Conférence de Pippo Delbono avec Georges Banu

Lundi 12 juin 2017 – Festival international de théâtre de Sibiu, Roumanie – Librairie Habitus

          Pippo Delbono est un metteur en scène italien, un artiste majeur du théâtre contemporain. Accompagné de Pepe Robledo, il met en scène et joue dans les spectacles qui sont qualifiés de théâtre de la vie. Dans sa compagnie se mêlent des acteurs professionnels et non professionnels, des personnes en situation handicap et d’autres non. Ses spectacles sont d’intenses expériences humaines, où se mêlent plusieurs influences du théâtre. La veille, il a présenté son spectacle « Vangelo » à la fabrica de la cultura et vient en parler.

Pepe Robledo

           Pippo Delbono arrive avec l’air de ne pas être dans un bon jour. Il demande deux cafés. Dès la première gorgée cela va mieux, après une tasse il sera tout éveillé et génial. La conférence commence par une question de Georges Banu sur qu’est-ce qui fait la force du théâtre de Pippo Delbono ? Le metteur en scène italien répond (en français) que c’est l’équipe, l’organisation de celle-ci. Il prend l’exemple de l’acteur Gianluca qui essaie toujours d’aller au delà de ses difficultés physiques. La force de ses spectacles, c’est que les références viennent toujours de l’historique de biographies. Pour en accroître l’expressivité, il s’appuie énormément sur la danse et la musique. Cela lui vient de son enfance en Ligurie, où il a grandit dans un village très catholique (et avait même joué Jésus pour l’église). Il s’estime heureux d’avoir vu très tôt la pureté et la dureté de la religion.

Pippo et Georges Banu

            Ce qui est important pour lui c’est « Regarder la mort, c’est regarder la vie. Quand tu regardes la mort, tu vois le monde ». Selon lui, la mort est de plus en plus rejetée, oubliée et cachée. C’est pour cela qu’il est devenu bouddhiste, car il ne croit pas en la réalité de la vie. Au contraire, au théâtre il y a la chance encore d’avoir les pieds sur terre, de pouvoir être conscient des choses. Lors d’une autre conférence, une dame lui a dit « C’est beau ce que vous faîtes avec les marginaux » (en parlant des acteurs comme Bobo ou Gianluca qui sont en situation de handicap). Ah, il n’a pas aimé ! « Des marginaux ? Mais qu’est ce que c’est vraiment des marginaux ? » Mais qu’est-ce que la marginalité ? « Dans une réalité sans stupidités, le plus triste c’est l’actrice connue qui ne sait rien à part le maquillage et se voiler la face, que les « marginaux » de Delbono, car eux au moins sont lucides sur la réalité des choses. » Aux yeux du metteur en scène, son travail n’est pas spécial, « c’est le monde qui est devenu banal ».

Pippo et Bobo

            La culture est devenue exclusive, c’est pour cela que selon lui le psychologique ne sert à rien au théâtre. Jouer ainsi c’est faire du vieux. On le dit « révolutionnaire » mais il rétorque simplement « parler d’amour ». D’où l’importance pour Delbono de couper toutes les catégories du spectacle. Il cite une expérience à Venise qui « a la ville la plus hallucinante du monde mais le théâtre le plus vieux ! ». Or Pippo Delbono s’appuie sur toutes les modalités d’expressions scéniques pour s’adresser au public. C’est de cette manière que le spectateur avec ses propres expériences peut recevoir le spectacle, voir la beauté de la réalité. L’Humanité est essentielle dans l’esthétique de Delbono, c’est pour cela qu’il ne verse jamais dans le mépris ou le cynisme.

           Ses spectacles sont d’une certaine manière des rituels en dehors du réalisme, avec une recherche méticuleuse du geste précis ou de la tonalité exacte. Son travail est pareil à un archer de violon, il travaille la note jusqu’à trouver le son juste. Il prend un exemple de son spectacle Il Silenzio, dans lequel un moment il tourne en rond en répétant sur plusieurs niveaux de voix « Di me che mi ami ! » (dis moi que tu m’aimes ). Ce qui importe dans la répétition de cette phrase pour Pippo Delbono, c’est la musicalité des répétitions plus que le sens de la phrase. Il résume « on s’en fout du psychologique » et d’enchaîner en reprenant les tonalités des répétitions des phrases mais en remplaçant dis moi que tu m’aimes par « Patates frites ». C’est pour cela qu’il apprécie de travailler avec Bobo. Ce dernier ne met pas de psychologisme dans ses gestes, mais naturellement a une propension a les effectuer dans des temps parfaits. Il nous explique qu’ils s’entraînent tous beaucoup avec des méthodes inspirées de training japonais afin de trouver la justesse du mouvement Et Bobo, lui, c’est naturel ! Il arrive et il marche d’un point à un autre comme dans le théâtre traditionnel japonais comme si c’était normal.

           Pippo Delbono nous parle aussi de son évangile (Vangelo = Evangile en italien). Pourquoi faire un évangile quand on est bouddhiste ? C’est sa mère (qui était très croyante qui lui a demandé sur son lit de mort). Pour lui, c’est sa vision de l’évangile. Il ne croit pas au mal ou au bien mais juste que l’on fait tous un bout de chemin ensemble. Son spectacle parle beaucoup de la mort de sa mère. Après ce spectacle sombre, il fera un spectacle qui s’appellera Goia (La joie).

Ps : A notre grand regret, nous n’avons pas pu assister au spectacle de Vangelo, complet 2 mois avant le festival et même sur place impossible d’avoir des places. Pippo joue souvent en France, nous aurons d’autres occasions.