Samedi 09 juin 2017 – Festival international de théâtre de Sibiu, Roumanie – Librairie Habitus
Robert (ou Bob) Wilson, est un des plus grand metteur en scène de la deuxième partie du Xxème siècle et contemporain. L’esthétique de ses spectacles est faite de très peu (voir de l’absence) de textes pour développer des séquences de jeu, gestes dans de grands environnements lumineux. Très souvent accompagnés de musiques. Assister à une de ses conférences est une chance inouïe. Il est venu à Sibiu présenter un spectacle Lecture on nothing, dans lequel il est seul en scène. Nous n’avons pas vu le spectacle à cause de la simultanéité avec d’autres spectacles.
Rarement sur scène, il ne se considère pas comme acteur mais comme metteur en scène. Pour lui, jouer cette pièce lui permet de comprendre comment cela se passe de l’intérieur ses œuvres. D’autant plus que son rapport au texte est particulier, il utilise souvent des textes sans sens qui sont plus des enchaînements de sons et de bouts de phrase. Au début, c’est une des raisons qui l’ont poussé à travailler régulièrement avec des personnes sans liens avec le théâtre afin d’éviter les écueils du formatage des acteurs. Car son esthétique particulière est très éloignée du jeu classique et du schéma dramaturgique traditionnel des textes de théâtre. Les critiques ont nommé son théâtre « Visual theater », mais lui préfère dire qu’il construit les images des livres qu’il lit. Il crée un espace-temps, pas une histoire. C’est pour cela qu’il préfère l’expression de « Visual book ».
Pour son travail, Bob Wilson agence dans un premier temps les séquences visuelles d’actions. La musique est inventée en suivant, mais séparément. Il tient particulièrement à ce que les deux soit indépendants. Les deux sont assemblées uniquement le soir de la première représentation. Selon lui, leur association permet d’apporter des significations insoupçonnées supplémentaires au spectacle. C’est l’opposé du mimétisme. Ce qui ne l’empêche pas de mettre en scène de grands classiques, comme Hamlet qu’il a transformé en monologue. C’était un travail différent pour lui car le texte de Shakespeare est un texte avec tellement de contenus et de sens différents. Cependant, Wilson n’a pas voulu céder au jeu interprétatif du texte tel qu’il est écrit (car pour lui de toute façon il est impossible de fixer toutes les idées du texte). Le metteur en scène américain veut laisser libre l’interprétation du spectateur.
Les raisons de son travail sont les questions « Qu’est-ce que c’est ? » et « Pourquoi dis-je cela ? ». Il ne veut surtout pas exprimer le « C’est cela la raison », au contraire, il souhaite toujours laisser le sens ouvert. « La seule chose constante est le changement ». Il est du même courant d’idée que le musicien John Cage (célèbre compositeur de 4’33) qui disait « Il n’y a rien de pareil au silence ». Pour Wilson, on ne devrait pas faire de théâtre si c’est pour oppresser de sens le public, si on ne peut pas rire. Par exemple, Shakespeare ou Godot (personnage de Samuel Beckett) sont pleins d’humour. Le texte est simplement parallèle à ce qu’on voit scéniquement.
En 1971, à Paris, on lui a dit qu’il faisait du théâtre japonais. Ce qui a beaucoup amusé l’américain car il n’avait jamais été au Japon (seulement en 1981). Son travail est différent du travail européen. Là où en Europe la plupart du temps, nous nous mettons dans un premier temps autour d’une table pour discuter des actions à faire avec le texte, lui travaille « sans avoir une raison ou une cause ». Commencer un travail avec une cause, c’est pour trouver un effet. Alors que débuter avec un effet, c’est trouver un code. Lorsqu’en en 1981, il est enfin allé au Japon, il a été choqué de constater qu’il n’y avait eu aucune nouvelle pièce de théâtre depuis le XIVème siècle ! Par contre il a apprécié que 2/3 des mouvements soient abstraits (avec du signifiant), le mouvement se suffit à une certaine pureté. Simplement des constructions d’espaces-temps comme dans son travail.
Un autre point essentiel de son travail scénique est d’affirmer que tout ce qui est sur scène est artificiel. C’est une évidence, mais qui lui permet d’éviter le naturalisme (qui pour lui est un mensonge). On ne s’assoit pas dans un théâtre comme à un arrêt de bus, la scène change tout et tous les enjeux. Sur celle-ci, il est compliqué de « ne rien faire », il faut changer la position, sa voix, les lumières car il s’agit d’une scène. La scène est la raison la plus importante de toute l’artificialité et les possibilités du théâtre. Ce qu’il a beaucoup apprécié notamment chez les asiatiques est leurs manières d’être en scène, de tenir une posture disponible au jeu. L’inverse des acteurs qui sortent des écoles de théâtres. Il raconte aussi une autre anecdote avec Marina Abramovic (performeuse serbe qui pousse son corps à ses limites). Elle souhaitait qu’il mette en scène ses funérailles. Insistant beaucoup, il finit par accepter. Robert Wilson travaille avec l’artificiel et elle le réel. Elle voulait un vrai bloc de glace sur scène pour sentir le froid, que sa robe soit mouillée. Il lui a répondu non, que ça serait un bloc en plastique. Cela doit être visuel et non réel. Elle n’était pas d’accord, mais il lui a dit que c’était elle qui lui avait demandé de travailler avec lui, alors qu’il ferait à sa manière.
L’homme est drôle et sensible, c’est clairement un homme avec une très grande expérience de théâtre. Plusieurs fois il s’est levé pour mettre en corps son propos. Il est très méticuleux dans son travail. Par exemple, il a plusieurs fois repris précisément des enchaînements de sons qu’il avait fait prononcer à ses acteurs pour un spectacle. C’est un homme exemplaire. Nous sommes heureux de cette conférence et de l’avoir rencontré.