeux. Elles se distinguent dans les détails, par différentes formes d’encadrements, de motifs colorés. Si l’ensemble fait gris, c’est en se rapprochant et prêtant attention que l’originalité se découvre. En bout de grandes allées, de très hautes tours sur trois étages s’élèvent majestueusement comme dans nos rêves de Chine d’antan. C’est la ville qui nous permet le mieux de nous figurer ce à quoi la Chine de la Grande Muraille devait ressembler, de laisser nos imaginaires s’envoler dans le passé. Même si nous déplorons un manque évident d’explications traduites qui seraient d’autant de tremplins dans nos rêveries. C’est une ballade aux nombreuses surprises, parfois ce sont les couleurs d’un toit, une autre fois un temple avec son beau Bouddha (et d’étranges scénettes de tortures), le calme d’une cour intérieure. Soudainement, avec Pingyao, c’est comme si nous avions fait escale temporelle dans une Cité chinoise aux grandes heures de la Route de la Soie.
Le soir nous récupérons nos sacs et rejoignons la gare pour un nouveau train de nuit en direction de Xi’an, l’ancienne capitale chinoise qui était la ville la plus à l’Est de la Route de la Soie. Nous qui empruntons celle-ci à rebours, nous voilà bientôt à sa case départ. Nous nous installons facilement dans le train, où nous mangeons des nouilles instantanées. Aurélien a un début de conjonctivite, sûrement en réaction allergique. Quand le contrôleur nous réveille le lendemain, au lavabo commun de la voiture du train, Aurélien détonne parmi les chinois avec ses cheveux ébouriffés, l’œil rouge rabougri et purulent. Le train arrive, nous gagnons notre auberge de jeunesse qui a un charme d’antan. Le petit déjeuner nous ressource car malgré la fatigue de deux nuits consécutives de train, nous souhaitons dès aujourd’hui déposer une demande d’extension de visa. Nous avons 1 mois de visa et souhaitons demander un mois de plus. Ce n’est pas systématiquement accepté, cela prend plusieurs jours, en cas de refus il nous faudra être réactifs pour éviter toutes pénalités et sortir brièvement du territoire. Tant la Chine nous subjugue que nous espérons que notre demande sera acceptée. La première épreuve est l’équipe de l’auberge qui n’est pas très conciliante depuis notre arrivée. Par exemple pour imprimer le reste de nos documents, nous le ferons au PSB (Public Security Bureau) où il semble que c’est possible.
Il y a plusieurs PSB dans la ville, nous ne savons pas lequel est le bon alors nous partons à pieds essayer notre chance. Aux premiers abords, Xi’an est propre, bien ordonnée mais peu charmante. Hormis ces temples du passé qui ont survécu à la frénésie moderne de l’urbanisme comme la Tour du Tambour. Le point névralgique de la ville est son marché musulman, où nous
faisons une brève halte (nous y reviendrons plus tard plus longuement). La particularité de la ville de Xi’an est qu’ici la densité de musulmans est plus importante que dans les autres villes chinoises que nous avons traversées. Il y a de nombreuses mosquées, les croyants sont facilement reconnaissables à leurs coiffes atypiques. Enfin nous trouvons un PSB, aucun agent ne parle anglais et nous ne pouvons pas entrer sans expliquer notre venue. Nous avions anticipé la situation en traduisant la raison de notre démarche. L’agent nous fait comprendre que nous ne pouvons pas faire notre extension de visa ici, c’est ailleurs. Un collègue vient appuyer ses propos. Alors c’est où ? Il téléphone et donne le combiné à Aurélien. La ligne est brouillonne, l’accent français d’Aurélien ne doit pas aider non plus l’interlocuteur. Il finit en demandant simplement l’adresse que l’agent nous note sur un papier. Ils nous appellent un taxi. En arrivant à l’autre PSB, l’agente qui nous accueille parle un excellent anglais. C’est dans un bureau à l’étage. Dans la salle, trois guichets, nous nous trouvons au bon endroit cette fois. En plus, il nous faut remplir un nouveau formulaire et aller faire une photo d’identité supplémentaire (faîte dans les locaux du PSB). Retour au guichet, nous rendons le tout accompagné de notre passeport. La femme jette un œil à nos documents, tout lui semble bon. Elle conclut : « Please come back on the 19th ». Dans neuf jours??! Neuf jours sans nos passeports dans un pays où on nous le demande systématiquement laisse soudainement un grand vide. Si nous considérons nos sacs à dos comme nos maisons, nos passeports sont
l’équivalent des clés de notre voyage. Le maigre récépissé du PSB qui atteste de notre démarche nous fait nous sentir vulnérable. Est-ce que cela veut dire que l’extension de nos visas est acceptée ? Nous ne savons pas, réponse dans neuf jours. Prenons le côté positif, nous aurons plusieurs jours pour nous reposer.
Après une journée à laver toutes nos affaires, profiter du cadre de l’auberge, nous partons le surlendemain pour visiter le célèbre Musée du Mausolée de Qin Shi Huang, plus connu pour ses innombrables armées de soldats en terre cuite et bronze que son nom. La pluie nous accompagne jusqu’à la gare où une dame en uniforme nous place dans une file d’attente. Dans le bus, la même dame en uniforme semble expliquer l’historique du lieu dans un micro grésillant (étant les seuls occidentaux dans le bus, les explications sont naturellement en chinois). Xi’an (ou Xianyang à l’époque) a longtemps était la capitale de l’Empire du Milieu. Notamment à l’époque de l’Empereur Qin Shi Huang « fondateur du premier empire unifié de l’histoire chinoise au cours du IIIe siècle avant J.-C » selon l’Unesco. Jusqu’à sa mort en 210 av J-C. L’Empereur Qin imposa à toutes les provinces un seul système d’écriture, de monnaie, de poids et mesures. Selon les écrits de Sima Qian, des ouvriers de tout le pays vinrent travailler pour édifier le Mausolée sous le tumulus où il se trouve. Il s’agit du plus grand Mausolée de l’Histoire chinoise, renfermant une quantité incommensurable d’objets et de savoirs faire de l’époque. La zone couvrirait plus de 50kms carrés. A l’image des pyramides de Méroé, égyptiennes ou d’Amérique centrale, le Mausolée Qin Shi Huang est assurément un trésor de l’Humanité. Un lieu d’Histoire de démesure qui met en exergue la culture, les arts, les technologies d’un moment clé de la Civilisation chinoise. Le lieu n’a été que redécouvert en 1974, le gouvernement Chinois et provincial de Shaanxi ont adopté des mesures sévères pour préserver ce précieux patrimoine encore en fouille.
Après l’achat des tickets, nous rejoignons le premier grand hall. La visite se décompose en grands halls couvrant les fouilles. Avec la foule dense, nous avons l’impression décuplée de prendre le métro aux heures de pointes à Paris, il faut jouer des épaules (pas trop pour Aurélien car la tête des chinois est souvent plus basse que ses épaules…). Nous voilà à l’intérieur, quelle incroyable vision. Ce soudainement gigantesque qui sature les sens de notre petitesse humaine, la folie matérielle qu’une imagination singulière n’oserait pas. Face à nous, émergeant de tranchées parallèles apparaissent des milliers de statues de soldats et de chevaux. C’est incroyable. La surface de la fouille est impressionnante. Ce qui l’est davantage, c’est que les visages sont individualisés, les postures différentes. Dire qu’il y a quatre armées disposées devant chaque face du Mausolée (pour protéger des ennemis des quatre horizons). Malgré la foule nous prenons le temps d’observer ces soldats inertes sortis de terre. Plus loin, nous en voyons certains en cours de ré-assemblage (même les chevaux). En observant certaines tranchées, on voit dans la terre les corps disloqués des soldats mêlés à la terre. C’est pour cela qu’ils manquent à certains un membre ou une arme. Dire que le temps a effacé les peintures !
Le hall suivant ressemble au premier en plus petit. Néanmoins, il y a des vitrines, dont une par exemple à travers laquelle est exposé un admirable cocher et son ombrelle tirés par des chevaux. Aussi, il y a des soldats en bon état, ce qui permet d’être très proches des sculptures, de mieux en apprécier le travail de la main humaine. Ensuite nous sortons pour voir le Mausolée. Sous la pluie nous avançons vers la colline, dont tout le pourtour est grillagé. Le Mausolée de l’Empereur est en réalité inaccessible pour deux raisons principales. Il se trouve encore aujourd’hui sous le tumulus, en outre il n’a pas été ouvert (il renfermerait de nombreux trésors). Les chercheurs chinois ont fait ce choix car ils craignent les pièges installés (qui pourraient causer des morts), d’abîmer la structure interne… Ainsi, ils patientent en mettant au point les technologies qui leur permettront d’entrer à l’intérieur en minimisant au maximum les risques humains et scientifiques. L’Histoire conserve encore ses mystères. Nul doute que si un jour il est ouvert, le gouvernement en fera construire un double pour les visites afin de préserver le lieu. Heureusement le musée dans le dernier hall nous donne une idée possible du Mausolée, de son organisation spatiale, de la disposition des armées en terres cuites. Il y a également un aperçu de la vie locale d’il y a deux mille ans avec la reproduction de scénettes et de mannequins de cires. Enfin, il y a un historique de la découverte du lieu, comment peu à peu il a été mis au jour, puis ouvert aux visiteurs. A la fin d’une telle journée, il ne fait plus de doute que la démesure chinoise est ancrée dans leur civilisation depuis de nombreuses années.
Les jours suivants nous les prenons à nous accorder du repos. Ainsi nous faisons le point sur le voyage, sur la suite, écrire la précédente. Nous rencontrons le chaleureux Eric du Sud Est de la France. Un quinquagénaire aux yeux pétillants d’enfant de 10ans. Il vient souvent en voyage en Asie, mais c’est sa première fois en Chine. La Thaïlande loin des régions touristiques lui plaît beaucoup. Il nous partage de nombreuses anecdotes et conseils. Aussi, c’est un plaisir de raconter notre voyage. Ce soir, avec quelques bières pour accompagner, nous retrouvons avec Eric ce bonheur simple des conversations, d’évasions dans le récit de l’autre, de rires des péripéties. De la joie simple d’échanger. En plus, Eric c’est un grand cœur vibrant de sensibilités. A notre retour en France, si nous voulons visiter les Calanques, c’est avec joie qu’il nous guidera. C’est précisément d’une belle soirée comme celle-là dont nous avions besoin.
Hormis travailler sur la suite de notre périple, nous profitons également des journées pour sortir flâner dans Xi’an. Prendre le pouls d’une ville moderne chinoise. En Chine tout se côtoie rapidement. Le vieux tri-porteur rouillé roule à côté du dernier beau 4×4, les velibs sont partout, les grandes avenues croisent des petites rues de petites échoppes, la mode inspirée d’occident n’empêche pas les parents d’habiller leurs enfants en bas âges avec les pantalons fendus aux fesses pour faciliter leurs besoins. Dans un skate-park en ville, les jeunes filles et jeunes garçons sont ensemble à tenter des figures. Dans un parc, ce sont différentes générations qui se groupent autour d’une dame qui donne un cours de danse de salon. Un peu plus loin, c’est un cours de danse orientale (où un vieil homme s’essaye aux mouvements en amusant le groupe). Nombreux sont ceux à jouer au Sepak Takraw (mélange de badminton et de jonglage de football).
Un après-midi, nous nous décidons à aller nous fondre dans la foule du marché musulman. C’est une rue piétonne bordée de stands de gourmandises et petits plats à manger sur le pouce, avec une pagode-muezzin en bout d’allée. Au milieu se massent les chinois qui s’arrêtent curieux et nombreux. Il y a des brochettes de sucreries et salées, des yaourts, des pains ronds et plats semblables à des galettes, des rôtisseries (avec la carcasse de l’animal suspendue au dessus), des barquettes de durian (un des fruits préférés d’Asie), des tartes, des pâtisseries… Il y en a pour tous les goûts, les chinois très gourmands semblent ravis. De nôtre côté, nous savourons les différentes couleurs et formes des coiffes, les motifs des habits, la manière de compter les billets qui nous évoque l’Asie centrale. Attenant à la rue piétonne, il y a un bazar. Déjà qu’il est coutume de négocier dans un bazar, alors en Chine où tout se négocie, c’est un test ultime. Faisons bref, Aurélien échoue souvent. A l’inverse, Barbara amuse les vendeurs en étant une compétitrice coriace, qui unit techniques de marchandage et rire. Il faut dire qu’elle a eut un excellent professeur marocain lors de son premier voyage en Chine. Nous achetons des souvenirs, comme des marionnettes d’ombres chinoises, des affiches, quelques tissus…
Nous changeons d’auberge le 16 avril. Dans un bâtiment tout neuf, nous voilà au 11ème étage avec une belle vue sur la ville. Au 12ème il y a la salle commune. Pour l’anecdote culturelle, il y a en bout de chaque couloir une table et deux chaises. Sur la table un cendrier, les chinois sont des grands fumeurs. Alors quelquefois dans notre chambre ça sent un peu le tabac. En arrivant dans la salle commune, nous sommes très bien accueilli. La dame nous a donné une carte de la ville en nous distillant pleins de conseils pratiques pour visiter les sites d’intérêts (notamment avec les bus à prendre). A l’étage nous retrouvons la même gentillesse, autour d’un bon plat. En repartant, la dame nous interpelle, ce soir si nous sommes intéressés, ils proposent une initiation à la calligraphie chinoise. Nous viendrons ! Le reste de la journée, nous faisons le point sur notre matériel. Par exemple les chaussures d’Aurélien, qu’il utilisait depuis quelques années avant le voyage déjà, sont fatiguées depuis un sacré bout de route. Nous faisons la liste de notre colis à Élodie, la sœur d’Aurélien, pour qu’elle nous envoie un colis. Le soir, nous rejoignons l’enjouée Miki pour la calligraphie. Elle nous avertit dès le début, c’est un exercice exigeant et qui fatigue. Un peu comme après une séance de Yoga. Elle dispose devant nous des grandes feuilles avec des très grands carreaux de 10-15cms de côtés. C’est une feuille d’exercice qui permet de s’entraîner à l’eau (cela absorbe et sèche ensuite en quelques minutes pour recommencer). La première règle est de se tenir droit. Puis, il faut s’exercer à la tenue du pinceau (différent d’un stylo ou de la manière dont nous tenons les pinceaux habituellement). Le pinceau est pratiquement à la perpendiculaire de la feuille au départ du sinogramme. Les sinogrammes se décomposent en plusieurs petites formes qui ont chacune leur mouvement, leur vitesse, leur intention. Le tracé de l’encre exige à la fois de la fermeté et de la délicatesse dans le geste. Cela requiert une intense concentration (d’où la fatigue que cela entraîne). D’ailleurs Miki nous apprend qu’elle a appris avec son père, que c’est un moment qu’elle aime partager avec lui (bien qu’elle préfère les langues étrangères dont elle est enseignante à mi-temps).
La calligraphie n’est pas évidente, le geste requiert de la patience. Barbara a bien plus de facilités. L’initiation se passe dans une très bonne ambiance. Miki connaissait un peu de français mais elle a oublié avec l’allemand qu’elle apprend désormais. A notre étonnement, nous découvrons que « fa goa » (France) signifie « plat pays », « me goa » (Amérique) le « beau pays ». En réalité, pour la langue chinoise la signification n’est pas importante, mais c’est le rapprochement du son original qui l’est (fa est proche du son de France à l’oreille chinoise). De manière amusante « P-taya » Portugal signifie « pays du raisin », ce qui est plutôt juste. En plus de « fa-goa » et d’autres mots , nous apprenons à calligraphier nos prénoms aussi. La fatigue gagne nos poignets novices. Alors nous échangeons des mots de vocabulaire, mais la langue chinoise est d’une telle richesse de sons (montant, descendant, sec, constant, long…), que nous ne sommes pas certains que nous les prononcerons convenablement. Sans oublier la quarantaine de différentes langues du pays. Quoiqu’il en soit nous sommes ravis de cette soirée en compagnie de Miki.
Le 19 approche, jour où nous récupérerons nos passeports. Avant cela, nous allons à la poste afin d’envoyer les quelques souvenirs que nous avons acheté afin d’alléger nos sacs.. Ni bois, ni métal, ni crème dans le carton (Barbara avait achetait des petits pots de crèmes typiques). De plus, le papier journal dans lequel nous avions enveloppé certains objets est retiré (pas de presse papier nationale ne doit sortir du pays). Il n’empêche que la dame au guichet est hyper professionnelle, elle nous donne un papier uni pour refaire nos emballages. Le colis est très bien enveloppé. Pesé et payé, c’est parti. D’autre part, nous finalisons notre organisation de la suite. Dans l’incertitude si nos visas ont été prolongés ou non, nous préparons des petites cartes pour les trajets de trains que nous souhaiterions faire pour la suite, les horaires et la classe. Comme cela, nous achèterons l’ensemble de nos billets de trains d’un seul coup, d’autant que les vacances chinoises se profilent. Enfin le 19, nous revenons au PSB. Au même guichet, en l’échange de nos récépissés, le monsieur nous tend nos passeports sans rien nous dire. Nous remercions sans regarder. Dehors, soulagement, nos visas ont été prolongés ! Cependant, nous n’avons pas le temps de fêter cela, il faut récupérer nos sacs pour rejoindre la gare. Notre train pour Zhangye part dans peu de temps. Loin des Cités chinoises fabuleuses, une autre Chine nous attend les prochains kilomètres.